JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Origines développementales de la santé et des maladies : champ couvert par l’épidémiologie

Balayant la littérature relative aux effets de l’exposition précoce aux produits chimiques, cet article en présente les caractéristiques marquantes telles qu’une focalisation sur la période de vie in utero et les effets neurodéveloppementaux et neurocomportementaux. Si de nombreuses associations entre une substance et un effet sanitaire donné sont encore peu documentées, d’autres sont « mûres », selon les auteurs, pour une évaluation globale du niveau de preuve.

This scoping review of the literature on the effects of early exposure to chemicals identifies significant characteristics, such as focus on the in utero period and neurodevelopmental and neurobehavioral outcomes. Although many associations between a given substance and health outcome remain relatively undocumented, the authors believe that others are ready for a comprehensive evaluation of the level of proof.

L’idée que la santé d’un individu, tout au long de sa vie, puisse être influencée par des expositions environnementales subies au cours de périodes spécifiques de son développement (fenêtres de sensibilité) a donné naissance au concept des origines développementales de la santé et des maladies. Le terme (DOHaD pour Developmental Origins of Health and Disease) a été inventé en 2003, mais les premières investigations dans le champ de la santé environnementale, suivant celui de la nutrition, remontent à 30 ans. Consacré aux expositions chimiques, cet article brosse le portrait de la littérature épidémiologique relativement robuste qui asseoit ce concept. Les auteurs se sont efforcés d’identifier les associations exposition-effet disposant de données suffisamment nombreuses pour envisager des méta-analyses, revues systématiques, ou autres travaux d’évaluation du niveau de preuve. Ils ont pris en compte 425 articles originaux en langue anglaise publiés dans des revues à comité de lecture, issus d’une recherche dans les bases de données PubMed et ISI Web of Science, arrêtée au 31 décembre 2014.

Aperçu global et lacunes de la littérature

Après un premier article paru en 1988, le nombre des publications reste faible jusqu’en 2003 (deux à dix par an), puis augmente de façon exponentielle entre 2004 (17 articles publiés) et 2013 (n = 63). Plusieurs événements ont pu participer à cet intérêt croissant pour la recherche de type DoHaD en épidémiologie, notamment l’identification de molécules « obésogènes » (2006) dont les effets pondéraux et métaboliques sont relativement faciles à mesurer chez le jeune enfant, tandis que dans d’autres domaines comme la santé reproductive, un suivi prolongé est nécessaire pour mettre en évidence des perturbations ou un excès de pathologies. La sélection examinée ne comporte que 43 études ayant évalué les effets d’expositions pré- ou postnatales à l’âge adulte (≥ 18 ans), dont sept sur le risque de cancer du sein, cinq sur celui du testicule, quatre sur les fibromes utérins et autant sur les troubles psychiatriques. Cette carence d’évaluations à l’âge adulte – qui nuit à la détection d’effets tardifs, mais aussi à la connaissance du caractère transitoire ou permanent d’effets observés dans l’enfance – reflète probablement la difficulté de conduire des études prospectives sur plusieurs décennies, ainsi que la faible disponibilité des données d’exposition collectées en tout début de vie pour les études à caractère rétrospectif dans des populations adultes.

Une autre faiblesse de la littérature est la prédominance d’études centrées sur l’exposition in utero aux dépens d’autres fenêtres temporelles pertinentes comme la préconception, la période postnatale, la prime enfance et l’adolescence. Dans le domaine de loin le plus exploré – le développement neurologique et comportemental : 211 publications – seules 22 études rapportent les effets d’expositions durant l’enfance uniquement contre 133 pour la période prénatale et 56 ayant pris en compte à la fois les périodes pré- et postnatales, qui sont rarement distinguées. La même observation s’applique aux autres sujets principalement étudiés : le cancer (59 études dont 27 sur les hémopathies malignes), la santé respiratoire (50 études dominées par l’asthme et les manifestations asthmatiformes), la croissance staturo-pondérale et l’obésité (n = 33), la santé reproductive (n = 31), les fonctions immunitaire (n = 29) et endocrine (n = 22).

La littérature examinée couvre 60 classes chimiques, les plus étudiées étant les polychlorobiphényles (PCB : 100 articles), les pesticides organochlorés (n = 60), le mercure et le plomb (respectivement 61 et 53 études), les polluants atmosphériques (particules : 27 études ; hydrocarbures aromatiques polycycliques : 23 ; oxydes d’azote : 20 ; ozone : 8), les pesticides organophosphorés (22 études), le diéthylstilbestrol (DES : n = 21) et l’arsenic (n = 16). Moins de 20 études concernent les phtalates, le bisphénol A, les polybromodiphényléthers (PBDE) et deux composés perfluorés (PFOA et PFOS). La majorité des publications (378 sur 425) se rapporte à une catégorie précise d’effet sanitaire, alors qu’un même agent (à action œstrogénique par exemple) peut affecter de multiples voies et produire des effets sur plusieurs tissus ou organes. Ceux de l’exposition précoce au DES et aux PCB ont toutefois été largement explorés. Le champ inclut le cancer, les fibromes utérins, l’âge de survenue de la puberté et de la ménopause, la fertilité et les maladies cardiovasculaires pour le premier, tandis que de nombreux critères du développement neurologique (fonctionnels, comportementaux et cognitifs) ont été utilisés pour examiner les effets possibles de l’exposition aux PCB, également étudiés en relation avec la santé respiratoire, la puberté, ainsi que la croissance et l’obésité.

Associations bien ou insuffisamment documentées

Même si le nombre requis de données pour une méta-analyse n’est pas fixé, les auteurs identifient 35 associations dont la force pourrait être quantitativement évaluée, qui ont été rapportées dans au moins six articles, et jusqu’à 26 pour les effets du mercure sur les capacités d’apprentissage, la cognition et le quotient intellectuel. Elles concernent notamment les PCB (plusieurs aspects du développement neurologique, infections respiratoires, puberté et hormones sexuelles), le mercure, le plomb, les organochlorés et les organophosphorés (neurodéveloppement), les organochlorés uniquement pour le surpoids et l’obésité, les pesticides en général et de ces deux classes en particulier, ainsi que les polluants atmosphériques pour les risques de leucémie et de lymphome.

À l’opposé, les données sont insuffisantes pour de nombreuses paires exposition-effet qui nécessitent des travaux supplémentaires avant une analyse plus approfondie de l’ensemble. Si les publications sur le développement neurologique et comportemental sont abondantes, les études relatives au trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ainsi qu’aux troubles du spectre autistique (TSA) en relation avec l’exposition aux métaux, aux organochlorés et à la pollution de l’air sont, par exemple, sous-représentées. Dans d’autres domaines, les auteurs relèvent moins de cinq études rapportant notamment des associations entre l’exposition aux pesticides et les cancers du testicule ou du cerveau, ainsi que les effets de polluants atmosphériques et de pesticides organochlorés sur l’asthme et le sifflement respiratoire.

Commentaire

Il s’agit d’un très gros travail de compilation émanant de la « Division of Extramural Research and Training », structure mise en place par les instituts de recherche américains dont la mission est de planifier, piloter et évaluer le programme de subventions du NIEH (Institut pour la recherche en santé environnement) pour des organismes externes de recherche et de formation en santé environnement. Cette structure définit les priorités du programme et publie des recommandations sur les niveaux de financement adéquats pour assurer l’utilisation optimale des ressources disponibles. Ce travail a été mené afin de répertorier les études d’épidémiologie environnementale qui testent l’hypothèse selon laquelle des événements de la vie fœtale ou de la petite enfance pourraient avoir une influence sur la santé de l’adulte. Ce mécanisme a été évoqué dès la fin des années 70, et il est connu aujourd’hui sous le nom de DOHaD, acronyme auquel se réfère maintenant une spécialité à part entière et auquel sont attachées au moins deux sociétés savantes, l’une internationale (DOHaD), et l’autre française (SF-DOHaD).

La compilation est considérable, puisqu’elle a réuni 425 publications (en anglais) parues jusqu’en 2014. La sélection a été faite sur des critères précis : travail épidémiologique concernant une ou des maladies de toute nature diagnostiquée(s) à l’âge adulte, dont l’origine serait à rechercher dans l’exposition au stade fœtal ou dans la petite enfance à un facteur de risque environnemental.

Le lecteur, dont la curiosité est aiguisée par l’avalanche d’articles de presse, qu’elle soit scientifique ou non, relatifs en particulier à la problématique de perturbation endocrinienne, espère à la lecture du titre de l’article, trouver une réponse à toutes ses interrogations sur le caractère causal ou non des associations entre pesticides et obésité, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres. Ce lecteur ne trouvera malheureusement pas la réponse à ces questions, puisque les auteurs n’ont en réalité cherché qu’à donner une vue d’ensemble des études menées sur les sujets, avec l’esprit de stratèges, d’acteurs de la gouvernance de la recherche. Il n’y a pas d’interprétation des études, pas de jugement sur la validité des conclusions… On n’a plus qu’à souhaiter que des spécialistes de DOHaD utilisent cette compilation pour une méta-analyse et nous livrent un avis sur les relations causales éventuelles entre facteurs de risque environnementaux et maladies.

Elisabeth Gnansia


Publication analysée :

* Heindel J1, Skalla L, Joubert B, Dilworth C, Gray K. Review of developmental origins of health and disease publications in environmental epidemiology. Reprod Toxicol 2017; 68: 34-48. doi : 10.1016/j.reprotox.2016.11.011

1 Division of Extramural Research and Training, National Institute of Environmental Health Sciences, RTP NC 27709, États-Unis.