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ANALYSE D'ARTICLE

Maladie de Parkinson et expositions environnementales : état des connaissances

Plusieurs types d’expositions environnementales ont été associées à la maladie de Parkinson, mais les études épidémiologiques sont rarement cohérentes et les données disponibles concernent souvent des classes de produits ou des familles chimiques. Quelles substances spécifiques peuvent être raisonnablement incriminées ou innocentées au vu des données humaines et de laboratoire ? Quelles sont celles pour lesquelles il est nécessaire de continuer les recherches ?

Several types of environmental exposures have been associated with Parkinson disease, but epidemiological studies are rarely consistent and the data available often concern certain classes of products or chemical families. This study examines which specific substances can be reasonably incriminated or exonerated in the light of human or laboratory data, and which ones require further research.

La maladie de Parkinson, qui affecte des millions d’individus dans le monde, répond à un processus neurodégénératif plus étendu qu’on ne l’a décrit initialement. Il touche d’autres cellules que le petit contingent de neurones dopaminergiques du locus niger, ce qui engendre divers symptômes non-moteurs témoignant de l’atteinte des voies sérotoninergiques, adrénergiques et cholinergiques (troubles cognitifs, du sommeil, de l’odorat et du goût, dépression et dysautonomie neurovégétative affectant les systèmes digestif et urinaire notamment). Son étiologie demeure mystérieuse. L’hypothèse d’un agent infectieux, conventionnel ou non (de type prion), qui atteindrait le système nerveux central via le nerf olfactif et/ou le système nerveux entérique par voie orale, a été récemment formulée (hypothèse de Braak), mais cet agent pathogène reste à identifier. L’alternative est un scénario « coup double » (dual-hit hypothesis) d’interaction entre une prédisposition génétique et un facteur environnemental déclenchant un stress oxydant et une neuro-inflammation chronique avec dysfonction cellulaire multiple (mitochondriale, lysosomiale, protéique, etc.).

La description, dans les années 1980, de cas de parkinsonisme aigu chez des consommateurs d’un opioïde de synthèse a lancé la recherche sur les effets d’expositions aux produits chimiques. La substance responsable a été identifiée (méthylphényltétrahydropyridine [MPTP], accidentellement produit au cours de la fabrication de la drogue) et les premiers modèles animaux de la maladie de Parkinson ont été développés. Toutefois, contrairement au Parkinson idiopathique, le syndrome parkinsonien induit par le MPTP, qui détruit sélectivement les neurones dopaminergiques, se limite aux signes cardinaux de la maladie (bradykinésie, rigidité, tremblement de repos). Le suivi des cas a montré que la symptomatologie n’était pas évolutive et les analyses post-mortem du tissu cérébral n’ont pas retrouvé l’accumulation caractéristique d’alpha-synucléine (corps de Lewy).

Où en sont les connaissances après trente ans de recherche d’un agent environnemental étiologique ? À partir d’une revue de la littérature publiée jusqu’en avril 2016, focalisée sur les études cas-témoins ayant inclus au moins 50 cas exposés à une substance spécifique, cet article décrit le niveau de preuve actuel pour des pesticides, des métaux et les polychlorobiphényles (PCB).

Fortes et faibles présomptions

Même si toutes les études ne sont pas concordantes, la littérature épidémiologique indique assez fortement que l’exposition à la roténone, au paraquat et à certains pesticides organochlorés (en particulier la dieldrine et l’hexachlorocyclohexane [HCH]) augmente le risque de maladie de Parkinson.

Ces associations sont soutenues par les résultats d’études expérimentales dans des modèles animaux et/ou par les données d’études mécanistiques. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’un pesticide « naturel » d’origine végétale, la roténone (principalement utilisée comme insecticide) entraîne une dysfonction mitochondriale (par inhibition du complexe I) à l’origine d’une dégénérescence progressive des neurones dopaminergiques centraux, et probablement aussi d’autres populations neuronales. L’herbicide paraquat, qui présente une analogie structurale avec le métabolite actif MPTP, est un inducteur de stress oxydant, comme la dieldrine qui altère également la fonction mitochondriale, mais de façon moins puissante que la roténone.

À l’opposé, les auteurs de cet article estiment que les preuves d’une association avec la maladie de Parkinson sont très faibles pour les deux métaux examinés : le fer et le manganèse. Les données chez l’homme sont rares et controversées pour le premier. En particulier, le doute persiste sur la signification (cause ou conséquence de la dégénérescence neuronale) des quantités élevées de fer mises en évidence dans le locus niger de sujets parkinsoniens. Quant aux syndromes parkinsoniens induits par une exposition importante au manganèse (ouvriers en métallurgie, dans la fabrication de batteries, patients sous nutrition parentérale à long terme, consommateurs de drogues synthétiques), il semblent clairement distincts de la maladie de Parkinson idiopathique.

Besoins de connaissances

La littérature concernant les PCB est peu concluante et mériterait d’être étoffée. Bien que ces produits aient été bannis depuis plusieurs décennies, leur persistance dans l’environnement et leur bioaccumulation dans les tissus gras continuent de menacer la santé de certaines populations, en particulier dans les régions où la consommation de viande de mammifères marins est importante.

Les auteurs relèvent également la pauvreté des recherches relatives aux pyréthrinoïdes, alors que cette nouvelle classe d’insecticides est actuellement très employée, y compris pour des usages domestiques. Quelques travaux expérimentaux suggèrent leur toxicité indirecte sur les neurones dopaminergiques, mais derrière l’allégation que les pesticides en général sont associés à la maladie de Parkinson, les données humaines concernant spécifiquement les pyréthrinoïdes sont très limitées. Les études manquent aussi pour les composés organophosphorés, développés en substitution aux organochlorés retirés du marché, et connus pour leurs effets neurotoxiques aigus. Quelques-unes indiquent que le risque de maladie de Parkinson lié à l’exposition chronique aux organophosphorés est accru chez les porteurs d’un variant génétique de la paraoxonase 1 (enzyme de détoxication sérique), montrant l’intérêt de mieux explorer les interactions gènes-environnement, en particulier pour les pesticides. Par ailleurs, tenant compte de l’évolution des connaissances sur la maladie, les investigateurs devraient s’efforcer d’élargir la palette des effets examinés à la neurotransmission non-dopaminergique et aux symptômes parkinsoniens non-moteurs.

L’évaluation de l’exposition aux pesticides reste la difficulté majeure pour les études épidémiologiques. Les auteurs notent à ce titre l’émergence d’une nouvelle approche consistant à estimer l’exposition ambiante aux pesticides à partir de données fournies par des systèmes d’informations géographiques ou des satellites de télédétection. Le développement de ce type de méthode, ainsi que de la biosurveillance, et une meilleure traçabilité de l’utilisation des produits chimiques, permettraient de disposer de données d’exposition plus objectives que les éléments déclaratifs recueillis par questionnaires ou entretiens.

Commentaires

L’étude épidémiologique de l’association entre maladie de Parkinson et expositions environnementales pose au chercheur un double défi méthodologique, celui général de la mesure de l’exposition, et celui spécifique de l’évaluation des effets de la maladie et de la définition du cas.

Les développements rapides de la recherche clinique en neurosciences sur cette pathologie évolutive, encore incurable, qui mobilise simultanément de nombreuses disciplines (neurologie, neurochirurgie, neuroimagerie, psychiatrie, neurophysiologie, médecine physique et de réadaptation), laissent espérer des progrès dans la compréhension de son mécanisme et de son étiologie, et plus immédiatement des traitements symptomatiques plus précoces et efficaces. Il est aussi raisonnable d’envisager pour un futur proche des progrès dans le diagnostic précoce de cette maladie neurodégénérative et dans la définition plus précise et plus complète de son syndrome.

Jean Lesne


Publication analysée :

* Nandipati S1, Litvan I. Environmental exposures and Parkinson's disease. Int J Environ Res Public Health 2016; 13: 881. doi: 10.3390/ijerph13090881

1 Department of Neurosciences Movement Disorders Center, University of California, San Diego, États-Unis.