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ANALYSE D'ARTICLE

Facteurs environnementaux et cancers pédiatriques

Au-delà d’une synthèse des connaissances sur les facteurs de risque environnementaux de cancers de l’enfance, cet article discute de la notion actuelle de fenêtres critiques au cours desquelles des expositions précoces sont susceptibles d’accroître le risque de cancer tout au long de l’existence.

In addition to summarizing what is known of the environmental risk factors for childhood cancers, this article discusses the current notion of critical windows during which early-life exposures are likely to increase the life-long risk of cancer.

Entre 1970 et 1999, en Europe, l’incidence des cancers a augmenté de 1 % par an chez les enfants de 0 à 14 ans et de 1,5 % par an chez les adolescents de 15 à 19 ans. Représentant 30,7 % des diagnostics chez les 0-14 ans à l’échelle mondiale, la leucémie reste le cancer pédiatrique le plus fréquent, devant les tumeurs du cerveau (12,4 %) et les lymphomes non hodgkiniens (10,7 %). Une amélioration du diagnostic et des déclarations de ces cancers a pu être invoquée pour expliquer cette tendance temporelle à la hausse, mais les rapports les plus récents suggèrent que ce phénomène – qui s’affirme et tend même à s’accélérer depuis plusieurs décennies – est bien réel.

 

La question des contributions environnementales

Si la cause de la plupart des cancers pédiatriques demeure méconnue, les études sur les jumeaux indiquent que la contribution du génome est relativement mineure par rapport à celle de l’environnement. L’identification de facteurs environnementaux pouvant expliquer l’augmentation de l’incidence des cancers pédiatriques est évidemment cruciale pour réduire le fardeau de ces cancers, mais l’enjeu va au-delà. Plusieurs éléments amènent en effet aujourd’hui à considérer que les expositions environnementales précoces pourraient peser plus fortement que les expositions à l’âge adulte dans le risque de développer un cancer tout au long de la vie.

Le champ émergent de l’épigénétique commence à jeter un nouvel éclairage sur la carcinogenèse, suggérant que l’exposition à des agents perturbateurs endocriniens au cours du développement pourrait faire le lit de cancers hormonaux comme ceux du sein et de la prostate, en interférant avec le processus d’activation/désactivation de gènes ou en perturbant l’organisation et la différenciation tissulaires. Par ailleurs, la littérature fournit des preuves de vulnérabilité particulière aux substances toxiques lorsque l’exposition a lieu au cours de périodes critiques du développement, pendant la vie fœtale ou la petite enfance. Le risque de dommages à l’ADN est majoré par une absorption élevée du toxique, une capacité de métabolisation hépatique limitée, l’immaturité des mécanismes de réparation de l’ADN et l’importance de la prolifération cellulaire. Ces dommages induits in utero persistent plus longtemps au cours des divisions cellulaires successives que ceux qui surviennent plus tard dans la vie.

Quelles expositions environnementales précoces peuvent contribuer au risque ultérieur de cancer ? Telle est la question traitée dans cet article, sur la base d’une revue des preuves provenant des études expérimentales, épidémiologiques et mécanistiques.

 

État des lieux des connaissances

Les facteurs pour lesquels le niveau de preuve est le plus élevé sont les rayonnements ionisants et ultraviolets (UV), des produits chimiques comme le benzène, le diéthylstilbestrol (DES) et les pesticides, des agents biologiques comme le virus d’Epstein Barr, de l’hépatite B (VHB), de l’immunodéficience humaine (VIH), le papillomavirus humain et les aflatoxines, ainsi que les consommations parentales de tabac et de drogues.

Pour certains de ces facteurs, les données permettent de cerner la fenêtre d’exposition à risque. C’est le cas, par exemple des UV, pour lesquels plusieurs études montrent que l’exposition au cours de l’enfance augmente le risque ultérieur de mélanome. Un travail australien indique ainsi que les immigrants arrivés avant l’âge de 10 ans présentent le même risque de développer un mélanome que les natifs du pays, tandis que ce risque est réduit de trois-quarts pour une arrivée après l’âge de 15 ans. Une étude européenne (Allemagne, France et Belgique) réunissant 412 cas de mélanomes diagnostiqués chez des adultes identifie un excès de risque associé à un séjour d’au moins 1 an dans un pays tropical ou subtropical (odds ratio [OR] = 2,7 [IC95 = 1,4-5,2] par rapport aux sujets qui ne sont pas partis), l’association étant plus forte en cas d’arrivée dans le pays chaud avant l’âge de 10 ans (OR = 4,3 [IC95 = 1,7-11,1]). Pour d’autres facteurs comme les rayonnements ionisants, la période de vulnérabilité s’étend de la préconception à l’enfance. Parmi les travaux relatifs aux rayons X utilisés en imagerie diagnostique ou en radiothérapie, une étude montre ainsi une augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique chez les enfants dont les pères ont subi au moins deux examens radiologiques de l’abdomen avant la conception (OR = 3,78 [1,49-9,64]). Une revue des études chez des enfants exposés établit une relation dose-réponse entre l’irradiation et le risque de développer plusieurs types de cancers (thyroïde, sein, cerveau, leucémie et carcinome basocellulaire). L’excès de risque est plus élevé quand les enfants ont été exposés jeunes et persiste toute la vie pour les tumeurs solides.

Quelques cancers spécifiques sont favorisés par une infection virale, acquise en période postnatale (comme le lymphome de Burkitt lié au virus d’Epstein Barr), en période pré- ou postnatale (sarcome de Kaposi lié au VIH et carcinome hépatocellulaire lié au VHB) ou à l’adolescence (cancer du col de l’utérus lié au papillomavirus de types 16 et 18). Par ailleurs, les preuves d’une association entre le tabagisme parental (en périodes conceptionnelle et gestationnelle) et le risque d’hépatoblastome chez l’enfant sont jugées suffisantes, comme les preuves d’un lien entre la consommation maternelle de différentes drogues et le risque de neuroblastome.

Les auteurs relèvent un besoin urgent d’informations sur les risques de cancers associés à l’exposition à des agents chimiques au cours du développement. Bien que la plupart des substances cancérogènes identifiées aient été bannies, leur persistance fréquente dans l’environnement occasionne la poursuite de l’exposition. Les études examinant les effets d’expositions précoces excluent généralement le risque de cancer, qui est plutôt recherché dans des populations adultes, des cohortes de travailleurs exposés ou dans des études expérimentales à fortes doses. Les investigations sont souvent limitées à des hypothèses étroites et guidées par la disponibilité de techniques analytiques plus que par la plausibilité biologique. Les effets d’expositions combinées et les interactions gènes-environnement sont insuffisamment pris en compte. Étant donné la rareté de certains cancers et les limites de l’évaluation rétrospective de l’exposition, de vastes études de cohortes intégrant le recueil de données de biosurveillance et l’utilisation de biomarqueurs des expositions passées seraient nécessaires. Les collaborations internationales méritent d’être développées en ce sens.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Norman RE1, Ryan A, Grant K, Sitas F, Scott JG. Environmental contributions to childhood cancers. J Environ Immunol Toxicol 2014; 2: 86-98.

doi: 10.7178/jeit.17

 

1University of Queensland, Children’s Health and Environment Program, Queensland Children’s Medical Research Institute, Royal Children’s Hospital, Herston, Australie.