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ANALYSE D'ARTICLE

Mortalité liée à la chaleur au cours de l’été : analyse multi-pays

Les résultats de ce travail de vaste ampleur, reposant sur une modélisation sophistiquée, fournissent de bonnes indications de l’atténuation de l’effet de l’exposition à la chaleur estivale sur la mortalité avec l’avancée dans la saison.

The results of this large-scale work, based on sophisticated models, provide strong indications that heat-related mortality is attenuated over course of the summer.

Si l’association entre une température ambiante élevée et un risque accru de morbi-mortalité de différentes causes a été établie, d’importants aspects restent à clarifier pour mieux prédire l’impact du changement climatique et développer des politiques de santé publique efficientes.

Les chercheurs travaillent en particulier sur la variation spatio-temporelle du risque. Quelques études ont montré l’hétérogénéité géographique de l’association température-mortalité, tandis que d’autres ont mis en évidence une atténuation du risque de mortalité liée à la chaleur dans certaines populations au cours des dernières décennies.

Après trois précédentes publications dans ce champ de recherche, les auteurs présentent dans ce nouvel article une investigation de la variation du risque de mortalité liée à la chaleur durant la saison estivale. Cette composante « court-terme » de la variation temporelle avait été peu explorée, la littérature préexistante se composant de deux études focalisées sur les jours de très forte chaleur, et de trois analyses de la relation entre la température ambiante et la mortalité reposant sur des modélisations relativement simples et concernant des zones géographiques limitées.

Nouvelle investigation couvrant neuf pays

Cette analyse de séries temporelles a été effectuée selon une approche mieux adaptée à une relation complexe (non linéaire, avec un profil de réponse différent pour l’exposition à la chaleur et au froid) susceptible de varier de façon plus ou moins importante d’un lieu à l’autre et d’évoluer dans le temps. Les données provenaient de la vaste base précédemment constituée par une collaboration internationale (Multi-Country Multi-City Collaborative Network) et déjà utilisée pour d’autres analyses [1]. Il s’agissait des comptes journaliers de mortalité (décès toutes causes ou de causes non externes pour quelques localisations) et des températures moyennes journalières (à partir des mesures des 24 heures d’une ou de plusieurs stations météorologiques selon les localisations) de 305 sites dans neuf pays : Australie (trois villes, période 1988-2009), Canada (26 villes, 1986-2011), Chine (15 villes, 2004-2008), Corée du Sud (sept villes, 1992-2010), Espagne (51 villes, 1990-2010), États-Unis (135 villes, 1985-2009), Italie (11 villes, 1995-2006), Japon (47 préfectures, 1985-2012) et Royaume-Uni (10 régions administratives, 1990-2012). L’étude étant centrée sur la saison estivale, seules les données des quatre mois les plus chauds de l’année ont été exploitées (décembre à mars pour l’Australie et juin à septembre pour tous les autres pays).

Pour chaque localisation, la relation température-mortalité spécifique a été établie avec un modèle de régression acceptant un délai de réponse à l’exposition pouvant aller jusqu’à 10 jours. La saisonnalité, la tendance à long terme et le jour de la semaine étaient contrôlés, et le potentiel confondant de deux autres variables (humidité relative et plage des températures nocturnes) a été testé. Un modèle non linéaire à paramètres variant dans le temps a ensuite été utilisé pour produire deux courbes exposition-réponse, l’une dérivée de la relation température-mortalité au milieu du premier mois de l’été, l’autre de la relation au milieu du dernier mois. Des analyses de méta-régression ont finalement été réalisées pour ramener les estimations à l’échelle des pays. Le modèle tenait partiellement compte de spécificités nationales (inclusion d’indicateurs socio-économiques et démographiques) et des différences dans la distribution des températures à l’intérieur du pays (inclusion de la moyenne et de la plage des températures de chaque localisation).

Atténuation du risque au fil de la saison

Dans la plupart des pays, la courbe produite à partir de la relation température-mortalité en fin de saison est nettement aplatie par rapport à celle dérivée de la relation en début de saison. La comparaison des deux courbes indique également que la température de mortalité minimale (TMM) augmente au cours de la saison en Chine, aux États-Unis et au Japon, et que la zone de confort (plage des températures associées à un excès de mortalité nul ou faible) s’élargit au Canada, en Chine, en Espagne, ainsi qu’en Italie.

Au début de l’été, le risque relatif (RR) de mortalité au 99e percentile (par rapport à la TMM) est compris entre 1,15 (IC95 : 1,11-1,20) aux États-Unis et 2,03 (1,70-2,43) en Italie. À la fin de l’été, il s’étale entre 0,97 (0,85-1,11) pour la Corée du Sud et 1,41 (1,20-1,65) pour l’Italie. L’allure des courbes montre que, dans la majorité des pays, l’impact de l’exposition à une forte chaleur est plus bref à la fin de l’été : en début de saison, l’excès de risque de mortalité perdure pendant plusieurs jours (environ quatre ou cinq aux États-Unis, en Italie et au Japon et jusqu’à huit-dix jours en Australie, au Canada, en Chine et en Espagne), alors qu’en fin de saison, l’excès de risque n’est habituellement plus observé après deux jours.

Ces éléments s’accordent avec les résultats des quelques études observationnelles disponibles, qui soutiennent la notion d’une adaptation à court terme à la chaleur. Des recherches adéquates nécessiteraient d’être conduites pour déterminer la contribution des phénomènes physiologiques (amélioration de la performance de la sudation, adaptation cardiovasculaire progressive, etc.) et celle des facteurs comportementaux (habillement plus léger, vigilance accrue quant aux risques de la chaleur, modification du rythme et des habitudes de vie, etc.), probablement différents de ceux pouvant expliquer la diminution de la mortalité liée à la chaleur sur une période longue, tels qu’un usage plus répandu de l’air conditionné, une amélioration de l’habitat ou des progrès sanitaires.

 

  • [1] Environ Risque Sante. 2015;14:464-465. 6

Publication analysée :

* Gasparrini A1, Guo Y, Hashizume M, et al. Changes in susceptibility to heat during the summer: a multicountry analysis. Am J Epidemiol 2016 ; 183: 1027-36.doi: 10.1093/aje/kwv260

1 London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.