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ANALYSE D'ARTICLE

Inflammation intra-utérine et exposition aux PM2,5 avant et pendant la grossesse

Cette étude fait la jonction entre deux associations précédemment identifiées : la première reliant l’exposition aux PM2,5 à la prématurité, et la seconde la prématurité à l’inflammation intra-utérine.

This study shows that exposure to PM2.5 increases the risk of intrauterine inflammation, linking two previously identified but separate associations: the first between exposure to PM2.5 and preterm birth, and the second between preterm birth and intrauterine inflammation.

L’exposition prénatale aux particules fines (PM2,5) a été associée à la prématurité et au faible poids de naissance. Le mécanisme biologique sous-jacent est encore méconnu, mais la piste de l’inflammation retient l’intérêt. Le stress oxydant dû à l’exposition aux particules atmosphériques pourrait en effet générer un état d’inflammation systémique chronique nuisible au développement et aux fonctions placentaires. Cette hypothèse est soutenue par une récente étude chez des rates gestantes, qui indique que le placenta peut être affecté par l’inflammation. Chez l’homme, l’exposition aux particules a été reliée à la concentration de protéine C-réactive (marqueur de l’inflammation) dans le sang du cordon, mais aucune preuve directe d’une relation avec l’inflammation intra-utérine (IIU), facteur de risque d’accouchement prématuré, n’existait avant cette étude.

Cette relation est plus difficile à examiner que l’effet de l’exposition aux PM2,5 sur l’âge gestationnel ou les mensurations du nouveau-né, informations qui peuvent être extraites de registres de naissances et reliées à des données de pollution atmosphérique dans de vastes cohortes. La mise en évidence d’une IIU requiert la collecte et l’analyse d’échantillons biologiques et de données cliniques, ce qui a été fait dans une sous-population de la Boston Birth Cohort (BBC). Cette cohorte mère-enfant établie en 1998 et toujours en cours, inclut une population majoritairement urbaine et composée de minorités ethniques, dans laquelle les effets de la pollution de l’air sur la reproduction et le développement fœtal ont été peu étudiés, malgré un excès de risque à la fois d’exposition et de naissance prématurée.

 

Population et méthode

L’échantillon disponible pour cette analyse réunissait 5 059 participantes à la BBC, recrutées entre 1999 et 2012 au Boston Medical Center dans les 24 à 48 heures après leur accouchement, dont 49,2 % d’Afro-Américaines et 27,6 % de Latino-Américaines. L’IIU était définie par une fièvre supérieure à 38̊C pendant le travail et/ou des signes d’inflammation à l’examen histologique du placenta, réalisé par l’anatomopathologiste de l’hôpital (inflammation aiguë ou chronique en une ou plusieurs localisations incluant les caduques, la plaque choriale, le chorion, l’amnios et le cordon ombilical). Les données de température et histologiques étaient respectivement disponibles pour 93,9 % et 47,4 % des parturientes.

La prévalence de l’IIU était de 18 % (n = 910), plus élevée chez les femmes qui avaient accouché prématurément (24,1 %) et très prématurément (avant 34 semaines d’aménorrhée [SA] : 37,5 %) que chez celles qui avaient accouché à terme (15,2 %). Les deux critères diagnostiques étaient réunis pour 118 femmes, tandis que l’IIU avait été établie sur l’aspect histopathologique du placenta uniquement pour 563 participantes (non fébriles : 478, température manquante : 85) et sur la fièvre uniquement pour 229 autres (histologie négative : 82, manquante : 147).

L’exposition individuelle aux PM2,5 en périodes de pré-conception (les trois mois précédant la grossesse) et de grossesse (totalité, chaque trimestre et dernier mois) a été estimée sur la base des données de mesures de la station de surveillance de la qualité de l’air la plus proche du domicile, en prenant en compte les déménagements (11,9 % des participantes). Des 26 stations couvrant la zone de l’étude, 13 remplissaient le critère d’inclusion (au moins une mesure des PM2,5 par semaine pendant 75 % de la période d’observation) et l’excédaient même largement : les mesures avaient été réalisées tous les trois jours et, pour de courtes périodes, quotidiennement. La distance au domicile était en moyenne de 7 km et seules 5 % des adresses étaient éloignées de plus de 23,4 km d’un capteur.

Pour chaque fenêtre d’exposition considérée, la concentration journalière moyenne des PM2,5 a été divisée en quartiles et le premier a servi de référence pour calculer les odds ratio (OR) d’IIU dans les trois autres groupes. L’effet d’une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau des PM2,5 a également été estimé. Les covariables contrôlées étaient le sexe de l’enfant, la parité, la saison de naissance, et pour la mère, son tabagisme, son groupe ethnique, son âge, son indice de masse corporelle de pré-grossesse, ainsi que son niveau d’études.

 

Mise en évidence d’un effet des PM2,5

L’exposition apparaît associée au risque d’IIU quelle que soit la fenêtre et les résultats suggèrent une relation dose-réponse monotone. En période de pré-conception, l’OR dans le groupe le plus exposé (concentration journalière moyenne des PM2,5 comprise entre 12,73 et 29 μg/m3) est égal à 1,52 (IC95 : 1,22-1,89) et l’OR par incrément d’un IIQ (3,67 μg/m3) est égal à 1,05 (0,97-1,14). Pour le premier trimestre de la grossesse, des excès de risque significatifs sont observés dans les troisième (PM2,5 : 10,96-12,72 μg/m; OR = 1,41 [1,13-1,77]) et quatrième (PM2,5 : 12,72-27,72 μg/m; OR = 1,93 [1,55-2,40]) quartiles d’exposition (OR par IIQ = 1,30 [1,19-1,42]). L’association dans le dernier quartile persiste après ajustement sur l’exposition durant la période de pré-conception ainsi que les deuxième et troisième trimestres (OR = 1,85 [1,37-2,50]).

Lorsque la fenêtre d’exposition considérée est le deuxième trimestre, l’OR est égal à 1,39 (1,11-1,74) dans le troisième quartile, à 1,67 (1,35-2,08) dans le dernier, et à 1,31 (1,20-1,43) par incrément d’un IIQ du niveau des PM2,5. Les OR sont également élevés dans le groupe le plus exposé durant le troisième trimestre de la grossesse (1,53 [1,24-1,90]) et sa totalité (1,92 [1,55-2,37]), avec une relation dose-réponse positive (OR par IIQ respectifs : 1,09 [1-1,19] et 1,41 [1,39-1,54]). Enfin, pour le mois précédant l’accouchement, les résultats sont significatifs dans les troisième (1,44 [1,16-1,79]) et quatrième (1,41 [1,13-1,77]) quartiles (OR par IIQ = 1,13 [1,04-1,23]).

Ces résultats apparaissent robustes à des analyses de sensibilité dans la sous-population des femmes résidant à moins de 10 km d’une station (n = 4 357, dont 768 cas d’IIU) ou à moins de 4 km (n = 1 719, 307 cas).

Le niveau des PM2,5 dans l’air ambiant a diminué au fil du temps dans la région étudiée : à Boston, la concentration journalière moyenne était égale à 16,3 μg/m3 en 1999 et à 9,5 μg/m3 en 2012. Tenant compte de cette évolution, les auteurs ont réalisé des analyses séparées pour les années 1999 à 2005 (au cours desquelles 66,6 % des participantes ont été incluses, dont 72,3 % des cas d’IIU) et pour les années 2006 à 2012. Les résultats pour la première période sont cohérents avec ceux de l’analyse principale, les associations les plus fortes étant toujours observées pour les fenêtres d’exposition du premier trimestre de la grossesse (OR dernier versus premier quartile = 2,30 [1,58-3,34]) et de sa durée totale (OR = 2,57 [1,75-3,76]). Des associations n’émergent pas dans la période la plus récente, mais les groupes les plus exposés étaient très petits, les mêmes valeurs seuils que pour l’analyse principale ayant été appliquées pour cette analyse stratifiée. Ainsi, 921 témoins et 284 cas étaient classés dans le groupe le plus exposé durant le premier trimestre de la grossesse pour la période 1999-2005, contre seulement 24 témoins et quatre cas pour la période 2006-2012.

D’une manière générale, les résultats de cette étude qui montre un effet des PM2,5 pour des niveaux ambiants relativement faibles, ne permettent pas d’identifier un seuil « sans danger ». Les auteurs soulignent que 68,61 % des participantes étaient exposées à des concentrations inférieures à l’objectif de qualité de l’air actuellement en vigueur aux États-Unis (12 μg/m3 depuis la dernière révision en 2013). Cet objectif a été fixé au regard des preuves d’effets sur la mortalité prématurée et les affections respiratoires chroniques. La littérature épidémiologique croissante montrant des risques pour le fœtus devrait être considérée à l’avenir.

 

Commentaires

Il est frappant de constater que quatre brèves de ce numéro, reprenant cinq articles scientifiques publiés dans des journaux internationaux à bon facteur d’impact, traitent des effets de la pollution atmosphérique sur plusieurs paramètres obstétricaux. Ainsi les risques étudiés concernent :

  • La prématurité

-  cohortes de naissances espagnoles (Estarlich et al., Environmental Research) ;

- cohorte de naissances à Boston, créée en 1998 et toujours en cours (Nachman et al., Environmental Health Perspectives).

La prématurité est ici attribuée à une pathologie inflammatoire de l’utérus, elle-même attribuée à l’exposition aux particules fines (PM2,5).

  • Le petit poids de naissance :

- cohorte de naissances portant sur la quasi-totalité du territoire des États-Unis en 2002 (Hao et al., Environmental Health Perspectives) ;

- huit cohortes européennes de naissances survenues entre 1994 et 2008 (Pedersen et al., Environmental Health Perspectives.

  • La rupture prématurée des membranes : cohorte de naissances survenues dans 12 États nord-américains entre 2002 et 2008 (Wallace et al., American Journal of Epidemiology).

Dans ces études les résultats sont certes significatifs, mais l’augmentation suggérée du risque de pathologie obstétricale ou périnatale est toujours modérée, même pour des pics de pollution significatifs. La convergence des résultats est à souligner, et rend possible une relation causale entre l’exposition et les pathologies. On ne peut cependant pas écarter un facteur de confusion difficile à contrôler, à savoir le niveau socio-économique : le niveau de pollution des quartiers défavorisés est le plus souvent supérieur à celui des « beaux » quartiers, et les pathologies étudiées (prématurité, petit poids de naissance et rupture prématurée des membranes) sont négativement corrélées au revenu des familles. Toutes les études tentent de contrôler ce facteur, mais l’ajustement n’est jamais très précis : soit il est fait sur le comté de résidence (étude des petits poids de naissance), soit sur la catégorie socioprofessionnelle (qui manque de précision, d’autant plus qu’on ne dispose pas de celle du conjoint [étude sur la prématurité]), soit sur la couverture assurancielle (étude sur la rupture prématurée des membranes). Les autres aspects méthodologiques sont cependant de bonne qualité, qu’il s’agisse de la mesure des expositions ou des autres facteurs de confusion, et ces études constituent des raisons supplémentaires de développer encore les efforts de réduction de la pollution par les particules fines.

Elisabeth Gnansia


Publication analysée :

* Nachman RM1, Mao G, Zhang X, et al. Intrauterine inflammation and maternal exposure to ambient PM2,5 during preconception and specific periods of pregnancy: the Boston birth cohort. Environ Health Perspect 2016; 124: 1608-15. doi: 10.1289/EHP243

Department of Environmental Health Sciences, Johns Hopkins University Bloomberg School of Public Health, Baltimore, États-Unis.