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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux pesticides et cancer du poumon dans l’Agricultural Health Study

Cette deuxième analyse du risque de cancer du poumon dans la vaste cohorte états-unienne professionnellement exposée aux pesticides apporte des éléments supplémentaires en faveur d’un effet de l’exposition à la pendiméthaline et à la dieldrine. Deux autres pesticides, le chlorimuron-éthyle et le parathion, pourraient augmenter le risque de cancer du poumon. Néanmoins, à ce stade du suivi, les résultats demeurent incertains.

This second analysis of the risk of lung cancer in the large US cohort of people with occupational exposure to pesticides provides new elements in support of an effect of exposure to pendimethalin and dieldrin. Two other pesticides, chlorimuron ethyl and parathion, could increase the risk of lung cancer. However, at this stage in the follow-up, the results cannot yet be confirmed.

Lors d’une première analyse de l’effet de l’exposition aux pesticides sur le risque de cancer du poumon dans la cohorte de l’Agricultural Health Study (AHS), constituée entre 1993 et 1997 par l’inclusion de 57 310 agriculteurs et applicateurs professionnels de l’Iowa et de la Caroline du Nord, les auteurs avaient identifié, parmi 50 composés, trois herbicides (le dicamba, le métolachlore et la pendiméthaline) et quatre insecticides (le carbofuran, le chlorpyrifos, le diazinon et la dieldrine) pour lesquels l’augmentation de l’exposition s’accompagnait d’une augmentation du risque. Cette tendance dose-réponse était plus claire pour la pendiméthaline, le chlorpyrifos, le métolachlore et le diazinon. Ces deux derniers pesticides ont ensuite fait l’objet d’évaluations spécifiques dans la même population (plusieurs localisations tumorales examinées), qui ont confirmé une association avec le cancer du poumon pour le diazinon mais pas pour le métolachlore.

Considérant l’existence de ces rapports récents (2015), le diazinon et le métolachlore n’ont pas été inclus dans la liste pour cette nouvelle analyse bénéficiant d’une période d’observation étendue de 10 ans par rapport à la première, publiée en 2004, et incluant 414 cas de cancers du poumon supplémentaires (cas incidents de cancers primitifs identifiés à partir des registres des deux États et confirmés histologiquement). Cinq autres pesticides ont été écartés en raison d’un trop faible nombre de cas exposés (moins de 15). L’exposition cumulée aux 43 pesticides restants a été calculée pour chaque membre de la cohorte comme le produit du nombre d’années d’utilisation par le nombre moyen de jours d’utilisation (préparation du mélange ou application) par an. L’information provenait du questionnaire d’inclusion et avait été mise à jour entre 1999 et 2005 (questionnaire administré par téléphone interrogeant les participants sur tous les pesticides utilisés au cours de l’année écoulée ainsi que leur fréquence d’utilisation). Toutefois 37 % des membres de la cohorte n’avaient pas participé à ce suivi, ce qui constitue une faiblesse de l’étude (une méthode d’imputation multiple a été appliquée pour compenser les données manquantes).

Le nombre cumulé de jours d’exposition a été réparti par quartile sur la base de la distribution dans la population des cas (n = 654), sauf pour sept pesticides (aldrine, captane, carbofuran, coumaphos, dieldrine, heptachlor et toxaphène) pour lesquels une catégorisation par tertile a été préférée du fait d’un nombre de cas exposés relativement faible.

Associations observées

Les associations positives précédemment mises en évidence avec la pendiméthaline et la dieldrine sont retrouvées, mais sans gradient dose-réponse évident ni augmentation statistiquement significative du risque de cancer du poumon dans la catégorie d’exposition supérieure. Ainsi, en comparaison aux sujets non exposés, le hazard ratio (HR) est égal à 1,50 (IC95 = 0,98-2,31) dans le dernier quartile d’exposition à la pendiméthaline et égal à 1,93 (0,70-5,30) dans le tertile supérieur pour la dieldrine (seulement quatre cas dans ce groupe) après ajustement sur l’âge, le tabagisme (statut tabagique et nombre de paquets-année réactualisés sur la base du questionnaire de suivi), le sexe et l’exposition totale aux pesticides. Une subdivision du dernier niveau d’exposition à la pendiméthaline autour de la valeur médiane fait apparaître un excès de risque significatif de cancer du poumon à la marge (HR = 2,52 [1,31-4,83] pour une valeur dans la moitié supérieure du dernier quartile versus 1,26 [0,65-2,46] pour une valeur dans la moitié inférieure).

L’augmentation du risque est également significative dans le dernier quartile d’exposition au chlorimuron-éthyle (HR = 1,74 [1,02-2,96]), un herbicide introduit en 1986 pour traiter les cultures de soja, pour lequel les études épidémiologiques manquent. Cependant, comme pour les autres pesticides, une tendance dose-réponse monotone n’est pas observée.

Pour ces trois composés, les estimations restent proches quand le nombre cumulé de jours d’exposition est pondéré par l’intensité de celle-ci, en utilisant un algorithme prédictif des concentrations urinaires qui prend en compte plusieurs déterminants comme la méthode d’application ainsi que le port d’un équipement de protection et son entretien. En revanche, le changement de métrique fait émerger une tendance dose-réponse significative pour le parathion (p = 0,049 contre 0,073 sans pondération) dont l’effet estimé est le plus fort dans le troisième quartile d’exposition (HR égaux à 1,82 [0,86-3,89] et à 1,65 [0,78-3,52] respectivement avec et sans pondération sur l’intensité de l’exposition). Comme le chlorimuron-éthyle, ce pesticide organophosphoré n’avait pas été associé précédemment dans l’AHS au risque de cancer du poumon, mais une relation avait été mise en évidence avec le mélanome.

Ces nouveaux résultats engagent à poursuivre l’observation de cette cohorte. Malgré l’extension de la période de suivi (qui était ici en moyenne de 14,8 ans) et l’augmentation substantielle des cas de cancers du poumon par rapport à la première analyse, le nombre insuffisant de cas exposés à certains pesticides reste un obstacle à l’obtention de résultats précis et à la réalisation d’explorations plus poussées, par exemple selon le type histologique de la tumeur.


Publication analysée :

* Bonner M1, Beane Freeman L, Hoppin J, et al. Occupational exposure to pesticides and the incidence of lung cancer in the Agricultural Health Study. Environ Health Perspect 2017; 125: 544-51. doi: 10.1289/EHP456

1 Department of Epidemiology and Environmental Health, School of Public Health and Health Professions, University at Buffalo, États-Unis.