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ANALYSE D'ARTICLE

Perturbateurs endocriniens et obésité : où en est-on ?

Deux articles consacrés aux perturbateurs endocriniens « obésogènes » retracent leur histoire récente et font le point des connaissances, dégageant l’essentiel d’une littérature expérimentale nouvelle mais déjà riche. S’accordant sur les lacunes dans la compréhension du lien entre l’exposition à ces xénobiotiques et l’épidémie d’obésité, les auteurs conviennent également que ce lien est suffisamment plausible pour engager à l’action.

Two articles on obesogenic endocrine disruptors examine their recent history and review the knowledge, highlighting the essential points in a new, but already rich, experimental literature. The authors agree that little is understood about the link between exposure to these xenobiotics and the obesity epidemic; they also agree that this link is sufficiently plausible to require further action.

Le tournant du XXIe siècle a été marqué par l’émergence puis l’essor rapide du concept de « perturbation endocrinienne », enraciné dans la biologie de la faune et la sphère reproductive (fertilité, phénotype sexuel, comportement reproducteur), popularisé par sa mise en cause dans le déclin de la qualité du sperme chez l’homme, puis étendu à d’autres sphères gouvernées par l’action hormonale. Simultanément, le tissu adipeux passait de compartiment de stockage passif à tissu sécrétoire avec l’identification de la première adipokine (la leptine, appelée « hormone de la satiété »), pour devenir un organe endocrine à part entière avec les découvertes successives montrant notamment son rôle dans la sensibilité à l’insuline et l’état d’inflammation de l’organisme. L’hypothèse d’une contribution de l’environnement chimique à l’inquiétante augmentation de la prévalence de l’obésité était ainsi soutenue par la notion que le tissu adipeux pouvait être la cible de molécules capables d’interférer avec l’activité hormonale, et pas seulement un site de stockage préférentiel pour des perturbateurs endocriniens (PE) lipophiles. Un sous-groupe de PE « obésogènes » (diabétogènes/perturbateurs métaboliques) a alors été distingué, répondant, sur la base des données d’études expérimentales, à la définition de xénobiotiques capables de promouvoir l’adiposité par une action sur l’adipogenèse (altération de la programmation cellulaire favorisant le recrutement et la différenciation de cellules souches mésenchymateuses en adipocytes), et/ou sur la balance énergétique (altération de l’homéostasie du tissu adipeux le rendant dysfonctionnel) et le contrôle neuroendocrinien de l’appétit/satiété.

 

 

Irruption de l’épigénétique

Une troisième évolution conceptuelle majeure occupe une place importante dans ce tableau : l’épigénétique qui fait le lien entre les expositions environnementales et l’activité des gènes et peut expliquer la discordance phénotypique (concernant notamment l’obésité et les maladies métaboliques associées) entre jumeaux monozygotes soumis à des influences environnementales différentes. Des processus transcriptionnels (activation de certains gènes et répression d’autres) expliqueraient ainsi l’orientation préférentielle des cellules mésenchymateuses vers la lignée adipocytaire plutôt qu’osseuse ou cartilagineuse. L’épigénétique fournit également la clé de compréhension des effets transgénérationnels des PE. La recherche à ce sujet indique le caractère héritable de la méthylation de l’ADN, qui échapperait à la reprogrammation épigénétique des cellules germinales, contrairement à d’autres modifications de la machinerie transcriptionnelle comme l’acétylation ou la phosphorylation des histones.

Outre la capacité à induire des modifications épigénétiques stables et transmissibles, la fenêtre d’exposition détermine les conséquences potentielles de l’exposition à un obésogène. Des études chez la souris indiquent ainsi qu’une exposition in utero induit une hyperplasie permanente du tissu adipeux. Un régime gras appliqué à ces souris devenues adultes n’entraîne plus qu’une hypertrophie des cellules adipeuses pré-existantes, sauf pour le tissu adipeux périgonadique qui conserve la capacité de s’étendre par hyperplasie. Chez l’homme, la petite enfance et la puberté sont également des périodes critiques pour l’acquisition de la masse grasse. Si, à ce moment là, l’exposition à un obésogène entraînait une augmentation définitive du nombre d’adipocytes, alors, pour le reste de la vie, les effets du régime amaigrissant le plus sévère ou de l’activité physique la plus intense se limiteraient à diminuer leur taille. D’un point de vue évolutionniste, il est peu probable qu’un adipocyte « vidé » entre automatiquement en apoptose ; ces cellules appellent au contraire à être remplies en diminuant leur sécrétion de leptine.

Preuves mécanistiques

Les mécanismes potentiels sous-tendant les effets obésogènes d’un xénobiotique apparaissent à la fois nombreux en termes de voies de signalisation et de cibles cellulaires et très variables d’une substance à l’autre, comme le montre la revue des études plus ou moins étoffées concernant le diéthylstilbestrol, le bisphénol A (BPA), les phytoestrogènes d’origine naturelle, les phtalates, les pesticides organochlorés et organophosphorés, les polychlorobiphényles, les composés perfluorés et les polluants atmosphériques.

À ce jour, les seuls composés dont le mécanisme d’action moléculaire a pu être clairement délimité sont les organoétains dont le tributylétain (TBT) utilisé à partir des années 1960 comme biocide dans les peintures antifouling (destinées à empêcher le dépôt d’organismes aquatiques sur la coque des navires) et aujourd’hui interdit. Le TBT possède une affinité pour le récepteur nucléaire PPARγ (peroxisome proliferator-activated receptor gamma), considéré comme un acteur majeur du développement et du métabolisme adipocytaire, ainsi que pour RXR (retinoid X receptor) dont l’activité expliquerait jusqu’à 26 % de la variation de l’adiposité chez l’enfant. Ces deux facteurs de transcription liés et co-activés par le TBT forment un hétérodimère qui promeut la différenciation adipocytaire et le stockage lipidique. Pour d’autres PE comme le BPA, l’effet adipogène résulterait d’une multiplicité d’actions sur les voies de signalisation des estrogènes (les adipocytes exprimant des récepteurs aux estrogènes), ainsi que sur les médiateurs inflammatoires et PPARγ notamment.

Composer avec l’incertitude

À la complexité des mécanismes d’action possibles s’ajoutent celles des courbes dose-réponse non monotones et de la co-exposition à un mélange de substances. Pour environ 800 d’entre elles retrouvées dans des produits d’utilisation courante, des effets perturbateurs endocriniens ont été mis en évidence à la fois sur la faune sauvage et chez l’homme. Une relation causale entre l’exposition à une substance donnée et un effet sanitaire spécifique pourrait ne jamais être établie avec suffisamment de certitude chez l’homme.

Les effets obésogènes des PE doivent être considérés comme l’un des éléments d’un scénario mêlant la génétique, l’épigénétique et des facteurs environnementaux incluant l’alimentation, les habitudes de vie, la pollution de l’air et le microbiote intestinal. Scénario qui se déroule sur une vie entière. Les effets d’une exposition précoce à des obésogènes sont ainsi susceptibles de varier considérablement selon l’exposition chronique auquel l’individu sera soumis, qui dépend notamment du stockage des PE lipophiles dans sa masse grasse.

Étant donné le coût sanitaire et économique de l’obésité et des maladies associées, ces deux articles de revue appellent à la mobilisation du milieu scientifique pour accroîtrer la somme des connaissances. Les auteurs du premier s’arrêtent à l’intérêt d’un meilleur contrôle des PE, tandis que ceux du second plaident pour l’application du principe de précaution sans attendre le seuil qui déclencherait des décisions d’interdiction ou de restriction de substances particulières. Ils engagent en particulier les médecins à fournir aux femmes enceintes ou désireuses de l’être des conseils concernant leur alimentation (préférer les fruits, légumes et céréales « bio ») et leurs soins corporels (éviter l’utilisation de cosmétiques et produits d’hygiène contenant des phtalates ou des parabènes).

 


Publication analysée :

* Nappi F1, Barrea L, Di Somma C, et al. Endocrine aspects of environmental “obesogen” pollutants. Int J Environ Res Public Health 2016; 13.pii: E765.doi: 10.3390/ijerph13080765

1 I.O.S. & COLEMAN Srl, Naples, Italie.

** Janesick A1, Blumberg B. Obesogens: an emerging threat to public health. Am J Obstet Gynecol 2016; 214: 559-65. doi: 10.1016/j.ajog.2016.01.182

1 Department of Developmental and Cell Biology, University of California, Irvine, États-Unis.