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ANALYSE D'ARTICLE

Phtalates urinaires, maladies non transmissibles et marqueurs de l’inflammation dans une cohorte masculine australienne

En retrouvant une association positive entre le niveau des phtalates urinaires et les maladies cardiovasculaires, le diabète et l’hypertension artérielle dans une population jusque là peu étudiée, ce travail renforce l’hypothèse d’un rôle de l’exposition aux phtalates dans la flambée des maladies cardiométaboliques.

In finding a positive association between urinary phthalate concentrations and cardiovascular disease, diabetes and hypertension in a hitherto little-studied population, this study reinforces the hypothesis that phthalate exposure contributes to the rise of cardiometabolic disease.

Les maladies non transmissibles (MNT) sont devenues la première cause mondiale de décès et une source majeure de morbidité et de handicap personnel autant que de coûts pour les systèmes de santé. À côté de leurs facteurs de risque ou aggravants tels que le tabagisme, la sédentarité et une mauvaise alimentation, qui ont conduit à l’appellation de « maladies liées au mode de vie », la participation d’expositions environnementales est suspectée depuis plusieurs années. Les phtalates, largement utilisés pour fabriquer des produits de consommation courante (emballages alimentaires, jouets, produits d’hygiène et de soins corporels, médicaments, dispositifs médicaux, etc.), sont l’une des familles chimiques retenant l’attention.

Plusieurs études transversales ont déjà rapporté des associations entre le niveau des métabolites urinaires de certains phtalates et des maladies cardiovasculaires (dont coronaropathie ischémique, sténose carotidienne, accident vasculaire cérébral), ainsi que l’hypertension artérielle (HTA), le diabète de type 2, l’asthme et la dépression. Les populations incluses étaient principalement des femmes, des enfants et adolescents, des sujets âgés, et, pour l’asthme, des sujets professionnellement exposés. Cette analyse dans la cohorte australienne MAILES (Men Androgen Inflammation Lifestyle Environment and Stress) étend l’investigation de la relation entre l’exposition aux phtalates et les cinq MNT sus-citées à une population urbaine d’hommes d’âge moyen ou avancé. Les MNT étant souvent associées à une inflammation chronique de bas grade et quelques travaux suggérant des effets pro-inflammatoires des phtalates, les auteurs ont également examiné le lien entre le niveau des phtalates urinaires et les taux plasmatiques de quatre marqueurs de l’inflammation : la protéine c-réactive (CRP hs [ultra sensible]), le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα), l’interleukine 6 (IL-6) et la myéloperoxydase (MPO).

Données utilisées

La cohorte MAILES a été constituée par l’intégration de participants à deux cohortes précédemment mises en place dans la ville d’Adélaïde : FAMAS (Florey Adelaide Male Ageing Study) et NWAHS (North West Adelaide Health Study). Elle rassemblait à la base tous les sujets recrutés pour la première, établie en 2002 (1 195 hommes âgés de 35 à 80 ans) et le sous-échantillon des 1 368 hommes dans la même tranche d’âge à l’inclusion de la seconde, qui avait débuté en 1999 et recruté une population adulte plus large. Les données cliniques, d’interrogatoire et les échantillons biologiques (sang et urines) utilisés pour cette analyse avaient été collectés lors d’une visite de suivi entre 2007 et 2010, complétée par 1 504 participants alors âgés de 39 à 84 ans (âge moyen : 54,8 ans).

L’HTA était définie par une pression artérielle (PA) systolique ≥ 140 mmHg et/ou une PA diastolique ≥ 90 mmHg ou la prise d’un traitement antihypertenseur au cours des 12 derniers mois. Sa prévalence était de 56,7 %. Un diabète était identifié chez 19,1 % des sujets, répondant à une glycémie à jeun ≥ 7 mmol/L, une hémoglobine glyquée ≥ 6,2 mmol/L ou la prise d’un traitement antidiabétique dans les 12 derniers mois. La prévalence de la dépression, diagnostiquée par l’échelle à 20 items CES-D(Centre for Epidemiologic Studies Depression Scale) était de 15,9 %. La présence d’une maladie cardiovasculaire ou d’un asthme médicalement diagnostiqués avait été recherchée par un questionnaire, et rapportée respectivement par 11,1 et 13,7 % des sujets, cette autodéclaration constituant un point faible de l’étude.

Ses autres limites sont liées à l’évaluation de l’exposition, fondée sur la mesure des phtalates totaux dans un échantillon d’urine unique, ce qui reflète mal l’exposition à long terme. Cette mesure (reposant sur l’extraction de l’acide phtalique par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse) peut être considérée comme un bon indicateur de l’exposition totale à des phtalates provenant de multiples sources, à chaînes courtes (principalement excrétés sous forme de monoesters) comme à chaînes longues (métabolites urinaires plus souvent oxydés et/ou conjugués à l’acide glucuronique). Cependant, l’utilisation des phtalates urinaires totaux limite la comparabilité aux travaux rapportant des associations avec des métabolites spécifiques, ainsi que les possibilités d’interprétation mécanistique des résultats.

Les phtalates urinaires étaient détectables dans 99,6 % des échantillons, à un niveau de concentration moyen (moyenne géométrique) égal à 114,1 μg/g de créatinine (IC95 = 109,5-118,9).

Associations observées

Après exclusion des données suggérant une inflammation aiguë ou un état infectieux (CRP > 10 mg/L chez 68 participants ; IL-6 > 15 pg/ml [n = 13] ; TNFα > 10 pg/ml [n = 23] ; MPO > 1 500 μg/L [n = 11]), les niveaux des trois premiers biomarqueurs de l’inflammation sont modérément mais significativement corrélés au niveau des phtalates urinaires (coefficients ß : 0,16 pour la CRP ; 0,17 pour l’IL-6 et 0,08 pour le TNFα).

L’association avec les cinq pathologies considérées a été examinée en prenant en compte d’importantes covariables : l’âge, le niveau d’études, le statut professionnel (activité à temps plein, retraite, autre), le statut marital, le niveau de revenu annuel moyen du foyer, le tabagisme, le niveau d’activité physique (classé en suffisant ou insuffisant : 60,9 % de la population) et le type d’alimentation. Deux profils étaient définis sur la base d’un questionnaire de fréquence alimentaire : l’un considéré comme sain (« prudent pattern » : apport élevé en fruits, légumes, poisson, etc.) et l’autre malsain (« western pattern » : consommation importante d’aliments riches en graisses saturées, de plats industriels, boissons sucrées, etc.), associé à un niveau plus élevé de phtalates urinaires.

Après répartition des concentrations en quartiles, la prévalence des maladies cardiovasculaires, de l’HTA et du diabète apparaît significativement plus élevée dans le dernier quartile que dans le premier, pris pour référence, tandis qu’aucune association n’est observée avec l’asthme ou la dépression. Le rapport des prévalences (PR pour prevalence ratio) est égal à 1,78 (IC95 = 1,17-2,71) pour les maladies cardiovasculaires, à 1,84 (1,34-2,51) pour le diabète et à 1,14 (1,01-1,29) pour l’HTA. Les analyses ont été répétées avec un ajustement supplémentaire sur l’indice de masse corporelle (dans la fourchette du surpoids pour 47,9 % des sujets et dans celle de l’obésité pour 34,4 %), ainsi que sur les niveaux des trois biomarqueurs de l’inflammation corrélés aux phtalates. Les résultats concernant les maladies cardiovasculaires et le diabète sont peu modifiés (PR respectifs : 1,71 [1,08-2,69] et 1,82 [1,30-2,54]), mais l’association avec l’HTA n’est plus significative (PR = 1,08 [0,95 -2,69]). Ces résultats suggèrent que les biomarqueurs ne sont pas les principaux médiateurs de la relation entre les phtalates et les maladies cardiométaboliques.

Cette relation commence à être éclairée par des données mécanistiques, décrivant en particulier une activité des phtalates sur les métabolismes glucidique et lipidique, via les récepteurs nucléaires de la famille des PPAR (peroxisome proliferator activated receptors). La poursuite des recherches permettant d’établir avec certitude un lien de causalité entre l’exposition aux phtalates et certaines MNT (ce qu’une étude transversale ne peut faire) et d’expliquer ce lien reste nécessaire.

 


Publication analysée :

* Bai P1, Wittert G, Taylor A, et al. The association between total phtalate concentration and non-communicable diseases and chronic inflammation in South Australian urban dwelling men. Environ Res 2017; 158: 366-72. doi: 10.1016/j.envres.2017.06.021

1 Freemasons Foundation Centre for Men's Health, School of Medicine, University of Adelaide, Australie.