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ANALYSE D'ARTICLE

Mortalité attribuable aux PM2,5 émanant de feux de végétation en Europe

Cette estimation pour les années 2005 et 2008 suggère que les émissions atmosphériques de PM2,5 générées par les feux de végétation sur le territoire de l’Union européenne ont un impact notable sur la mortalité des populations.

This assessment for 2005 and 2008 suggests that PM2.5 emissions caused by vegetation fires have a notable effect on mortality in European Union countries.

Les feux de forêt et de broussailles d’origine naturelle ou prescrits (gestion de la ressource ou du risque incendie), ainsi que les feux agricoles (culture sur brûlis), dégagent ponctuellement de très grandes quantités de polluants atmosphériques dont seules les PM2,5 ont été prises en compte dans ce travail. Deux études réalisées, l’une au Canada, l’autre en Finlande, ont montré que, sous conditions météorologiques favorables, ces particules fines pouvaient faire l’objet d’un transport à longue distance et altérer la qualité de l’air à des centaines, voire des milliers de kilomètres de leur zone d’origine.

L’Union européenne (UE) est ainsi affectée par les polluants provenant des feux agricoles couramment pratiqués dans les pays d’Europe de l’Est et dans l’ouest de la Russie, tandis que les feux incontrôlés qui sévissent dans les pays du Sud constituent la principale source régionale d’émissions (sur la période 2000-2013, en cumulant l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce et la France, les surfaces annuellement brûlées ont été comprises entre 170 000 et 740 000 hectares selon le système européen d’information sur les incendies de forêt [European Forest Fire Information System – EFFIS]). Spectaculaires, menaçant la vie des populations et entraînant des dégâts matériels parfois considérables, ces événements sont peu étudiés pour leurs conséquences sanitaires en dehors de l’urgence. L’apport de cette estimation de la mortalité imputable aux PM2,5 émises par les feux de végétation dans 27 pays de l’UE est donc important.

Sources et traitement des données d’exposition

L’étude s’appuie sur la modélisation de ces émissions et de leur transport atmosphérique, utilisant les informations fournies par les radiomètres MODIS (moderate resolution imaging spectroradiometer) embarqués sur les satellites d’observation de la planète Aqua et Terra. Cette modélisation avait été effectuée dans le cadre d’autres projets pour les années 2005 et 2008, à partir de données couvrant toute l’Europe avec une résolution spatiale de 0,3̊ (latitude) x 0,2̊ (longitude) et une résolution temporelle de 15 minutes. L’estimation ne porte donc que sur ces deux années et n’est pas forcément généralisable. Le rapport EFFIS pour la période 2000-2013 indique toutefois que ni 2005 ni 2008 n’a été exceptionnelle en termes d’émission de matière particulaire provenant de la combustion de végétaux à l’échelle de l’Europe. Les deux années se distinguent principalement par la surface brûlée entre avril et octobre dans la péninsule Ibérique, deuxième plus importante en 2005 (année de fortes chaleur et sécheresse) et minimale en 2008 (conditions climatiques fraîches et humides). Par contraste, la région des Balkans et l’Italie du Sud ont connu un climat particulièrement chaud et sec en 2008, avec des incendies plus intenses qu’en 2005. Les simulations indiquent que les feux de végétation n’ont entraîné que ponctuellement et en de rares endroits le dépassement de la valeur guide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les PM2,5 (< 25 μg/m3), sauf dans certaines zones du Portugal où cette valeur a été dépassée pendant environ trois semaines à l’été 2005.

Les données de concentration atmosphérique des PM2,5 (moyennes journalières), ainsi que les données démographiques (nombre d’habitants et leur répartition spatiale selon l’âge et le sexe) rassemblées pour le projet INTARESE (Integrated assessment of health risk of environmental stressors in Europe), ont été appliquées à la grille géographique du programme de surveillance et d’évaluation du transport à grande distance des polluants atmosphériques (European monitoring and evaluation programme – EMEP), qui découpe le territoire européen en cellules de 50 × 50 km. Cette étape a fait apparaître un fort contraste d’exposition pour les deux années considérées, la concentration atmosphérique des PM2,5 émanant des feux de végétation (moyenne annuelle pondérée sur la population) allant de 0,02 μg/m3 (Irlande) à 2,77 μg/m3 (Portugal) en 2005, et de 0,02 μg/m3 (Norvège) à 1,1 μg/m3 (Bulgarie) en 2008.

Estimation de l’impact sur la mortalité

Tenant compte du caractère sporadique de l’exposition, les auteurs ont estimé le risque de mortalité aiguë lié à l’augmentation à court terme des concentrations de PM2,5. Ils ont utilisé une fonction dose-réponse établie à partir des résultats d’une étude épidémiologique dans 112 villes des États-Unis, en postulant que cette relation linéaire (augmentation du risque de mortalité non accidentelle de 0,98 % par incrément de 10 μg/m3) décrite pour une pollution urbaine de niveau relativement faible, typique des pays développés, s’appliquait aux émissions de PM2,5 des feux de végétation dans la fourchette des concentrations modélisées. Les valeurs journalières étaient généralement basses (< 1 μg/m3 dans 95 % des cas), mais excédaient ponctuellement 100 μg/m3, ce qui a conduit les auteurs à réaliser une analyse de sensibilité en fixant cette limite pour la fonction dose-réponse.

Le nombre de décès attribuable aux PM2,5 provenant de la combustion de la végétation a été calculé pour chaque jour et cellule de la grille, en utilisant les statistiques de l’OMS pour le risque de mortalité de base spécifique à chaque pays. Pour l’ensemble des 27 pays considérés et l’année 2005, ce nombre s’élève à 1 483 décès, avec une marge d’incertitude (dérivant de celle de la fonction dose-réponse) comprise entre 1 139 et 1 839 cas. L’effet estimé pour l’année 2008 est un nombre de 1 080 décès (828-1 342). L’analyse de sensibilité aboutit à une estimation quasiment identique pour 2008 et réduit de 1,6 % l’ampleur de celle concernant l’année 2005, ce qui suggère une influence négligeable des valeurs d’exposition extrêmes sur les résultats. Dans la majorité des cas (70 à 80 % selon l’année), la mortalité imputable aux PM2,5 des feux de végétation apparaît liée à une augmentation faible à modérée (restant inférieure à 15 μg/m3) des concentrations journalières. Si les pays du sud et de l’est de l’Europe, les plus vulnérables aux incendies de végétation, paient le plus lourd tribut, environ 30 % de la mortalité est observée dans les régions septentrionales et occidentales peu touchées par ce type d’événement.

Leur fréquence étant appelée à augmenter sous l’effet du changement climatique, l’évaluation de leurs conséquences devrait inclure l’aspect sanitaire mis en évidence par ce travail. D’autres effets de la pollution générée par les feux de forêt mériteraient d’être étudiés, notamment sur la santé cardiovasculaire et respiratoire, dans le contexte de la co-exposition aux fortes chaleurs estivales.

Commentaire

Les feux de forêt et les vents de sable, des sources préoccupantes de particules fines

Les feux de forêts et les tempêtes de sable sont des sources naturelles de particules fines (PM2,5) dont on connaît mal les impacts sanitaires. Les articles de Kollanus et al. (2017) et de Crooks et al. (2016), publiés tous les deux dans la revue Environmental Health Perspectives, montrent que la pollution engendrée par ces épisodes extrêmes a un impact réel sur la mortalité et la morbidité des populations exposées. Dans les études d’impacts de la pollution particulaire sur la santé, les sources d’origine anthropique, transport, usines, chauffage urbain, agriculture, sont mises en avant et les sources naturelles sont généralement oubliées. Pourtant, à certaines périodes de l’année elles jouent un rôle important dans les émissions particulaires, d’autant plus qu’elles sont transportées sur de longues distances et peuvent affecter une large population. Kollanus et al., qui ont étudié l’impact sanitaire des feux de végétaux sur deux années déjà un peu anciennes, souligne l’importance du changement climatique. Celui-ci conduit déjà à une augmentation des feux de forêt dans les zones à risque ! Depuis le début 2015, plus de 15 000 hectares de forêts californiennes ont été brûlés. Des chercheurs américains et australiens ont montré qu’il existe une évolution des paramètres climatiques de 1979 à 2013 corrélée à la période annuelle des feux de forêt et son allongement de plus d’un mois dans les forêts de résineux de l’Ouest américain. C’est ce que montrent également les modélisations de Météo France pour le sud-ouest de la France, qui prévoient un risque de plus en plus élevé dans la région landaise pour les années à venir.

Quand les incendies se déclarent à proximité de zones très habitées, comme en Californie ou en Russie en 2010, l’émission de quantités énormes de particules ultrafines a des effets sanitaires particulièrement importants. Ainsi, les incendies de 2010 à proximité de Moscou seraient à l’origine de 11 000 décès anticipés.

Le second article concerne les effets sanitaires des vents de sable et de poussière aux États-Unis et montre un impact également important. Ces vents de sable sont associés à la désertification de plus en plus importante dans certaines régions du monde. Ainsi, les vents du Sahara et du Sahel transportent du sable rouge en France. Il faut ajouter à ces déserts ceux de Californie, de l’Altiplano en Amérique du Sud, d’Australie, d’Inde ou de Gobie en Chine, qui tous progressent. Les particules fines et ultrafines sont aspirées par les courants ascendants de l’atmosphère et se déplacent sur des milliers de kilomètres. Les quantités transportées sont énormes, de 1 000 à 3 000 millions de tonnes par an, dont plus du tiers vient du Sahara. Lors d’une tempête de sable, les concentrations en particules dans l’air peuvent être très importantes, allant jusqu’à 1 500 μg/m3, alors que la limite du seuil d’alerte sanitaire en Europe est de 80 μg/m3 ! Il faut alors protéger les personnes sensibles car leur composition est agressive : on y trouve de la silice et des métaux comme le fer à l’origine de leur couleur rouge. Il est vraisemblable que la fraction ultrafine de ces particules est faible en masse, mais elle peut être très grande en nombre, et il faudrait pouvoir les comptabiliser en équipant les réseaux de surveillance de la qualité de l’air d’instruments de mesure adéquats.

Francelyne Marano

 


Publication analysée :

* Kollanus V1, Prank M, Gens A, et al. Mortality due to vegetation fire-originated PM2,5 exposure in Europe-Assessment for the years 2005 and 2008. Environ Health Perspect 2017; 125: 30-7.doi: 10.1289/EHP194

1 Department of Health Protection, National Institute for Health and Welfare, Kuopio, Finlande.