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ANALYSE D'ARTICLE

Les reportages alarmants peuvent-il induire une électrohypersensibilité ?

Montrant qu’un film qui augmente le niveau d’inquiétude vis-à-vis des effets sanitaires des champs électromagnétiques accroît la perception d’une stimulation somatosensorielle anodine, cette expérience chez des sujets sains fournit des arguments en faveur d’une influence des médias dans le développement de l’électrohypersensibilité.

This experiment among healthy subjects showed that a film that raises the level of anxiety about the health effects of electromagnetic fields increased the perception of a harmless somatosensory stimulation and supports the notion of media influence in the development of electrohypersensitivity.

Les personnes souffrant d’une intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques (IEI-CEM) ressentent de nombreux symptômes non spécifiques qu’elles imputent à une faible exposition aux CEM, bien qu’aucun mécanisme bioélectromagnétique ne semble pouvoir l’expliquer. Lors des tests en aveugle de type « exposition visible versus cachée ou effective versus fictive », ces personnes ne montrent pas une capacité particulière à détecter un CEM et ne rapportent pas plus de symptômes durant l’exposition réelle qu’au cours des simulations. Si la cause de ce trouble demeure mystérieuse, il affecte une fraction considérable de la population des pays occidentaux, avec des conséquences potentiellement importantes. L’IEI-CEM conduit à tenter d’éviter autant que possible le contact avec des sources émettrices, à essayer divers moyens de « protection contre les ondes », à restreindre ses déplacements, et finalement à s’isoler de son environnement social et physique.

L’exploration des mécanismes psychosociaux qui pourraient contribuer à l’IEI-CEM n’en est qu’à ses débuts. Parmi les hypothèses étiologiques, sont évoqués le stress induit par une utilisation des technologies de l’information et de la communication dépassant les capacités d’adaptation (technostress), le besoin de trouver une cause à des symptômes médicalement inexpliqués, et certains traits de personnalité comme la tendance à la somatisation, à l’amplification somatosensorielle (attention et sensibilité accrues à des sensations corporelles anodines), une affectivité de type négative et l’anxiété. Les médias (télévision, presse, Internet) pourraient également participer à l’étiologie du trouble en diffusant des informations sans fondement scientifique sur la nocivité des CEM, des publicités pour des dispositifs « anti-ondes » et des témoignages de personnes « électrosensibles ».

L’effet d’un reportage inquiétant sur la perception somatosensorielle a été étudié chez des volontaires sains mis en condition d’exposition simulée à un CEM. L’influence des traits anxieux et de la tendance à l’amplification somatosensorielle, respectivement mesurés à l’inclusion sur les échelles STAI-T (State Trait Anxiety Inventory) et SSA (Somatosensory Amplification) a été examinée. Les investigateurs ont par ailleurs mesuré l’impact de l’expérience sur les niveaux d’anxiété (STAI-6), de préoccupations sanitaires vis-à-vis des nouvelles technologies en général (Modern Health Wories Scale [MHWS]) et des rayonnements en particulier (MHW-R), et de sensibilité perçue aux CEM (Sensitive Soma Assessment Scale [SSAS]).

Déroulement de l’expérience

Les 65 participants, recrutés au sein d’un campus universitaire allemand, ont été répartis par randomisation en deux groupes : WiFi (n = 33) et témoin (n = 32), appelés à visionner un court reportage (6 min) de nature différente. Celui du groupe WiFi, d’allure scientifique, montrait un médecin testant l’impact d’un rayonnement électromagnétique chez un patient atteint de sclérose en plaques et un ingénieur mesurant le niveau du CEM dans une maison de famille classique. Le reportage du groupe témoin avait trait au commerce illégal de téléphone portable et montrait la réaction de personnes à qui on proposait un appareil volé. Les deux films avaient été diffusés sur les chaînes de télévision publiques allemandes.

À leur arrivée, les participants étaient priés d’éteindre leur portable (au motif d’interférences avec les rayonnements électromagnétiques), informés que l’objectif de l’expérience était de mesurer les perceptions corporelles durant l’exposition à ces rayonnements, et installés sur des chaises équipées d’un amplificateur de signal WiFi d’un côté et d’une grosse antenne de l’autre, afin qu’ils soient « entourés d’un champ homogène ». L’expérimentateur se plaçait derrière une paroi recouverte d’une feuille d’aluminium. Cette mise en scène avait pour but de leur faire croire que le CEM baignant la salle allait être deux fois plus puissant qu’un champ habituel. Les participants étaient avertis que l’exposition pouvait augmenter leur perception somatosensorielle et que certains pourraient ressentir des symptômes transitoires (vertiges, céphalées, etc.).

L’expérience commençait par le remplissage du STAI-6 puis l’un ou l’autre film était projeté et immédiatement après le sujet remplissait le MHWS et de nouveau le STAI-6. Il était ensuite familiarisé à l’utilisation d’une échelle visuelle analogique (EVA) graduée de 0 (non perceptible) à 100 (sensation à peine douloureuse), équipé d’électrodes placées sur la paume de la main non dominante et une procédure de calibration automatisée déterminait son seuil de perception tactile du stimulus électrique, utilisé pour fixer le niveau d’une impulsion faible (1,2 fois le seuil) et forte (1,8 fois). Le sujet était ensuite soumis à une série de 96 tests d’une durée de 24 secondes suivant un ordre aléatoire, au cours desquels il devait coter l’intensité du stimulus reçu. La moitié des tests était censée se dérouler avec un routeur WiFi en marche, comme le représentait le symbole « WiFi ON » (antenne entourée de demi-cercles), l’autre moitié avec le routeur éteint (« WiFi OFF » : antenne seule). Après une phase d’anticipation de 4 secondes, les symboles s’allumaient en vert ou rouge, signalant le début d’une période de 4, 6 ou 8 s au cours de laquelle le sujet recevait (ou pas) une impulsion faible ou forte. Il disposait de 8 s pour la coter et d’un intervalle libre de 4, 6 ou 8 sec (dépendant de la durée de la phase de stimulation électrique éventuelle). Afin de tenir compte de l’influence possible de la couleur, « WiFi ON » s’affichait en vert pour la moitié des participants et en rouge pour l’autre. Chaque sujet recevait au total 12 impulsions faibles et 12 fortes (24 tests sans stimulation) dans les deux configurations (pas d’exposition au CEM ou exposition simulée). Une fois le protocole achevé, les participants remplissaient de nouveau le SSAS, le MHWS et le STAI-6.

Deux participants du groupe WiFi ont été exclus de l’analyse (compétences linguistiques insuffisantes et données d’expérience implausibles), ramenant ce groupe à 31 sujets (âge moyen 25,8 ans et 64,5 % de femmes versus 24,5 ans et 75 % de femmes dans le groupe témoin).

Principales observations

La répartition des scores à l’EVA indiquait, dans les deux groupes, une distinction correcte des stimuli nuls, faibles et forts (qui n’ont jamais été cotés 100 au cours de l’expérience), dont les intensités perçues étaient plus élevées dans le groupe WiFi que dans le groupe témoin, avec une différence significative en situation d’exposition simulée au CEM (p = 0,016). La surcotation des stimuli en général (p = 0,004), et celles des stimuli forts (p = 0,032) et faibles (p = 0,02) en particulier, était corrélée à la tendance à l’amplification somatosensorielle, tandis que l’anxiété n’avait pas d’influence contrairement à l’attendu. Les niveaux d’anxiété étaient d’ailleurs comparables entre les deux groupes et évoluaient parallèlement au cours de l’expérience (avant la projection du film, après et à l’issue des tests, les scores STAI-6 moyens étaient respectivement de 10,3, 10,6 et 9,7 dans le groupe WiFi et de 10,10,3 et 9,5 dans le groupe témoin). Le niveau de préoccupation vis-à-vis des nouvelles technologies et des CEM en particulier (scores MHWS et MHW-R) augmentait dans les deux groupes, l’effet étant plus marqué dans le groupe WiFi, avec une différence significative pour l’inquiétude concernant les CEM (score MHW-R moyen égal à 5 avant la projection du film et à 6,8 à l’issue des tests versus respectivement 5,2 et 5,6 dans le groupe témoin, p = 0,007). De plus, les sujets du groupe WiFi se percevaient plus sensibles aux CEM à la fin de l’expérience (score SSAS moyen = 10,5) qu’au début (8,9), contrairement aux sujets du groupe témoin (score SSAS moyen = 9,3 puis 8,9).

Le ressenti des participants a été recueilli à l’achèvement du protocole avant que des explications leur soient données. Une majorité avait adhéré à l’expérience, tandis que 12 participants (cinq du groupe WiFi et sept du groupe témoin) avaient songé à un test de type « placebo ». Interrogés sur leur degré de croyance qu’un signal WiFi avait réellement été appliqué, 15 participants (9 du groupe WiFi et 6 du groupe témoin) étaient particulièrement sceptiques et 26 (14 du groupe WiFi et 12 du groupe témoin) particulièrement convaincus.

Du fait de ce débriefing, les traces laissées par l’expérience n’ont pas été évaluées. Les auteurs notent qu’il aurait été intéressant de mesurer son effet sur la dimension « affective » de la perception somatosensorielle en complément de la dimension « intensité ». De futures études pourraient apporter un éclairage sur ce point et contribuer à examiner la responsabilité des informations alarmantes relayées par les médias dans le phénomène d’électrosensibilité.


Publication analysée :

* Bräsher A-K1, Raymaekers K, Van den Bergh O, Witthöft M. Are media reports able to cause somatic symptoms attributed to WiFi radiation ? An experimental test of the negative expectation hypothesis. Environ Res 2017; 156: 265-71. doi: 10.1016/j.envres.2017.03.040

1 Johannes Gutenberg University Mainz, Department for Clinical Psychology, Psychotherapy, and Experimental Psychopathology, Mayence, Allemagne.