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ANALYSE D'ARTICLE

Polluants émergents : un défi pour la gestion des ressources en eau

Les polluants émergents dans l’environnement représentent un défi pour la gestion durable des ressources en eau, qui appelle une combinaison de mesures réglementaires et de contrôle des émissions selon les auteurs de cet article. La première étape est de recenser les nouveaux contaminants de l’eau et de réunir les données nécessaires à l’évaluation de leurs impacts sur la vie aquatique et la santé humaine.

Emerging pollutants in the environment are a challenge for sustainable water resource management, requiring a series of emission regulation and control measures according to the authors of this article. The first step is to identify the new water contaminants and collect the necessary data to assess their effects on aquatic life and human health.

Plus de 700 polluants émergents ont été identifiés dans l’environnement aquatique européen d’après le réseau NORMAN, opérationnel depuis 2009 (réseau européen de laboratoires de référence, centres de recherche et organismes associés pour la surveillance des substances émergentes dans l’environnement). Il s’agit de substances d’origine synthétique ou naturelle, qui proviennent de sources ponctuelles (comme des usines de traitement des eaux usées de zones urbaines ou industrielles) ou résultent d’une pollution diffuse (d’origine agricole ou atmosphérique essentiellement). Ces polluants sont regroupés en une vingtaine de familles dont les principales sont les produits pharmaceutiques, les pesticides, les sous-produits de désinfection et les produits chimiques industriels et de protection du bois. Certaines de ces substances sont relâchées depuis longtemps dans l’environnement mais n’ont pu être identifiées dans l’eau qu’après le développement de méthodes de détection adéquates. D’autres polluants sont réellement émergents, qu’il s’agisse de substances nouvellement synthétisées ou de produits préexistants récemment apparus dans l’eau à la faveur de changements dans leur cycle de vie (usages, élimination).

 

 

Les difficultés de la surveillance

La détection, l’identification et la quantification des polluants émergents ainsi que de leurs produits de transformation dans les milieux aquatiques se heurtent au nombre très élevé de substances potentiellement présentes et à la variabilité du mélange dans le temps et l’espace. Pour que l’envergure et les coûts d’un programme de surveillance restent raisonnables, un exercice de hiérarchisation et de priorisation est nécessaire. Une liste de 33 substances ou classes de composés nécessitant une attention particulière (en raison de leur présence fréquente, des risques potentiels pour la santé humaine et/ou la vie aquatique, ou d’un manque de technique analytique) a ainsi été établie dans le cadre de la directive européenne sur l’eau.

Plusieurs difficultés d’ordre technique existent. Les polluants émergents présentent une grande diversité physico-chimique : substances organiques (subdivisées en bioaccumulables et toxiques comme les polluants organiques persistants et en substances plus polaires comme certains pesticides, produits pharmaceutiques et chimiques industriels), composés inorganiques (par exemple métaux traces) et contaminants de type particulaire (comme les nanoparticules et les microplastiques). Pour ces derniers ainsi que les liquides ioniques, les méthodes d’échantillonnage et d’analyse sont virtuellement inexistantes ou encore à leurs balbutiements. Certaines substances se trouvent à des concentrations extrêmement faibles dans l’environnement aquatique, en dessous du seuil de détection avec les méthodes couramment utilisées. Les hormones, les pyréthrinoïdes et certains pesticides organophosphorés, par exemple, exigent des méthodes analytiques particulièrement sensibles.

Une évolution et une harmonisation des pratiques de laboratoire sont nécessaires. Les procédures d’échantillonnage et d’analyse actuelles sont propres à des classes de polluants spécifiques et ne permettent de mesurer que des substances sélectionnées a priori. Cette approche ciblée pourrait être complétée ou remplacée par le criblage à haut débit, dans lequel l’échantillon est analysé de manière exhaustive par chromatographie couplée à la spectrométrie de masse. Cette technique efficiente lorsque l’échantillon contient potentiellement un grand nombre de substances peut également faire émerger des polluants inattendus mais présentant un intérêt, pour lesquels le développement de méthodes quantitatives conventionnelles peut se justifier a posteriori. L’utilisation en routine et l’exploitation optimale du criblage dépendent toutefois de la qualité des logiciels de traitement des données et des bases de données.

 

La nécessité d’une approche muti-compartimentale

Les informations relatives au comportement des polluants émergents et à leur devenir dans l’environnement sont en grande partie manquantes. Leur biodégradation et leur transformation dans les eaux de surface et souterraines varie en fonction de leur biodisponibilité ainsi que de la présence de micro-organismes capables de les métaboliser. Pour de nombreuses substances comme les hormones, les détergents et les produits pharmaceutiques, cette dégradation naturelle n’a pas encore été étudiée. De même, le comportement des nanomatériaux manufacturés est largement méconnu.

Une approche multi-compartimentale s’avère nécessaire tenant compte des différents milieux dans lesquels les polluants transitent ou résident (colonne d’eau, sédiments, organismes aquatiques). De plus, sauf à être directement rejetés dans une rivière, les polluants ont auparavant traversé d’autres milieux. Dans le cas d’une pollution diffuse d’origine agricole, ils ont été transportés par voie aérienne, ruissellement, érosion et lessivage des sols jusqu’à la masse d’eau. Or, leur interaction avec les différents composants du sol (et la possibilité de biodégradation à cette étape) dépend de la nature du sol comme des propriétés intrinsèques de la substance (polarité, adsorption, etc.). Quant à la photodégradation, elle peut conduire à des composés intermédiaires ou finaux inertes ou actifs.

Quelques programmes européens documentent la présence de polluants émergents et de leurs produits de transformation dans plusieurs compartiments aquatiques interconnectés, mais la diversité des procédures (planification, échantillonnage, saison de la collecte, etc.) limitent la portée des résultats. Les rares exercices réalisés à l’échelle d’un bassin versant répondent à une approche de surveillance et de gestion habituelle, de type monocompartimentale. Une surveillance harmonisée de la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines serait un premier pas indispensable.

Le développement de modèles de simulation du transport et du devenir des polluants émergents dans l’environnement peut compenser des données de mesures encore trop fragmentaires pour l’évaluation des risques écologiques et sanitaires. L’exercice est complexe et doit intégrer de multiples paramètres (scénarios d’émissions, variations des conditions météorologiques, caractéristiques géologiques et hydrographiques, etc.). La complexité marque également l’évaluation des risques sanitaires, qui doit tenir compte de l’exposition combinée à plusieurs substances via, notamment, la consommation d’eau, de produits de la pêche et de végétaux cultivés sur des sols irrigués par une eau contenant des polluants émergents.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Commentaires

L’article, rédigé par des auteurs travaillant dans différentes instituts européens notamment d’agronomie, rassemble les éléments essentiels concernant les enjeux et attentes au regard de la problématique des polluants dits « émergents » dans l’environnement. Il indique au lecteur, de manière très descriptive, les principales difficultés rencontrées aujourd’hui pour approcher l’aide à la gestion de ces micropolluants. Il ne présente pas de résultats originaux mais décrit les voies nouvelles abordées par les chercheurs pour contribuer au développement de procédures de gestion et de réglementations. Il offre ainsi aux lecteurs non spécialistes une revue rapide de la problématique et rappelle, plus qu’il ne propose, que la démarche d’évaluation des risques intégrant les voies modernes d’identification des dangers, de mesure des effets et des expositions, est indispensable. Les auteurs insistent sur l’importance qu’ils accordent aux travaux de modélisation des expositions et des effets. Ces voies leur apparaissent indispensables pour progresser dans l’analyse des risques environnementaux et sanitaires au regard de la complexité des mélanges des polluants émergents. Même si des progrès sont en cours, le chemin est toutefois encore long avant que les modèles métaboliques soient opérationnels pour totalement définir des valeurs limites au sein des directives européennes sur la protection de l’environnement.

Yves Lévi

 

Publication analysée :

Geissen, Mol H, Klumpp E et al. Emerging pollutants in the environment: a challenge for water resource management. Int Soil Water Conserv Res 2015; 3: 57-65.

Soil Physics and Land Mangement Group, Wageningen University, Pays-Bas.

doi: 10.1016/j.iswcr.2015.03.002