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ANALYSE D'ARTICLE

Poids des cancers d’origine infectieuse : estimation mondiale pour l’année 2012

Cette nouvelle estimation du poids des cancers d’origine infectieuse dans le monde est plus précise et détaillée que la précédente, datant de 2008. Retrouvant une forte inégalité entre les pays les moins et les plus développés, les auteurs appellent à rendre accessibles, partout, les moyens prophylactiques et thérapeutiques disponibles contre les agents infectieux oncogènes.

This new estimation of the global burden of cancers caused by infections is more accurate and detailed than the previous one, which dates back to 2008. The authors found a considerable imbalance between developed and less developed countries and call for prophylactic and therapeutic measures to be made accessible everywhere to fight carcinogenic infections.

Onze agents infectieux sont classés dans le groupe 1 (cancérogènes pour l’homme) du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) auquel appartiennent les auteurs de cet article. Dix ont été considérés pour cette estimation de leur contribution au fardeau des cancers : Helicobacter pylori (responsable de cancers gastriques), les virus de l’hépatite B (VHB : cancer du foie) et de l’hépatite C (VHC : cancer du foie et lymphome non hodgkinien [LNH]), les papillomavirus (HPV : plusieurs types à haut risque oncogène impliqués dans le cancer du col de l’utérus et d’autres localisations anogénitales et orales), le virus d’Epstein-Barr (EBV : lymphome hodgkinien et carcinome nasopharyngé), l’herpèsvirus type 8 (HHV-8 : sarcome de Kaposi), le virus T-lymphotropique type 1 (HTLV-1 : leucémie/lymphome à cellule T de l’adulte), et les parasites Schistosoma haematobium (cancer de la vessie), Clonorchis sinensis et Opisthorchis viverrini (cancer des voies biliaires). Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a été écarté de l’analyse par impossibilité d’estimer précisément sa contribution indépendamment d’autres agents (l’infection par le VIH augmente le risque de cancer uniquement parce qu’elle favorise la co-infection par d’autres oncogènes et la cancérogenèse)

 

Matériel et méthode

Les auteurs ont utilisé la base de données en ligne du Circ, GLOBOCAN 2012 (qui fournit des données d’incidence, de prévalence et de mortalité pour 27 types de cancers et 184 pays), ainsi que des estimations de la fraction attribuable aux agents infectieux pour chaque cancer. Ces estimations, qui allaient de 100 % (sarcome de Kaposi, leucémie/lymphome à cellule T de l’adulte et cancer du col de l’utérus) à moins de 5 % (cancers de la bouche, du pharynx, de la vessie et LNH) étaient fondées sur les données épidémiologiques des 20 dernières années (études de cohortes, cas-témoins, méta-analyses, revues systématiques et rapports). La consultation de cette littérature récente a permis de ré-estimer et d’affiner les fractions attribuables utilisées pour le précédent rapport « Global burden of cancers attributable to infections » de 2008. En particulier, l’avancée des connaissances a permis de distinguer la responsabilité du VHB et celle du VHC dans le cancer du foie, de mieux estimer la part des cancers gastriques dus à H.pylori (par l’utilisation de tests immunologiques type Western blot, plus sensibles que la méthode ELISA), et d’attribuer une faible proportion des cancers de la cavité orale et du larynx aux papillomavirus (dont le génome viral peut être détecté par polymerase chain reaction [PCR]).

Les autres progrès notables par rapport à la publication de 2008 incluent l’estimation du poids des cancers d’origine infectieuse pour chaque pays individuellement, par région géographique (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord et Moyen-Orient, Asie centrale, Asie de l’Est, Amérique latine, Amérique du Nord, Europe et Océanie sur la base du regroupement de l’Organisation des Nations unies [ONU]), ainsi que par niveau de développement, conformément à l’indice de développement humain (IDH) du Programme de l’ONU (indice composite tenant compte du produit intérieur brut [PIB] par habitant, de l’espérance de vie à la naissance et du niveau d’éducation).

Les limites de ce travail sont inhérentes à la rareté ou au manque de qualité des données sanitaires (prévalence des infections, registres des cancers) pour de nombreuses populations, ainsi qu’à la difficulté de caractériser l’incertitude entourant l’estimation de la fraction attribuable pour certaines paires infection-cancer. Par exemple, l’infection par le VHC a été estimée responsable de 3,6 % des lymphomes non hodgkiniens dans leur ensemble, mais l’association peut varier selon le sous-type de lymphome.

Principaux enseignements

Sur 14 millions de nouveaux cas de cancer en 2012 dans le monde, 2,2 millions (15,4 %) peuvent être attribués à des infections par les dix agents oncogènes considérés, dont cinq ont un poids écrasant : H. pylori (770 000 cas de cancers), les papillomavirus (640 000), le VHB (420 000), le VHC (170 000) et l’EBV (120 000). Selon la base de données GLOBOCAN 2012, 64 % de ces cancers d’origine infectieuse surviennent chez des sujets de moins de 70 ans (limite d’âge définissant les décès prématurés dus à des maladies non transmissibles selon l’Organisation mondiale de la santé [OMS]). Les sujets jeunes (< 50 ans) représentent une proportion particulièrement élevée des cas de cancers liés aux papillomavirus (42,2 % des cas), à l’EBV (58,8 %) et à l’HHV-8 (72,7 %).

La fraction des cancers attribuable à une infection varie largement d’une région à l’autre, de 4 % (Amérique du Nord) à 31,3 % (Afrique subsaharienne). L’analyse par pays indique qu’elle dépasse 40 % dans quelques nations d’Afrique (et même 50 % au Malawi et au Mozambique), ainsi qu’en Mongolie. L’analyse selon le niveau de développement montre que la fraction attribuable aux infections passe de 25,3 % des cancers dans les pays les moins avancés à 7,6 % dans les pays très développés. Les pays les moins riches (IDH faible ou intermédiaire) concentrent deux tiers des cas incidents de cancers d’origine infectieuse pour l’année 2012 (1 400 000 cas). Par ailleurs, le poids respectif de certains agents infectieux varie selon le niveau de développement. Ainsi, les cancers dus à l’HHV-8 ne représentent globalement qu’une faible fraction (2 %) des cancers d’origine infectieuse, mais cette fraction s’élève à 14 % dans les pays les moins développés. Alors que le virus de l’hépatite B a un poids plus important que celui de l’hépatite C dans les pays à IDH faible ou intermédiaire, les deux virus contribuent pareillement au cancer du foie dans les pays à IDH élevé et le VHC prédomine dans les pays les plus riches.

Dans le précédent rapport, la proportion des cancers attribuables à des infections avait été estimée à 16,1 % au niveau mondial, avec un gradient allant de 3,3 % des cancers en Australie à 32,7 % en Afrique subsaharienne. Cette actualisation montre que la situation a peu évolué. Le poids des cancers causés par des infections reste important, comme la marge de manœuvre pour le réduire. Certes, le développement socio-économique est associé à une diminution des cancers d’origine infectieuse pour la plupart des agents considérés. Mais pour alléger sans délai le fardeau des pays pauvres, il est nécessaire que leurs populations bénéficient des mêmes interventions (programmes de vaccination, de dépistage et de traitement précoce) que celles mises en place dans les pays les plus favorisés.

Commentaire

Cette actualisation remarquable des connaissances sur les infections carcinogènes dans le monde entier a été faite pour l’année 2012 sur 11 agents infectieux (virus en écartant le VIH, bactéries, parasites) qui sont une cause importante de cancers (sarcome de Kaposi, leucémie/lymphome à cellule T de l’adulte, cancer du col de l’utérus, cancer du foie, lymphome non hodgkinien, lymphome hodgkinien, carcinome nasopharyngé, cancer de l’estomac, cancer des voies biliaires, cancer de la vessie, etc.) avec une part attribuable variable selon l’agent infectieux. Elle montre que la part attribuable est particulièrement importante dans les régions de la planète à faible indice de développement humain.

Il est commun de reconnaître que la transition épidémiologique vécue par ces régions du monde, dont la population est majoritaire sur la planète, se caractérise par une double peine : le maintien de grandes endémies infectieuses, et notamment du péril fécal, et le développement des maladies chroniques dites « de civilisation » (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies neuro-dégénératives, diabètes, obésité, etc.). La plus grande prévalence des infections carcinogènes (et la contribution non mesurée du VIH qui favorise la co-infection par d’autres oncogènes) est un complément logique à ce fardeau.

Les experts de la santé planétaire ne s’accordent pas sur les remèdes possibles à cette situation dramatique. Nombreux sont encore les partisans de programmes de santé publique par grande pathologie dominante, sur le modèle colonial, faisant la part belle aux campagnes de vaccination, dépistage et traitement précoce ciblées sur une sélection discutable de pathologies, qui présentent l’inconvénient notable de mobiliser le plus gros, sinon l’ensemble des faibles ressources publiques des pays pauvres, et cela au bénéfice de l’industrie du soin des pays riches, pour une efficacité partielle. Encore trop peu insistent sur l’efficacité globale de la prévention primaire portée par le développement économique et social ainsi que l’éducation. Les auteurs de cette étude prétendent que « pour plusieurs des infections carcinogènes qu’ils ont évaluées, à l’exception des infections sexuellement transmissibles à HPV, le développement économique est associé à la réduction de la transmission ou de la progression du cancer », mais que « cependant, le développement socio-économique n’est pas suffisant à lui seul pour réduire le fardeau des cancers d’origine infectieuse, et que des interventions à l’échelle de la population similaires à celles mises en œuvre dans certains pays à très haut indice de développement humain, doivent être priorisées et rendues rentables dans le reste du monde ». Oui… si l’on s’intéresse aux infections carcinogènes … comme dans une étude de marché.

Jean Lesne

 


Publication analysée :

* Plummer M1, de Martel C, Vignat J, Ferlay J, Bray F, Franceschi S. Global burden of cancers attributable to infections in 2012: a synthetic analysis. Lancet Glob Health 2016; 4: e609-16.doi: 10.1016/S2214-109X(16)30143-7

1 International Agency for Research on Cancer (IARC), Lyon, France.