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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition professionnelle aux pesticides et mélanome cutané

Étoffant une littérature encore rare, cette étude cas-témoins renforce l’hypothèse d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le développement d’un mélanome cutané. Elle met également en évidence un effet synergique de la co-exposition aux pesticides et au rayonnement ultraviolet chez les sujets travaillant à l’extérieur.

Adding to the still scarce literature, this case-control study supports the hypothesis of a link between occupational exposure to pesticides and the development of cutaneous melanoma. It also highlights a combined effect of exposure to both pesticides and ultraviolet rays in people working outdoors.

L’incidence du mélanome cutané a graduellement crû au cours des dernières décennies dans la population d’origine européenne. Étant donné l’agressivité de ce cancer et le mauvais pronostic des formes métastatiques, la surveillance des sujets à risque, qui permet la détection des mélanomes à un stade précoce et leur exérèse chirurgicale complète, est la meilleure stratégie pour réduire la mortalité. Les facteurs de risque individuels connus sont un phototype clair, un nombre élevé de naevi, des antécédents familiaux de cancers cutanés et des épisodes de coups de soleil dans l’enfance. Le facteur de risque environnemental majeur, établi de longue date, est le rayonnement ultraviolet (UV). Les données épidémiologiques indiquent toutefois que la relation entre l’exposition au soleil et le risque de mélanome n’est pas linéaire, et suggèrent un rôle d’autres facteurs environnementaux comme l’exposition aux pesticides chez les travailleurs agricoles.

L’association entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le mélanome cutané demande à être examinée en contrôlant tous les facteurs de confusion possibles, ce qui n’a pas été fait précédemment. Cette nouvelle étude cas-témoins présente par ailleurs l’intérêt d’avoir estimé l’effet de l’exposition conjointe aux pesticides et au rayonnement solaire.

 

Population incluse

L’analyse porte sur 399 cas de mélanomes de tous types (dont superficiel extensif : 72,4 %, nodulaire : 13,5 %, in situ et lentigo : 6,5 %) recrutés dans quatre services dermatologiques hospitaliers, l’un à Rome, Italie, (304 cas inclus entre 2001 et 2003) et les trois autres dans la ville de Porto Alegre, au Brésil (95 cas inclus entre 2007 et 2013). La population témoin (un témoin par cas apparié sur le sexe et l’âge) a été recrutée simultanément dans les mêmes centres hospitaliers (305 témoins italiens et 96 brésiliens) parmi les patients de diverses spécialités médicales ou chirugicales, avec des diagnostics variés. Le taux de participation a été élevé, 96 % des cas et 94 % des témoins pressentis ayant donné leur accord.

Les participants ont été examinés et interrogés par des dermatologues utilisant un questionnaire structuré. L’examen clinique comportait la détermination du phototype cutané, le comptage des naevi, ainsi que la recherche de marqueurs d’exposition solaire (lésions mélanocytaires bénignes, lentigines, kératose actinique, élastose). Les données de l’anamnèse incluaient le niveau d’études, les antécédents familiaux de cancers cutanés, les antécédents personnels d’épisodes de coups de soleil importants (érythème, douleur, cloques durant plus de 24 heures) dans l’enfance et à l’âge adulte, l’usage de bancs ou lampes solaires, et l’exposition au soleil liée à l’activité professionnelle.

L’exposition professionnelle aux pesticides, qui concernait 47 participants (35 cas et 12 témoins), a été évaluée en termes de fréquence et de durée d’utilisation, ainsi que de classe de pesticide utilisée (insecticide, herbicide, fongicide). Les noms commerciaux ont été recueillis.

Risque associé à l’exposition aux pesticides

Après ajustement sur l’âge, le sexe, le centre de recrutement et cinq variables identifiées comme des déterminants significatifs du risque dans un modèle multivarié (niveau d’études, phototype, nombre de naevi, coups de soleil dans l’enfance et antécédents familiaux), l’exposition aux pesticides (toute intensité et toute classe confondue) augmente le risque de mélanome : odds ratio (OR) = 2,58 (IC95 : 1,18-5,65).

Les analyses plus poussées montrent un effet de la durée d’utilisation (OR pour une exposition ≥ 10 ans versus l’absence d’exposition = 7,40 [1,91-28,7]) et du nombre de pesticides (OR pour au moins deux classes = 4,04 [1,2-13,6]). Ces estimations reposent toutefois sur de très petits effectifs (21 cas [trois témoins] exposés pendant au moins 10 ans et 19 cas [quatre témoins] exposés à au moins deux classes). Une association est retrouvée avec les herbicides (OR = 3,08 [1,06-8,97]) principalement représentés par le glyphosate, ainsi qu’avec les fongicides (majoritairement des carbamates : OR = 3,88 [1,17-12,9]), mais pas avec les insecticides (OR = 2,24 [0,88-5,7]).

Analyse stratifiée selon l’exposition au soleil

L’interrogatoire a permis de classer 137 participants (78 cas de mélanome et 59 témoins) dans le groupe exposé au soleil par une activité professionnelle strictement extérieure, les données de l’examen dermatologique corroborant les déclarations. Les sujets travaillant tantôt à l’extérieur, tantôt à l’intérieur (54 cas et 67 témoins) ont été classés avec ceux travaillant uniquement à l’intérieur pour constituer le groupe des sujets non professionnellement exposés au soleil (n = 660).

Dans ce groupe, l’exposition aux pesticides n’augmente pas significativement le risque de mélanome (OR = 1,32 [0,4-4,38]). En revanche, l’effet de l’exposition aux pesticides est marqué chez les sujets professionnellement exposés au rayonnement solaire : OR = 4,68 (1,29-17).

De plus amples études sont requises pour confirmer l’effet modificateur de l’exposition au soleil sur l’association entre l’exposition aux pesticides et le risque de mélanome. La chaleur induisant une augmentation du flux sanguin superficiel et de la sudation pourrait favoriser l’absorption cutanée des pesticides. L’application de produits de protection solaire pourrait également l’accroître, comme le suggèrent certaines données toxicologiques (dans cette étude, toutefois, l’ajustement supplémentaire sur l’usage de ces produits, ainsi que le port d’un T-shirt ou d’un chapeau ne modifie pas les estimations).

En attendant les résultats de futures investigations, les auteurs estiment que les politiques de santé publique devraient prendre en compte la possibilité d’un risque accru de mélanome chez les travailleurs exposés aux pesticides, d’autant plus qu’ils sont co-exposés au soleil.


Publication analysée :

* Fortes C1, Mastroeni S, Segatto M, et al. Occupational exposure to pesticides with occupational sun exposure increases the risk for cutaneous melanoma. J Occup Environ Med 2016; 58: 370-5.doi: 10.1097/JOM.0000000000000665

1 Epidemiology Unit, Istituto dermopatico dell’Immacolata, IDI-IRCCS-FLMM, Rome, Italie.