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ANALYSE D'ARTICLE

Fréquentation précoce de la piscine et risques de sensibilisation et d’inflammation des voies aériennes

Des débuts à la piscine avant l’âge de 3 ans augmentent le risque ultérieur de sensibilisation aux acariens et d’inflammation des voies aériennes inférieures, facteurs prédictifs de rhinite allergique et d’asthme, selon cette étude longitudinale. Ses résultats indiquent l’importance de minimiser l’exposition des très jeunes enfants au chlore et à ses sous-produits en réglementant strictement leur utilisation ou en employant d’autres méthodes de désinfection.

This longitudinal study shows that introduction to swimming pools before the age of 3 increases the subsequent risk of sensitization to dust mites and inflammation of the lower airways, which are predictors of allergic rhinitis and asthma. Its results show the importance of minimizing exposure of very young children to chlorine and its by-products by a strict regulation of these chemicals or the use of alternative disinfection methods.

Quelques études suggèrent que les très jeunes enfants qui vont à la piscine ont un risque accru de dermatite atopique et de sensibilisation aux acariens de la poussière de maison, deux manifestations d’une entrée dans la « marche allergique » qui fait craindre la survenue ultérieure d’une rhinite et d’un asthme. L’importante augmentation de la prévalence de ces maladies dans les pays développés a donné lieu à l’hypothèse hygiéniste qui met en cause le manque d’exposition à certains agents microbiens au cours du processus de maturation du système immunitaire. Cette hypothèse peine toutefois à être confirmée et une autre émerge, qui pointe l’agression des barrières épithéliales par des facteurs environnementaux, favorisant la pénétration d’antigènes qui sont capturés par les cellules dendritiques, lesquelles engagent une réponse immunitaire de type allergique. L’exposition au chlore et à ses sous-produits comme les chloramines, dotés d’un fort pouvoir oxydant et capables d’ouvrir les jonctions intercellulaires, pourrait alors expliquer que des débuts précoces en piscine promeuvent le développement de maladies allergiques. Des expositions répétées au chlore seraient nécessaires – ce qui suppose un certain nombre d’heures cumulées à la piscine – ainsi qu’une exposition concomitante et suffi sante à des allergènes – ce qui est le cas avec les acariens présents toute l’année dans l’environnement, contrairement aux pollens.

L’influence d’une fréquentation de la piscine avant l’âge de 3 ans sur la sensibilisation à des allergènes respiratoires et sur l’inflammation des voies aériennes inférieures (VAI) a été examinée dans cette étude longitudinale, qui se démarque des précédentes, toutes de type transversal.

 

 

Description de l’étude

L’étude a été mise en place dans 30 écoles de Bruxelles et de Liège : les parents de 839 enfants de grande section de maternelle ont reçu un questionnaire relatif aux caractéristiques sociales et médicales de la famille, à l’environnement domestique et résidentiel et aux activités récréatives de l’enfant en piscine (âge auquel l’enfant a commencé à s’y rendre régulièrement et fréquence des séances). Le questionnaire et le consentement ont été retournés par 430 parents dont les enfants ont été examinés entre décembre 2007 et mars 2008 (âge moyen : 5,7 ans). L’examen comportait le dépistage d’une sensibilisation aux acariens, aux pollens et au chat par un test Rhinostick et la mesure de la concentration du monoxyde d’azote exhalé (eNO), marqueur de l’inflammation des VAI. Les investigateurs sont retournés dans les écoles deux ans après : 128 enfants en étaient partis et l’accord à participer au suivi a été obtenu pour 236 des 302 enfants restants. La population finale se composait de 196 enfants qui ont pu être réexaminés entre décembre 2009 et mars 2010 (âge moyen : 7,7 ans), les parents ayant de nouveau répondu aux questions relatives à la fréquentation des piscines, aux expositions domestiques de l’enfant (dont animaux, fumée de tabac, eau de Javel) et à son état de santé (notamment diagnostic médicaux d’eczéma, de rhinite allergique et d’asthme).

Des 196 enfants, 140 avaient débuté la piscine avant l’âge de 3 ans, la popularité des activités aquatiques pour les très jeunes enfants rendant difficile le recrutement de témoins. Outre la petite taille de l’échantillon, et en particulier du groupe témoin, l’étude est limitée par le manque de données de concentration des produits chlorés dans l’eau et l’atmosphère des piscines fréquentées par les enfants. En Belgique, la réglementation relative aux piscines publiques (toutes couvertes dans le secteur étudié) impose une concentration de chlore libre dans l’eau comprise entre 0,5 et 1,5 ppm, et des concentrations inférieures à 0,8 ppm pour le chlore combiné dans l’eau et à 500 μg/m3 pour la trichloramine dans l’air. Par ailleurs, dans la zone de l’étude, les concentrations de chlore dans l’eau du robinet sont très faibles (moyenne : 65 μg/l) et la concentration de trihalométhanes ne dépasse pas 10 μg/l.

 

Effets de l’exposition précoce

Les deux groupes étaient comparables à la base en termes de prévalence de la sensibilisation aux acariens (13,6 % chez les enfants ayant débuté la piscine avant l’âge de 3 ans versus 14,3 % dans le groupe témoin), aux pollens (respectivement 17,9 et 16,1 %) et au chat (respectivement 8,6 et 12,5 %). La prévalence des maladies respiratoires était également comparable mais les enfants ayant fréquenté tôt la piscine avaient plus souvent fait l’objet d’un diagnostic d’eczéma : 32,1 % vs 16,1 %, odds ratio (OR) = 2,91 (IC95 : 1,23-6,89) après ajustement sur la présence d’aînés, d’animaux de compagnie, de moisissures dans la chambre et le tabagisme parental, parmi 17 variables dont l’influence a été examinée. Par ailleurs, une valeur d’eNO élevée (> 15 ppb) reflétant une inflammation des VAI était plus souvent observée dans le groupe témoin (23,2 % vs 12,1 %) sans différence statistiquement significative après ajustement sur la prématurité, les animaux domestiques, les aînés, la fréquentation d’une crèche et une alimentation comportant du lait cru.

Le suivi montre que le risque de développer une sensibilisation aux acariens inexistante deux ans plus tôt est significativement plus important chez les enfants ayant débuté la piscine avant l’âge de 3 ans : OR = 2,93 (IC95 : 1,14-7,55) après ajustement sur la prématurité et la présence de moisissures dans la chambre. Il en est de même pour le risque d’eNO élevé : OR = 4,54 (IC95 : 1,48-13,9) après ajustement sur la prématurité, les aînés, les moisissures, l’utilisation d’eau de Javel, le tabagisme pendant la grossesse, les allergies parentales et le tabagisme parental. Ces associations apparaissent indépendantes l’une de l’autre : l’OR de sensibilisation aux acariens est très peu affecté par l’exclusion des enfants présentant un eNO élevé et vice-versa. Par ailleurs, elles ne sont pas affaiblies par l’exclusion des enfants avec une histoire d’eczéma atopique, plus nombreux dans le groupe « piscine avant l’âge de 3 ans » à la base. La survenue d’un excès de risque significatif de sensibilisation aux acariens et d’inflammation des VAI dans ce groupe par rapport au groupe témoin entre les âges de 5,7 et 7,7 ans n’aurait pas été détectée en comparant leurs prévalences dans les deux groupes à l’âge de 7,7 ans, ce qui montre l’intérêt d’une analyse prospective des données. L’investigation des effets respiratoires de la fréquentation précoce des piscines chlorées nécessite également de choisir les bons critères sanitaires. Ainsi, l’utilisation de critères comme la sensibilisation à au moins l’un des trois allergènes respiratoires testés ou les diagnostics de rhinite et d’asthme n’auraient pas permis de différencier les deux groupes.

Une analyse tenant compte de l’importance de l’exposition montre que les enfants ayant passé plus de 30 heures à la piscine avant l’âge de 3 ans (ce qui correspond à deux séances de 30 minutes par mois au cours des trois premières années de vie, et est proche de la valeur médiane de 32 h) ont respectivement 3,3 et 4,7 fois plus de risque de présenter une sensibilisation aux acariens et un eNO élevé que les enfants qui ont été moins exposés. Une tendance dose-réponse est mise en évidence : pour 60 h passées à la piscine (correspondant à une séance par semaine), les risques de sensibilisation aux acariens et d’eNO élevé sont respectivement multipliés par 3,6 et 5,9. Les associations sont renforcées après exclusion des cas d’antécédents d’eczéma comme d’allergies parentales et ne sont pas influencées par le temps passé à la piscine après l’âge de 3 ans et au cours du suivi.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Voisin C1, Sardella A, Bernard A. Risk of new-onset allergic sensitization and airway inflammation after early age swimming in chlorinated pools. Int J Hyg Environ Health 2014; 217: 38-45.

doi: 10.1016/j.Ijheh.2013.03.004

 

1Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology, Faculty of Medicine, Catholic University of Louvain, Bruxelles, Belgique.