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ANALYSE D'ARTICLE

Point des connaissances sur les origines développementales des troubles de la reproduction

Au travers d’une vaste revue de la littérature, cet article présente les différentes briques soutenant la notion d’origines développementales des anomalies et dysfonctions de l’appareil reproducteur, montre comment elles se connectent et fait émerger les points faibles de la construction.

This extensive literature review presents the various elements supporting the notion of developmental origins of reproductive disorders and dysfunctions. It shows how they are connected and suggests weak points in the construction.

La façon dont les hormones stéroïdiennes et d’autres morphogènes (facteurs de croissance et de transcription) orchestrent le développement, la différentiation et la maturation du système reproducteur est désormais mieux comprise, éclairant sa sensibilité à des xénobiotiques qui miment l’action des hormones naturelles ou interfèrent avec les processus gouvernant l’expression des gènes. Ces derniers sont également mieux compris grâce aux avancées des connaissances dans le domaine de l’épigénétique, fournissant un socle mécanistique au concept des origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD). L’application de ce concept à la sphère reproductive est explorée dans cet article étayé par une abondante bibliographie.

Données animales et humaines à l’appui

De nombreuses études expérimentales chez le rongeur documentent les effets, dans les deux sexes (notamment sur la réserve ovarienne, le cycle menstruel, la morphologie des organes génitaux, la qualité du sperme, le tissu prostatique et le comportement sexuel), de l’administration pré- ou postnatale de différents perturbateurs endocriniens tels que le bisphénol A, la génistéine, le diéthylstilbestrol (DES), le p,p’-dichlorodiphényldichloroéthylène (p,p’-DDE), des phtalates et des polybromodiphényléthers (PBDE).

Chez l’homme, la littérature soutenant les origines développementales des anomalies ou dysfonctions de l’appareil reproducteur, est fondée sur l’observation d’une prévalence accrue de pathologies gynécologiques (endométriose, fibromes utérins, adénocarcinome vaginal, malformations génitales, etc.) chez les filles nées de femmes ayant pris du DES lorsqu’elles étaient enceintes, dans les années 1940 à 1970. Les effets sur l’appareil reproducteur masculin de l’exposition prénatale au DES (excès de risque de cryptorchidie, d’hypospadias et de kyste de l’épididyme notamment) sont moins bien documentés, et les effets sur la fertilité ne sont pas établis. Les études ayant examiné l’impact sur la qualité du sperme d’autres expositions prénatales (tabac, polychlorobiphényles, furanes, composés perfluorés) ou postnatales (dioxines, bisphénol A) sont encore rares.

D’une manière générale, si la littérature épidémiologique de type DOHaD actuellement disponible suggère que la santé reproductive peut être affectée dans les deux sexes, elle ne couvre que très partiellement le sujet. L’exploration des effets d’expositions environnementales sur le développement du système reproducteur nécessite d’être poursuivie, en tenant compte de la largeur temporelle de la fenêtre de sensibilité (amorcée tôt durant l’embryogenèse, la formation de l’appareil reproducteur n’est pas achevée au moment de la naissance, mais reprend à la puberté), ainsi que des spécificités liées au sexe concernant le type et la chronologie des événements clés (en particulier la gamétogenèse est initiée in utero dans le sexe féminin alors que la spermatogenèse se déclenche à la puberté).

Épigénétique et effets transgénérationnels

Les marques épigénétiques portées par les gamètes des deux parents sont effacées juste après la fécondation afin de permettre la différentiation successive des cellules du zygote multipotent, au cours de laquelle de nouvelles marques seront établies, propres à chaque type cellulaire. Les études expérimentales montrent l’impact sur ce processus de reprogrammation épigénétique de l’exposition à des agents tels que le DES, la génistéine ou le bisphénol A, en comparant les profils d’expression génique (transcriptome) et de méthylation de l’ADN (méthylome). D’autres perturbations de la machinerie transcriptionnelle (histones, ARN non codant) imputables à des expositions prénatales ont été reliées à des anomalies phénotypiques de l’appareil reproducteur.

Depuis une série initiale d’études avec la vinclozoline (fongicide à action anti-androgénique) chez le rat, les modèles animaux montrent également la possibilité de transmission à la descendance des individus exposés in utero, d’effets tels que des anomalies du sperme ou des testicules induits par l’administration de divers perturbateurs endocriniens à des moments clés de l’embryogenèse (en particulier l’induction de la différenciation sexuelle). La résistance de marques épigénétiques (méthylation de l’ADN notamment) portées par les cellules germinales aux deux étapes d’effacement spécifiques de cette lignée, est l’un des mécanismes proposés pour expliquer cette héritabilité sur plusieurs générations.

L’extrapolation à l’homme des données obtenues dans des modèles animaux est limitée par des différences d’épigénome entre les espèces. L’étude de la médiation épigénétique des effets transgénérationnels d’expositions environnementales est par ailleurs compliquée par l’étendue des variations génétiques dans la population humaine, et le fait que les membres d’une famille partagent sur plusieurs générations le même environnement. La reconnaissance du caractère héritable d’anomalies développementales affectant la santé reproductive justifie néanmoins la poursuite des recherches dans l’objectif, notamment, d’identifier des biomarqueurs épigénétiques fiables pour des études de biosurveillance.

Commentaire

Ce n’est pas une méta-analyse que nous livrent Ho et al. dans cet autre article sur le DOHaD, mais une simple revue de la littérature. Ils passent en revue les travaux traitant du rôle des facteurs épigénétiques et/ou environnementaux, et de l’hérédité transgénérationnelle, dans la genèse des troubles de la reproduction à l’âge adulte, en particulier via la perturbation endocrinienne. L’apport de la notion récente d’épigénétique et d’hérédité transgénérationnelle est le fait que l’alimentation, l’air respiré, et même les émotions pourraient influencer non seulement l’expression des gènes d’un individu, mais aussi celle de ses enfants et petits-enfants. L’article explore en détail les mécanismes complexes en jeu, au niveau cellulaire et moléculaire, et résume les nombreuses études dépouillées sous la forme de tableaux synthétiques. Les différences entre la programmation des cellules somatiques et germinales (les unes lors de la mitose et les autres lors de la méiose, donc avec deux divisions cellulaires successives) sont décrites et donnent des pistes pour la compréhension de ces effets transgénérationnels. Les résultats des études, s’il conduisent à progresser dans la connaissance des toxiques capables d’influencer la transmission ou non de marqueurs épigénétiques, pourraient avoir des conséquences importantes pour la connaissance des facteurs de risque, la prévention ou même le traitement de nombre de maladies.

Elisabeth Gnansia

 


Publication analysée :

* Ho S-M1, Cheong A, Adgent M, et al. Environmental factors, epigenetics, and developmental origin of reproductive disorders. Reprod Toxicol 2017; 68: 85-104. doi : 10.1016/j.reprotox.2016.07.011

1 Department of Environmental Health, University of Cincinnati College of Medicine, Cincinnati, États-Unis.