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ANALYSE D'ARTICLE

L’exposome : où en est-on ?

En douze ans d’existence, l’exposome est passé d’un concept à l’apparence aussi prometteuse que déroutante à un sujet d’études ambitieuses qui font avancer l’évaluation de l’exposition et dont les fruits pourraient améliorer la pratique de l’épidémiologie.

In its 12 years of existence, the exposome has gone from a promising yet daunting concept to the subject of ambitious studies that provide new methods of measuring exposure, the findings of which could improve the practice of epidemiology.

Proposé en 2005 par Christopher Wild, le concept d’exposome visait à attirer l’attention des chercheurs sur la nécessité d’étendre le plus largement possible le champ des expositions environnementales considérées pour mieux comprendre ce qui détermine la survenue d’une maladie chronique multifactorielle comme un cancer, un diabète, une affection cardiovasculaire ou neurodégénérative. L’idée étant que l’état de santé d’un individu est influencé, toute sa vie durant, par l’interaction entre facteurs génétiques et environnementaux, l’exposome s’entend comme la totalité des expositions auxquelles cet individu est soumis, de sa conception à sa mort.

Par nature, l’exposome est dynamique, en évolution constante. Défini comme tout ce qui n’est pas le génome, il est également très vaste, partant des caractéristiques physiologiques propres à l’individu (âge, morphologie, microbiote intestinal, etc.) pour s’étendre jusqu’aux déterminants sociaux de la santé (niveau d’études, lieu de résidence, statut socio-économique, etc.), en passant par les expositions dites spécifiques (polluants environnementaux, aliments, agents présents dans l’environnement professionnel, etc). Ces trois domaines de l’exposome (expositions internes, externes spécifiques et externes générales) se recouvrent partiellement, ce qui fait discuter l’appartenance à l’un ou l’autre de certains composants (comme l’activité physique). De plus, les limites de l’exposome se sont étendues depuis sa définition initiale au gré d’apports successifs (facteurs comportementaux, épigénétique, processus endogènes, impacts biologiques des expositions, etc.).

Caractériser complètement l’exposome d’un individu n’est pas faisable actuellement, ne le sera pas dans un proche futur, et cette entreprise pourrait ne jamais être menée à bien. Pour autant, des études destinées à prouver la validité du concept ont été lancées, comme, en Europe, the Human Early-Life Exposome (HELIX) Project, qui implique 13 institutions partenaires et exploitera les données de six cohortes de naissances, et EXPOsOMICS qui vise à faire le lien entre des données d’exposition externes et internes fournies par des techniques nouvelles, utilisées pour la première fois à large échelle.

S’il présente des aspects insaisissables et décourageants, l’exposome est bel et bien en cours d’exploration. C’est que le concept s’est inscrit dans un mouvement déjà en marche pour les auteurs de cet article.

Améliorer l’évaluation de l’exposition

En amenant à reconnaître l’impact d’expositions multiples sur l’état de santé, et par conséquent l’intérêt (mais aussi la complexité) de l’évaluation de l’exposition totale dans la perspective de la gestion des risques, l’exposome a rejoint l’évolution de l’expologie. Cette discipline de terrain vouée à l’étude des conditions du contact avec des agents toxiques et de leur pénétration dans l’organisme, était initialement focalisée sur les expositions et risques professionnels. L’expologie s’est élargie à la santé publique et aux questions des expositions multiples en population générale. L’échantillonnage de milieux environnementaux (air, eau, aliments) ne suffisant plus pour estimer précisément le niveau d’exposition d’un individu ou d’une population (qui dépend notamment du budget espace-temps-activité), l’expologie a intégré l’utilisation de biomarqueurs.

Les biomarqueurs, qu’ils soient d’exposition, d’effets (sur le métabolisme, l’expression des gènes, etc.) ou de susceptibilité individuelle, constituent l’un des principaux moyens d’exploration du domaine interne de l’exposome. Le développement des méthodes « omiques » (métabolomique, protéomique, adductomique, etc.) a ouvert la voie à l’identification d’une large variété de biomarqueurs d’intérêt possibles pour des études de type exposomique. D’autres moyens d’investigation sont utilisés pour les domaines externes, certains traditionnels (questionnaires, matrices emploi-exposition, systèmes d’informations géographiques) et d’autres issus des nouvelles technologies comme les capteurs individuels, applications mobiles et autres systèmes pouvant enregistrer un grand nombre d’informations relatives à l’activité d’un individu, aux lieux qu’il fréquente, aux expositions auxquelles il est confronté et à son état physiologique. La mesure de l’exposome fait appel à tous les moyens de collecte de données disponibles, des plus conventionnels (les enquêtes fondées sur des questionnaires restent par exemple nécessaires pour documenter les expositions passées) aux plus avancés comme les « omiques ». La recherche dans le domaine de l’exposome mobilise la combinaison d’outils variés et favorise l’identification de l’utilité et des faiblesses de chacun, ainsi que l’amélioration d’outils pré-existants et le développement de nouvelles techniques de mesure.

Utilité pour l’épidémiologie

Tout en soutenant que la recherche en épidémiologie peut bénéficier des principes et outils utilisés pour les études « exposomiques », l’article expose leurs limites et les difficultés de leur incorporation à l’épidémiologie classique. Ainsi, si le plan d’étude idéal pour établir un lien de causalité entre une exposition et un état de santé est la cohorte prospective longitudinale, en l’état actuel, l’approche « exposomique » ne change pas le fait que ni les données environnementales ni les données de biosurveillance « omiques », qui nécessitent des prélèvements sanguins, ne peuvent être collectées en permanence. Le suivi de la population ne peut qu’être discontinu, formé d’une série d’enquêtes transversales à des moments clés de l’existence, identifiés comme pertinents pour le développement et l’évolution de l’individu.

Un point crucial pour la réalisation d’études épidémiologiques est le défi d’ordre statistique que pose le traitement de données « exposomiques », du fait de la quantité de variables potentiellement prédictives. Si les méthodes habituellement utilisées en épidémiologie peuvent permettre de tester simultanément un certain nombre d’hypothèses, les comparaisons multiples augmentent la probabilité de résultats faussement positifs, mais aussi de faux négatifs, surtout si la puissance statistique est insuffisante ou que la stratégie de correction est trop conservatrice. Des méthodes de réduction du nombre de variables à quelques facteurs synthétiques (composantes principales) doivent être mises au point, sachant que le volume des variables de départ et leurs corrélations compliqueront la construction de ces facteurs.

 


Publication analysée :

* DeBord DG1, Carreón T, Lentz T, Middendorf P, Hoover M, Schulte P. Use of the ‘exposome’ in the practice of epidemiology : a primer on –omic technologies. Am J Epidemiol 2016; 184: 302-14. doi: 10.1093/aje/kwv325

1 National Institute for Occupational Safety and Health, Cincinnati, États-Unis.