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ANALYSE D'ARTICLE

Lignes à haute tension et leucémies de l’enfant au Royaume-Uni : analyses complémentaires

Revenant sur les résultats obtenus au Royaume-Uni, les auteurs de cet article présentent plusieurs analyses complémentaires effectuées en vue d’éclairer, notamment, la disparition de l’excès de risque de leucémie infantile à proximité des lignes à haute tension observé au cours de la période 1962-1989.

Re-examining results from the UK, the authors of this article report several further analyses that shed light, in particular on the decline observed between 1962 and 1989 of the elevated risk of childhood leukemia near high voltage power lines.

Le programme britannique d’investigation épidémiologique du lien entre les cancers de l’enfant et les lignes de transport d’électricité à haute tension (LHT) a donné lieu à cinq publications entre 2005 et 2015. Cet ensemble suggère l’existence d’un facteur qui peut, dans certaines circonstances, conduire à une augmentation du taux de leucémie infantile à proximité des LHT.

Après avoir dressé un portrait de ce facteur, qui reste à identifier, les auteurs de cet article présentent les résultats d’analyses complémentaires à celles ayant fait l’objet de leur publication de 2014[1, 2], dans la même population (53 506 cas de cancers, dont 16 630 cas de leucémies, diagnostiqués entre 1962 et 2008 chez des enfants de moins de 15 ans, témoins appariés sur le sexe, ainsi que sur la date et le district de naissance).

Cinq caractéristiques

Pour être en adéquation avec les résultats des travaux britanniques, le facteur causal recherché doit être propre aux leucémies (une relation avec les autres types de cancers étant écartée) et aux lignes aériennes. L’absence d’influence des lignes souterraines rapportée dans la dernière publication du groupe [3, 4], associée à l’excès de risque de leucémie jusqu’à une distance de 600 mètres d’une ligne aérienne rapporté dans la première [5], mettent hors de cause le champ magnétique généré par le transport d’électricité, ou, au minimum, écartent l’hypothèse qu’il contribue significativement à augmenter le risque de leucémie.

Selon les auteurs, « quelque chose d’autre », associé à la proximité d’une LHT, aurait donc un effet s’étendant sur plusieurs centaines de mètres autour des lignes. L’extension aux LHT 132 kV de la base de données (initialement limitée aux LHT 275-400 kV) suggère que cet effet opère aussi à ce niveau de tension plus faible, bien qu’il soit plus limité et s’étende moins loin. L’effet serait donc plus marqué pour des niveaux de tension élevés. Enfin, il aurait diminué depuis les années 1960 pour disparaître à partir des années 1990.

Ce déclin dans le temps a été mis en évidence en étendant la période d’observation jusqu’en 2008, et rapporté dans la publication de 2014 (l’analyse stratifiée par décennie aboutissait à un risque relatif [RR] de leucémie [adresse de naissance à moins de 200 m d’une ligne versus ≥ 1 000 m] égal à 4,50 [IC95 : 0,97-20,83] à partir des données de la période 1962-1969, à 2,46 [1,29-4,69] pour la période 1970-1980, puis RR = 1,54 [0,92-2,58] pour la décennie 1980-1989, 0,99 [0,66-1,49] pour la période 1990-2000 et enfin 0,71 [0,49-1,03]). La plupart des lignes ayant été établies au cours des années 1950 et 1960, ce déclin peut signifier un effet transitoire, durant une à quelques décennies, lié à la nouveauté de la ligne. L’autre hypothèse est qu’un facteur étiologique quelconque, présent par le passé, n’existe plus de nos jours. Les implications opposées de ces deux interprétations pour la santé publique – dans le premier cas la construction d’une nouvelle LHT pourrait être préoccupante, dans le second il n’y aurait plus rien à craindre – justifiaient la réalisation de nouvelles analyses.

Investigation de la tendance temporelle

Les auteurs ont effectué deux analyses stratifiées, par année de diagnostic d’une part, et selon l’ancienneté de la construction de la ligne d’autre part, en considérant pour ces deux variables des intervalles de 10 années. Les résultats de ces deux analyses, comparables en tout point par ailleurs, montrent que la variable « année de diagnostic » explique mieux la diminution de l’effet de la proximité d’une LHT dans le temps que la variable « ancienneté de la ligne ». Des analyses multivariées confirment le poids nettement plus important de l’année du diagnostic dans la tendance observée. Les auteurs en concluent, avec prudence, tenant compte en particulier de la corrélation étroite entre les deux variables testées (coefficient de Spearman = 0,70), que la construction d’une nouvelle ligne de nos jours ne devrait pas produire un excès de risque de leucémie équivalent à ce qui fut rapporté par le passé.

L’objectif de ces nouvelles analyses était d’identifier l’interprétation dominante parmi deux possibles devant les résultats obtenus dans la base de données britannique, et pas de faire émerger une hypothèse mécanistique pouvant expliquer ces résultats. Les auteurs retiennent toutefois la piste de la mobilité résidentielle comme la plus plausible. Le déclin du risque de leucémie après une augmentation initiale suivant la construction d’une nouvelle infrastructure concorde avec l’hypothèse infectieuse liée à un brassage de population de Kinlen. Une investigation du groupe britannique a échoué à identifier un rôle de la mobilité résidentielle à proximité des lignes, mais cette mobilité est difficile à appréhender et à mesurer dans toutes ses dimensions socio-économiques et démographiques.

Autres analyses complémentaires

L’article présente également trois analyses de sous-groupes à la recherche de l’influence de l’âge de l’enfant au moment du diagnostic, du type de leucémie et de la région. Leurs résultats suggèrent que l’élévation du risque observée par le passé a été plus importante dans la tranche d’âge 10-14 ans et pour les leucémies myéloïdes, qui ne représentaient que 26 % des cas. Cette forme de leucémie survenant plus tardivement que la leucémie aiguë lymphoblastique, les résultats des deux analyses ne sont pas indépendants.

Aucune tendance claire n’émerge de l’analyse selon la région de naissance, sinon une faible indication que l’excès de risque aurait pu être plus fort dans les zones les plus urbanisées.

Commentaire

Ces deux nouvelles publications, menées sur des effectifs conséquents (la leucémie de l’enfant est une maladie rare), ne montrent pas de relation entre l’exposition au champ magnétique d’extrêmement basse fréquence des lignes à haute tension et le risque de leucémie de l’enfant. Depuis la 1ère publication de Wertheimer en 1979, pas moins de 40 études épidémiologiques ont été publiées sur ce sujet, venant aussi bien d’Europe, que des Amériques (du Nord et du Sud) et du Japon. Il sera difficile, voire impossible, de faire mieux en terme de puissance.

Il est intéressant de voir que Bunch émet l’hypothèse de la mobilité résidentielle pour expliquer les associations positives retrouvées dans les premières études. Elle rejoint la thèse de Kinlen qui expliquait la survenue de leucémies autour de l’usine de retraitement de Sellafield par l’hypothèse du brassage de populations et d’un mécanisme infectieux.

Si le sujet méritait de faire des recherches approfondies après la publication de 1979, ce qui a été largement réalisé de par le monde, on peut se poser la question de la poursuite de ces investigations, d’autant que les très nombreuses études expérimentales aussi bien animales que cellulaires n’ont pas permis d’apporter des éléments mécanistiques.

Il reste encore à progresser sur les mécanismes en cause dans les leucémies de l’enfant, mais le champ magnétique 50 Hz ne semble pas être un facteur causal.

Pierre-André Cabane

  • [1] Bunch K.J., Keegan T.J., Swanson J., Vincent T.J., Murphy M.F.G. Residential distance at birth from overhead high-voltage powerlines: childhood cancer risk in Britain 1962-2008. Br J Cancer. 2014;110:1402-1408.
  • [2] Environ Risque Sante 2014; 13: 284-6.
  • [3] Bunch K.J., Swanson J., Vincent T.J., Murphy M.F.G. Magnetic fields and childhood cancer: an epidemiological investigation of the effects of high-voltage underground cables. J Radiol Prot. 2015;35:695-705.
  • [4] Environ Risque Sante 2016;15:188-90.
  • [5] Draper G., Vincent T., Kroll M.E., Swanson J. Childhood cancer in relation to distance from high voltage power lines in England and Wales: case-control study. BMJ. 2005;330:1290-1294.

Publication analysée :

* Bunch KJ1, Swanson J, Vincent TJ, Murphy MFG. Epidemiological study of power lines and childhood cancer in the UK: further analyses. J Radiol Prot 2016; 36: 437-55. doi: 10.1088/0952-4746/36/3/437

National Perinatal Epidemiology Unit, Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Royaume-Uni.