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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition des écoliers aux polluants et au bruit du trafic et problèmes comportementaux

Cette étude transversale à Barcelone est la première à évaluer l’impact de la pollution atmosphérique urbaine sur le comportement des enfants, leur exposition étant estimée à partir de mesures à l’intérieur de l’école où ils passent une grande partie du temps. Le bruit de fond généré par la circulation a également été considéré. Les résultats suggèrent un effet néfaste de l’exposition des écoliers aux nuisances du trafic et incitent à continuer les investigations.

This cross-sectional study in Barcelona is the first to assess the impact of urban air pollution on children's behavior, by measuring their exposure inside schools where they spend a considerable amount of time. Background noise from traffic was also examined. The results suggest that schoolchildren's exposure to traffic noise is harmful and call for further investigation.

Ce travail s’inscrit dans le cadre du projet BREATHE (Brain Development and Air Pollution in School Children) dont l’objectif est d’étudier le lien entre l’exposition à la pollution de l’air et le développement neuropsychologique chez des enfants d’âge scolaire. Trente-neuf écoles élémentaires de la ville de Barcelone y ont participé. Cette sélection (parmi 416 établissements) a été faite pour offrir un contraste maximal en termes d’exposition aux polluants atmosphériques liés au trafic routier, sur la base de la modélisation des niveaux de dioxyde d’azote (NO2) réalisée pour le projet ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects).

Au total, 2 897 élèves de sept à onze ans fréquentant l’établissement depuis au moins six mois ont été inclus (98 % y étaient scolarisés depuis au moins un an et 81 % depuis la première année de maternelle). Le taux de participation était similaire (entre 61 et 62 %) pour les trois niveaux de classes et d’aisance du quartier (sur la base d’un indice socio-économique composite à l’échelle du secteur de recensement), mais différent selon le statut public (52 %) ou privé (66 %) de l’établissement. Par ailleurs, les scores de problèmes comportementaux, établis à partir des réponses parentales au questionnaire SDQ (Strengths and Difficulties Questionnaire) comportant 25 questions réparties en cinq sous-échelles (symptômes émotionnels, problèmes de conduite, hyperactivité/inattention, problèmes relationnels avec les autres enfants et comportement social), étaient plus élevés chez les enfants scolarisés dans le public (score médian 9,03) que dans le privé (7,80), ainsi que dans les écoles des quartiers intermédiaires (9,17) par rapport aux quartiers aisés (8,58) et défavorisés (7,77). En revanche, ni le type ni le niveau d’aisance du quartier de l’établissement n’étaient associés au score symptomatique du Trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), établi par l’enseignant à partir de la liste du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux américain (DSM-IV). Les analyses ont été ajustées sur le type d’établissement ainsi que sur le niveau des deux quartiers fréquentés par l’enfant (résidence et école) et sur le degré d’études atteint par la mère. Les autres covariables prises en compte étaient le sexe et l’âge de l’enfant, son exposition domestique au tabagisme et l’exposition résidentielle au bruit du trafic (niveau de gêne évalué par les parents sur une échelle de 0 à 11) et à la pollution de l’air (en référence à la modélisation ESCAPE des concentrations de carbone suie).

Estimation de l’exposition

L’exposition des écoliers aux polluants du trafic a été estimée sur la base des concentrations de NO2, de carbone élémentaire et de carbone suie, mesurées dans une classe et dans la cour de l’établissement pendant deux campagnes d’une durée d’une semaine, à six mois d’intervalle. Les particules fines PM2,5, initialement considérées, n’ont finalement pas été incluses, leurs concentrations étant très fortement et constamment corrélées à celles du carbone élémentaire. D’une manière générale, les concentrations de carbone suie et élémentaire étaient comparables entre l’intérieur de la classe et la cour de l’école, alors que les niveaux de NO2 étaient plus élevés dans l’air extérieur. Les corrélations entre les trois polluants étaient importantes (coefficient de Spearman allant de 0,71 pour les niveaux du carbone élémentaire à l’extérieur et du NO2 à l’intérieur, à 0,97 pour les niveaux des deux espèces carbonées dans l’air intérieur).

Le bruit généré par le trafic routier a été mesuré pendant la seconde semaine de mesure des polluants atmosphériques, dans une salle de classe voisine de celle équipée de l’échantillonneur d’air (mêmes étage et orientation), selon un protocole comportant trois mesures consécutives de 10 minutes en plusieurs endroits de la pièce, réalisées le matin avant l’arrivée des élèves, deux jours de suite. Les éventuels sons inhabituels ont été effacés de l’enregistrement. Cette méthode représente un progrès par rapport à celles classiquement utilisées pour estimer l’exposition des élèves au bruit du trafic (modélisation ou mesure du bruit à l’extérieur, en façade d’immeuble), avec la limite inhérente au choix de l’unique classe faisant l’objet de mesures, dont l’exposition n’est pas forcément représentative de celle de tout l’établissement. Le niveau sonore allait de 28,8 à 51,1 dB (médiane : 38 dB) et dépassait la valeur recommandée pour une classe d’école (35 dB) pour 74,4 % des enfants. Il était modérément corrélé aux concentrations des polluants (coefficient de Spearman compris entre 0,38 et 0,45).

Associations observées

Les auteurs ont réalisé deux séries d’analyses, les unes avec des modèles « mono-exposition » (estimation de l’effet de chaque polluant et du bruit séparément), et les autres avec des modèles « multi-expositions » (incluant pour chaque polluant, le bruit). Dans les deux cas, le score SDQ apparaît significativement associé au niveau des polluants atmosphériques, à l’exception du NO2 à l’intérieur. L’effet estimé est une augmentation de 7 à 8 % du score pour une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau des concentrations, ce qui est relativement faible mais pourrait avoir un impact sociétal non négligeable. L’exposition au bruit n’est pas associée au score SDQ, mais elle augmente celui des symptômes du TDAH, l’effet d’une élévation d’un IIQ du niveau sonore (soit 7,6 dB) étant moins marqué dans l’analyse « mono-exposition » (augmentation de 22 % du score) que dans les analyses « multi-expositions » (+ 24 à 29 %). En revanche, les niveaux des polluants, considérés isolément de celui du bruit, apparaissent sans effet sur le score des symptômes type TDAH. Le fait que ce dernier soit associé au bruit tandis que le score SDQ semble dépendre de la qualité de l’air est difficile à interpréter. Les deux outils ne sont pas comparables (le SDQ est un questionnaire de dépistage généraliste des difficultés émotionnelles et comportementales, la liste des symptômes du TDAH vise spécifiquement à diagnostiquer ce trouble) et les évaluateurs étaient différents (parents et enseignants respectivement), mais leur utilisation conjointe peut permettre de recueillir une information plus riche sur le développement de l’enfant.

Plusieurs analyses de sensibilité ont été réalisées, avec ajustements supplémentaires (profession de la mère, niveau d’études du père, consommation d’alcool et de tabac pendant la grossesse, durée de l’allaitement et fratrie) ou restriction de la population aux enfants inscrits dans l’établissement depuis la maternelle. Les résultats sont similaires à ceux de l’analyse principale. Ils appellent la réalisation d’études longitudinales pour examiner la temporalité de la relation entre l’exposition des enfants aux nuisances du trafic à l’école et le développement de troubles comportementaux, en vue d’établir un éventuel lien de causalité.

 


Publication analysée :

* Forns J1, Dadvand P, Foraster M, et al.Traffic-related air pollution, noise at school, and behavioral problems in Barcelona schoolchildren: a cross-sectional study. Environ Health Perspect 2016; 124: 529-35.doi: 10.1289/ehp.1409449

1 Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.