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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition périnatale aux toxiques atmosphériques et risque de leucémie

Cette étude alimente l’hypothèse d’un lien entre le risque de leucémie infantile et l’exposition à des niveaux ambiants de polluants atmosphériques toxiques pendant la grossesse – et plus particulièrement au cours du troisième trimestre – et durant la première année de vie.

This study provides support for the hypothesis of an association between the risk of childhood leukemia and exposure to ambient levels of toxic air pollutants during both pregnancy – and more particularly the third trimester – and the first year of life.

Moins de 10 % des cas de leucémie infantile répondent à une cause identifiable (prédisposition génétique, exposition aux rayonnements ionisants ou chimiothérapie), ce qui conduit à poursuivre la recherche d’agents environnementaux susceptibles de favoriser la survenue de ce cancer. Chez l’adulte, l’exposition professionnelle au benzène, au 1,3-butadiène et au formaldéhyde ainsi qu’un emploi dans la production de caoutchouc sont des causes établies de cancers hématopoïétiques. Bien qu’elles soient beaucoup moins nombreuses, les études sur le lien entre l’exposition professionnelle des mères et le risque de leucémie de l’enfant montrent que ce risque est augmenté par un emploi dans l’industrie mécanique et textile, et par l’exposition aux gaz d’échappement des véhicules, aux peintures, pigments, laques, poussières de bois, benzène, toluène et tétrachlorure de carbone. 

Les effets de l’exposition maternelle à des niveaux plus faibles de produits chimiques demandent à être explorés étant donné la grande sensibilité du fœtus aux toxiques. Une dizaine d’études de bonne qualité met en évidence un excès de risque de leucémie aiguë lymphoblastique (qui représente près de 80 % des cas de leucémie infantile) chez les enfants nés de mères très exposées à la pollution liée au trafic, ce qui incite à étudier le rôle de polluants atmosphériques tels que les BTEX (benzène, toluène, éthylbenzène et xylènes) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) qui émanent des gaz d’échappement.

Étude cas-témoins en Californie

L’association entre l’exposition aux toxiques de l’air ambiant et le risque de leucémie a été examinée au sein d’une vaste étude californienne en population générale (Air Pollution and Childhood Cancer Study [APCC]). Les auteurs ont sélectionné 69 cas de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) et 46 cas de leucémie aiguë myéloblastique (LAM) diagnostiqués entre 1990 et 2007 chez des enfants de moins de 6 ans, pour lesquels le certificat de naissance mentionnait une adresse proche d’une station de mesure des polluants atmosphériques (respectivement moins de 2 km pour les LAL et moins de 6 km pour les LAM). La population témoin comportait 19 209 enfants vivant à moins de 6 km d’une station (dont 2 994 dans un rayon de 2 km).

Sur la période d’étude, le réseau existant en Californie comptait 39 stations, pour la plupart installées dans des zones d’activités industrielles ou agricoles importantes ou près d’autoroutes très empruntées. La surveillance des toxiques atmosphériques (d’une soixantaine en 1990 à 189 en 2007) reposait sur un échantillonnage de 24 heures tous les 12 jours, mais toutes les substances n’étaient pas mesurées à l’année dans chaque station. Sur la base de la classification du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), les auteurs ont sélectionné 42 substances cancérogènes avérées ou suspectées, puis ont réduit la liste à celles pour lesquelles des valeurs de mesures pouvaient être attribuées à au moins 20 cas de chaque type de leucémie.

Sur la base de l’âge gestationnel mentionné sur le certificat de naissance, le début de la grossesse a été daté et les périodes des 1er, 2e et 3e trimestres ont été défi nies. L’exposition moyenne a été calculée pour chaque trimestre (à partir d’au moins une valeur de mesure mensuelle), pour la durée entière de la grossesse, et pour la première année de vie de l’enfant. 

Les analyses ont été effectuées avec des modèles ajustés pour l’origine ethnique de la mère, sa nationalité de naissance, l’année de naissance de l’enfant, la parité, et un indice socio-économique de quartier fondé sur sept variables (niveau d’études, revenu médian par foyer, pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, d’ouvriers, de chômeurs, loyer médian et valeur médiane des logements). Les résultats sont exprimés sous forme de risque associé à une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau d’exposition.

 

Associations mises en évidence

L’exposition aux HAP totaux (benzo[b] fluoranthène, benzo[k]fluoranthène, indeno[1,2,3-cd]pyrène, dibenzo[a,h] anthracène, benzo[g,h,i]pérylène et benzo[a]pyrène) au cours du 3e trimestre de la grossesse est associée à une augmentation du risque de LAL : odds ratio (OR) = 1,16 (IC95 = 1,04- 1,29). Ce risque est également augmenté par l’exposition, toujours au cours du 3e trimestre, au benzène (OR = 1,50 [1,08-2,09]), à l’arsenic (OR = 1,33 [1,02-1,73]), au plomb (OR = 1,42 [1,02- 1,96]), au 1,3-butadiène (OR = 1,54 [1,19-1,99]) et au méta/para-xylène (OR = 1,33 [1,05-1,69]).

Le risque de LAM est augmenté avec l’exposition, au 3e trimestre de la grossesse, au benzène (OR = 1,75 [1,04-2,96]), au toluène (OR = 1,50 [1,04- 2,16]), au méta/para-xylène (OR = 1,37 [1,01-1,85]) et au trichlorométhane (OR = 1,30 [1-1,69]).

Enfin, les expositions au butadiène (OR = 2,35 [1,02-5,39]), au toluène (OR = 2,02 [1,03-3,94]) et à l’ortho-xylène (OR = 1,88 [1,02-3,45]) au cours de la première année de vie de l’enfant sont associées à une augmentation du risque de LAM, tandis que l’exposition au sélénium apparaît augmenter le risque de LAL (OR = 1,53 [1,01-2,32]).

En fin de grossesse, les cellules souches hématopoïétiques quittent le foie et la rate du fœtus pour coloniser la moelle osseuse et le thymus (sites de production respectifs des lymphocytes B et T) et s’y multiplier rapidement. Le développement du système immunitaire se poursuit activement après la naissance. Les résultats de cette étude suggèrent que ces périodes constituent des fenêtres de vulnérabilité à l’action de substances toxiques présentes à des niveaux de concentration relativement faibles dans l’air ambiant. Les données en milieu de travail renforcent la plausibilité d’un effet du benzène et du toluène, mais les fortes corrélations entre les concentrations atmosphériques des quatre BTEX dont la source est commune (combustion d’énergies fossiles), ne permettent pas d’identifier le polluant le plus pertinent quant au risque de leucémie. Les associations potentielles avec les HAP, l’arsenic, le plomb, le trichlorométhane et le sélénium, qui n’ont pas été rapportées précédemment, demandent confirmation. Plusieurs faiblesses de l’étude, relatives en particulier à l’évaluation de l’exposition, engagent à une interprétation prudente de ses résultats.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Heck JE1, Park AS, Qiu J, Cockburn M, Ritz B. Risk of leukemia in relation to exposure to ambient air toxics in pregnancy and early childhood. Int J Hyg Environ Health 2014; 217: 662-8. doi: 10.1016/j.ijheh.2013.12.003

1 Department of Epidemiology, Fielding School of Public Health, University of California, Los Angeles, États-Unis.