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ANALYSE D'ARTICLE

Impact sur la mortalité de cinq facteurs nuisibles à la santé des citadins 

Cette évaluation conjointe de l’impact sur la mortalité de cinq facteurs liés à la configuration de la ville et au trafic à Barcelone est le premier travail de ce type. Il met en évidence un poids important du non-respect des recommandations internationales concernant le seuil minimum d’activité physique et la limite d’exposition aux particules fines, dégageant deux principaux leviers d’action pour une politique d’aménagement urbain et de transport plus favorable à la santé.

This joint assessment of the impact on mortality of five factors relating to urban design and traffic in Barcelona is the first work of its kind. It highlights the burden of noncompliance with international recommendations for minimum levels of physical activity and fine-particle exposure limits, and identifies key strategies for urban development and transport policies that promote healthy living.

Certains aspects de la vie urbaine sont propices au bien-être et à la santé, d’autres sont délétères, en particulier le manque d’activité physique et de contact avec la nature, et l’exposition accrue aux polluants de l’air, au bruit et à la chaleur estivale. L’impact sur la mortalité de ces cinq facteurs a été estimé dans la population de Barcelone, la deuxième ville la plus densément peuplée d’Espagne après Madrid (1 620 943 habitants en 2012 pour une superficie de 101 km2), qui présente une pollution atmosphérique et des niveaux de bruit parmi les plus élevés d’Europe. Barcelone est également caractérisée par une faible surface d’espaces verts (en moyenne 6,8 m2 par habitant) et un effet îlot de chaleur urbain marqué, la température ambiante au cœur de la ville pouvant atteindre jusqu’à 8̊ C de plus que celle des collines alentour.

Méthode

Utilisant les données d’exposition et de mortalité (toute cause non accidentelle) chez les plus de 20 ans pour l’année 2012, les auteurs ont calculé la fraction de mortalité attribuable au non-respect des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant l’activité physique, l’exposition au bruit et aux PM2,5, ainsi que la disponibilité des espaces verts. Pour chaque facteur la différence entre l’exposition observée et recommandée a été déterminée, puis son impact a été quantifié en nombre de décès annuels dans la population barcelonaise adulte (≥ 20 ans) après application d’une fonction exposition-réponse issue de la littérature. Elle provenait de méta-analyses récentes pour l’activité physique, l’exposition aux PM2,5 ainsi qu’aux espaces verts. En revanche, pour le bruit, seule une étude de type écologique rapportant le risque relatif de mortalité associé à l’exposition à un niveau sonore diurne (bruit du trafic) dépassant 60 dB (versus une limite recommandée de 55 dB) était disponible.

En l’absence de recommandation internationale relative à la chaleur, les auteurs ont d’abord estimé le nombre de morts attribuables à une température moyenne journalière excédant la valeur optimale pour la ville de Barcelone (température de mortalité minimale [TMM] égale à 21,8̊ C). Une relation exposition-réponse linéaire dérivée d’une étude de séries temporelles a été appliquée pour la plage des températures comprises entre le 74e percentile de la distribution (correspondant à la TMM) et le 99e percentile. Le calcul a été répété dans la situation fictive, mais atteignable selon la littérature, d’un rafraîchissement de 4̊ C de la température moyenne estivale obtenu par des mesures de lutte contre les îlots de chaleur. Le nombre de morts imputables aux jours de forte chaleur dans ce scénario a été déduit de l’estimation fondée sur la situation réelle.

Éclairage fourni par les résultats

L’étude identifie la sédentarité et la pollution de l’air comme les deux principaux facteurs contribuant à une surmortalité évitable par le respect des préconisations de l’OMS.

Exprimée sous forme d’équivalent métabolique tenant compte de l’intensité (Metabolic Equivalent of Task – MET), la durée minimum d’activité physique hebdomadaire recommandée est de 600 MET-min pour les adultes jusqu’à 64 ans et de 450 MET-min à partir de 65 ans. L’extrapolation à la totalité de la population des résultats d’une enquête de santé réalisée en 2011 auprès d’un échantillon représentatif des Barcelonais (incluant 2 486 personnes de 20 à 64 ans et 793 plus âgées) donne un niveau moyen d’activité respectivement égal à 77,7 et 36,7 MET-min/semaine dans les deux tranches d’âge. L’écart entre les valeurs recommandées et observées se traduit par un nombre de 1 154 décès prématurés imputables à l’inactivité physique pour l’année 2012 (IC95 : 858 à 1 577 décès). La différence entre la valeur limite de l’OMS concernant la concentration annuelle moyenne des PM2,5 (10 μg/m3) et les niveaux modélisés à l’échelon de l’unité de recensement dans le cadre de l’étude ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects) aboutit à un excédent de 659 décès (IC95 : 386-834).

La contribution des autres facteurs est estimée à 1 091 décès annuels : 599 (0-1 009) imputables à un niveau excessif de bruit diurne, 376 (324-442) liés à l’exposition à une chaleur intense, et 116 (0-236) à la non-conformité des lieux au regard des recommandations d’accès pour tous à un espace vert (présence d’une surface végétalisée d’au moins 0,5 ha dans un rayon de 300 m). Ces estimations, plus incertaines que celles relatives à la sédentarité et à l’exposition aux PM2,5 dont les effets sanitaires ont été amplement étudiés, ont une valeur indicative. Ainsi, aucune étude n’a pour l’instant établi la relation entre l’exposition au bruit nocturne (qui n’a donc pas été pris en compte) et la mortalité. Les données relatives à l’impact des espaces verts sur ce critère sont encore peu nombreuses. La température moyenne journalière constitue un indicateur grossier du stress thermique, d’autres paramètres (humidité, rayonnement solaire, force du vent) y participant.

Ensemble, les cinq facteurs considérés pourraient participer à près de 20 % des décès de cause générale non accidentelle enregistrés dans la population adulte de Barcelone. Ce résultat obtenu par la somme des effets attribués à chacun est probablement surestimé par un double comptage de décès imputables à des expositions comme la pollution de l’air, le bruit et la chaleur, qui partagent une source (le trafic motorisé) ainsi qu’un facteur d’atténuation (les espaces verts) communs. Une possibilité d’erreur existe aussi en sens inverse (sous-estimation) du fait de l’absence de prise en compte des effets d’autres polluants atmosphériques que les PM2,5 (notamment le dioxyde d’azote émis par les véhicules).

S’ils doivent être interprétés avec prudence et la notion de contexte propre à chaque ville qui empêche de les généraliser, les résultats de cette étude donnent néanmoins une idée des bénéfices à attendre d’une planification urbaine orientée vers la santé. Ils engagent à réduire le trafic motorisé à Barcelone à travers la promotion de modes de déplacement actifs ou publics à zéro ou faible émission. Le second levier d’action identifié est un verdissement de la ville favorisant l’activité et contribuant à la réduction de la pollution atmosphérique, du bruit ambiant et de la chaleur.

Commentaire

L’histoire de la santé environnementale peut schématiquement être découpée en trois périodes. La première est chronologiquement située entre le grand smog de Londres en 1952 et l’orée des années 1980. Certains auteurs américains utilisent pour la décrire le terme très militaire de « Command and Control ». Les problèmes étaient aigus, massifs, immédiatement visibles ou accessibles aux méthodes épidémiologiques classiques et appelaient une solution simple : fermer une usine, nettoyer un canal, interdire un produit.

En 1983, la publication d’un rapport du National Research Council acte l’entrée dans la deuxième période : celle de la gestion des risques faibles, fondée sur la méthode d’évaluation quantitative des risques. On s’attaquait alors à des problèmes plus difficiles à mettre en évidence, mais toujours selon une méthodologie réductionniste (cherchant à saisir l’effet individuel de chaque type d’exposition : pollution de l’air, bruit, pesticides, etc.) et visant à quantifier chaque relation dose-réponse.

Nous sommes actuellement confrontés au défi de devoir évaluer les effets des environnements complexes et de les gérer en introduisant « la santé dans toutes les politiques ».

Les trois articles présentés dans ce numéro d’ERS qui traitent d’aspects de la problématique « urbanisme et santé », assez centrale dans ces nouveaux défis, en illustrent les difficultés méthodologiques… et les hésitations des scientifiques sur la voie à suivre.

Les chercheurs du CREAL (Center for Research in Environmental Epidemiology) ont choisi de s’intéresser à cinq facteurs liés à la configuration de la ville de Barcelone. Ils tentent de quantifier l’impact de chacun d’entre eux sur la mortalité. C’est l’application d’une démarche assez classique à une problématique complexe, qui met en évidence les limites de l’exercice : est-il acceptable de réduire l’impact sanitaire d’un facteur comme l’accès aux espaces verts, par exemple, à la seule mortalité en négligeant les aspects psychologiques ou fonctionnels de la santé ? Comment estimer l’impact global de cinq facteurs à partir de données exposition-risque construites pour chacun d’entre eux (sur des bases épidémiologiques d’ailleurs souvent fragiles) alors que leurs effets se conjuguent de manière complexe ? Au final, on livre un chiffre (20% de mortalité évitable) tout en reconnaissant qu’il repose sur des hypothèses incertaines.

Cox et ses collègues de l’université d’Exeter ont une approche plus sélective en ce qui concerne les facteurs d’exposition (ils ne s’intéressent qu’à la « dose » d’exposition à la nature) mais plus complète dans les indicateurs d’effets retenus puisqu’ils travaillent sur la santé physique, psychique et sociale. Leur étude est cependant limitée par son caractère transversal, qui fait craindre que les relations mises en évidence relèvent, au moins en partie, d’une causalité inverse (c’est quand on va bien qu’on a l’énergie pour fréquenter les parcs et jardins…).

La réflexion de James Coburn est particulièrement intéressante, car il appelle à juste titre notre attention sur le fait qu’entre un facteur environnemental et un effet sanitaire, il y a beaucoup d’éléments de modulation. Ceux-ci vont influencer, par exemple, l’utilisation que vont faire les habitants d’une ville des aménités mises à leur disposition ou encore leur résilience vis-à-vis des stresseurs environnementaux. Et ces éléments de modulation sont très liés aux caractéristiques économiques et sociales, donc aux inégalités. Il nous invite donc à aborder ces problèmes de manière plus subtile, plus fine, plus holistique… mais il reconnaît dans sa conclusion que les bases scientifiques pour le faire sont à peine émergentes. Cette construction méthodologique est donc une tâche urgente et essentielle pour répondre aux nécessités de l’heure.

Georges Salines

 


Publication analysée :

* Mueller N1, Rojas-Rueda D, Basagaña X, et al. Urban and transport planning related exposures and mortality: a health impact assessment for cities. Environ Health Perspect 2017; 125:89-96. doi: 10.1289/EHP220

1 ISGlobal, Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.