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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale au cadmium et mensurations à la naissance

Cette étude se démarque de précédentes par la collecte longitudinale des urines maternelles, permettant d’examiner l’association entre les mensurations du nouveau-né et son exposition au cadmium durant chaque trimestre de la grossesse. Ses résultats suggèrent que le début de la vie in utero est une fenêtre de sensibilité particulière aux effets délétères du cadmium sur la croissance fœtale, qui ne sont observés que dans le sexe féminin.

This study differs from previous ones in that it uses a longitudinal collection of maternal urine samples to examine the association between size at birth and fetal cadmium exposure during each trimester of pregnancy. The results suggest that early in utero life is a critical window for the adverse effects of cadmium on fetal growth, which have been observed only in girls.

Élément trace métallique naturellement présent dans les milieux terrestres et aquatiques et polluant ubiquitaire de source industrielle, le cadmium se retrouve dans l’eau, les aliments et l’air ambiant, où la fumée de tabac constitue une source majeure d’exposition. Ce contaminant bioaccumulable notamment dans le cortex rénal et le foie, est connu pour sa toxicité rénale et osseuse. Il est par ailleurs considéré comme un agent cancérogène certain depuis 1993 (augmentation du risque de cancer bronchopulmonaire). La question de sa toxicité pour le développement fœtal a été soulevée par la mise en évidence de son accumulation dans le placenta et d’effets perturbateurs endocriniens affectant la synthèse de progestérone et de leptine. La présence de cadmium pourrait également perturber la production ou le métabolisme d’autres hormones placentaires stéroïdiennes ou polypeptidiques, ainsi que la circulation utéro-placentaire et le transfert de nutriments essentiels au fœtus.

Les arguments épidémiologiques soutenant un effet néfaste du cadmium sur la croissance fœtale sont toutefois limités. Les études transversales ayant examiné les paramètres anthropométriques du nouveau-né en relation avec l’exposition prénatale au cadmium rapportent des résultats variables et parfois contradictoires. L’exposition était généralement évaluée sur la base d’une mesure ponctuelle de la concentration de cadmium dans le sang du cordon ou dans le sang maternel recueilli en fin de grossesse ou à l’accouchement. Une étude dans une population de 1 616 habitantes d’une zone rurale du Bangladesh s’en distingue par l’utilisation d’un échantillon d’urine collecté en début de grossesse, à huit semaines d’aménorrhée (SA). Elle montre un impact de l’exposition au cadmium (association inverse avec le poids de naissance et les périmètres crânien et thoracique) significatif chez les filles uniquement.

Nouvelle étude à la recherche d’une fenêtre de sensibilité

L’effet potentiellement modificateur du sexe a été considéré dans cette nouvelle investigation qui repose également sur la mesure des concentrations urinaires maternelles de cadmium. Mais, pour la première fois à la connaissance des auteurs, trois échantillons d’urine ont été successivement collectés à 13 (± 1,2), 24 (± 2,9) et 35 (± 4,4) SA, ce qui a permis d’effectuer des analyses pour chaque trimestre de la grossesse. L’objectif était d’identifier une fenêtre d’exposition critique (dont la méconnaissance pourrait en partie expliquer l’inconsistence de la littérature existante), tenant compte de la vulnérabilité très variable du fœtus selon son stade de développement décrite pour d’autres toxiques environnementaux.

L’étude a été réalisée dans une population de 282 femmes (grossesses monofœtales) recrutées entre octobre 2013 et octobre 2014 à l’occasion de leur première visite prénatale dans une importante maternité de la ville de Wuhan (Chine). La majorité des participantes étaient des primipares (87,9 %), aucune n’avait consommé d’alcool ni de tabac pendant la grossesse, mais 82 (29,1 %) rapportaient avoir été exposées à la fumée pendant plus de 30 minutes par jour. L’âge moyen à l’accouchement était de 28,8 ans, 52 % des enfants étaient des garçons, l’âge gestationnel moyen était de 39 SA (extrêmes : 35 et 43), le poids de naissance allait de 2 210 à 4 500 g (moyenne : 3 310 g) et la taille des nouveau-nés était comprise entre 45 et 54 cm (moyenne : 50,1 cm).

Le cadmium était présent à un niveau détectable dans tous les échantillons d’urine. Après ajustement sur le niveau de créatinine urinaire, les concentrations moyennes aux premier, deuxième et troisième trimestres de la grossesse étaient respectivement égales à 0,51, 0,59 et 0,61 μg/g (moyennes géométriques).

Trois paramètres ont été considérés : le poids, la taille et l’indice pondéral ([poids/taille3] x 100). Leurs relations avec la concentration urinaire de cadmium aux trois temps de la grossesse ont été examinées à l’aide d’un modèle prenant en compte l’âge maternel, l’indice de masse corporelle de base, le gain de poids associé à la grossesse, le niveau d’études, le tabagisme passif et l’âge gestationnel. Les analyses ont été effectuées dans la population totale, puis séparément pour les filles et les garçons.

Associations présentes

En accord avec l’étude bangladaise, ce travail indique que l’exposition au cadmium en début de grossesse retentit sur la croissance des fœtus de sexe féminin. La concentration urinaire du premier trimestre est inversement associée au poids de naissance, l’effet estimé d’une augmentation d’une unité de la concentration log-transformée étant une diminution de 116,99 g du poids (IC95 : -208,87 à -25,11 g). L’effet de la concentration du deuxième trimestre est d’ampleur équivalente (-115,78 g) mais l’association n’est pas statistiquement significative (IC95 : -246,13 à + 14,56 g). Le cadmium urinaire mesuré au troisième trimestre n’est pas associé au poids de naissance. En parallèle, la diminution de l’indice pondéral avec l’augmentation des concentrations des premier et deuxième trimestres frôle le seuil de signification statistique (p = 0,05). Aucune influence de l’exposition au cadmium n’est mise en évidence dans la population des garçons.

Ces résultats apparaissent robustes à trois analyses de sensibilité, la première excluant les naissances avant 37 SA, la seconde avec ajustement supplémentaire sur la prise de compléments de calcium et la dernière utilisant les concentrations urinaires de cadmium non ajustées sur la créatinine (alors incluse dans les covariables contrôlées).

Les auteurs identifient deux limites à leur travail : la relative faiblesse de l’échantillon de population inclus et l’absence de prise en compte de facteurs alimentaires par manque d’information. Considérant que leurs résultats demandent à être vérifiés dans d’autres populations, ils suggèrent néanmoins d’essayer de réduire l’exposition au cadmium des jeunes filles et des femmes en âge de procréer dans l’objectif de maintenir leur charge corporelle au plus bas niveau possible.


Publication analysée :

* Cheng L1, Zhang B, Zheng T, et al. Critical windows of prenatal exposure to cadmium and size at birth. Int J Environ Res Public Health 2017; 14: 58. doi: 10.3390/ijerph14010058

1 Key Laboratory of Environment and Health, Ministry of Education and Ministry of Environmental Protection, School of Public Health, Tongji Medical College, Huazhong University of Science and Technology, Wuhan, Chine.