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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux émissions de moteurs Diesel ou à essence sur le lieu de travail et cancer colorectal

Contribuant à combler le manque de connaissances sur le sujet, cette étude de type cas-témoins suggère une relation entre une exposition importante aux émissions de moteurs Diesel et le risque de cancer du rectum, qui mérite plus amples travaux.

Adding to the limited knowledge of the subject, this case-control study suggests an association between high-level exposure to diesel engine fumes and the risk of rectal cancer. This association merits further study.

Les gaz d’échappement des moteurs thermiques forment un mélange chimique complexe incluant du monoxyde de carbone, des oxydes d’azote, des composés organiques volatils comme le benzène et le formaldéhyde, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des nitroarènes. L’importance respective des différents gaz, ainsi que la distribution granulométrique des particules émises et leur composition, varient sensiblement selon le carburant et le procédé de combustion, ce qui peut expliquer que les émissions des moteurs Diesel et à essence présentent des profils de toxicité différents.

Elles ont été respectivement classés par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) dans le groupe 2A (agents probablement cancérogènes pour l’homme) en 1988, et dans le groupe 2B (agents peut-être cancérogènes) en 1989. Après une réévaluation en 2012, les émissions des moteurs Diesel ont rejoint le groupe 1 des agents cancérogènes avérés sur la base de preuves suffisantes d’un risque accru de cancer du poumon, tandis que celles des moteurs à essence sont restées dans le groupe 2B.

La poursuite des investigations concernant la cancérogénicité de ces émissions ubiquitaires est demandée par le CIRC. Dans ce cadre, une étude cas-témoins a été réalisée au Canada, afin d’examiner le lien entre l’exposition professionnelle aux gaz d’échappement et le risque de cancer colorectal, localisation qui contribue de manière importante au fardeau de cette maladie. Seuls deux travaux antérieurs, dans la population masculine de Montréal, suggèrent une telle association. Le premier, publié en 1988, explorant les relations entre plusieurs types de produits de combustion et de cancers, rapportait des associations entre une exposition importante à long terme aux émissions des moteurs Diesel et le risque de cancer du côlon (odds ratio [OR] = 1,7 [IC90 : 1,2-2,5]), ainsi qu’entre une exposition de même niveau aux émissions de moteurs à essence et le cancer rectal (OR = 1,6 [1,1-2,3]). Toutefois le nombre de cas était faible (côlon : n = 364 ; rectum : n = 190) et les informations relatives à des facteurs de risque du cancer colorectal (indice de masse corporelle [IMC], alimentation, activité physique) manquaient. Une seconde étude, plus précise, publiée en 2001, confirmait l’association entre une exposition substantielle aux émissions des moteurs Diesel et le cancer du côlon (n = 497 cas) : l’odds ratio était égal à 1,6 (IC95 : 1-2,5) quand le groupe témoin incluait des sujets présentant un cancer hors sphères digestive et respiratoire, et égal à 2,1 (1,1-3,7) avec un groupe de référence restreint aux sujets indemnes de cancers.

 

Nouvelle analyse dans une population plus vaste

Cette analyse s’appuie sur des données du réseau de surveillance national des cancers collectées entre 1994 et 1997, incluant des informations détaillées sur les facteurs de risque hygiénodiététiques et l’histoire professionnelle des sujets (pour tout travail exercé pendant au moins 12 mois : intitulé du poste, principale tâche, type d’industrie, localisation, période d’emploi). Les auteurs ont limité leur population aux 1 771 cas de cancer colorectal (dont 931 cancers du côlon et 840 cancers du rectum ; 1 360 témoins appariés sur l’âge) diagnostiqués chez des hommes de plus de 40 ans, étant donné l’importance des prédispositions génétiques dans la survenue d’un tel cancer à un âge plus jeune et la sous-représentation des femmes dans les professions exposant aux émissions des moteurs durant la période d’intérêt (années 1960 à 1990).

Sur la base des descriptions de postes, une équipe de chimistes et d’hygiénistes industriels a estimé, pour chaque sujet, sans connaître son statut de cas ou de témoin, la probabilité (nulle, possible, probable ou certaine) de son exposition aux émissions diesel et essence, ainsi qu’aux amines aromatiques et à l’amiante, expositions prises en compte dans les analyses statistiques avec d’autres covariables (âge au moment du diagnostic, province de résidence, répondant [sujet ou tiers], IMC, fluctuation pondérale, indice d’activité physique, consommation d’alcool, de tabac et de produits carnés). Afin de limiter les erreurs de classement, les sujets « possiblement » exposés ont été regroupés avec les sujets non exposés. L’exposition probable ou certaine aux émissions de moteurs Diesel à un moment quelconque de la carrière professionnelle concernait 638 cas (36 % de cette population) et 491 témoins (36,1 %), et l’exposition aux émissions de moteurs à essence 814 cas (46 %) et 577 témoins (57,6 %).

L’exposition a été par ailleurs évaluée en termes de niveau (faible [mais dépassant l’exposition de la population générale], moyen ou élevé), de fréquence (en pourcentage du temps de travail, de moins de 5 % pour la première catégorie à plus de 30 % pour la troisième), et de durée (jusqu’à 10 années ou plus).

Résultats

L’exposition quelle qu’elle soit (« ever exposure ») n’est pas associée à un excès de risque de cancer colorectal (OR respectifs égaux à 0,88 [IC95 : 0,74-1,06] pour les émissions diesel et 1,1 [0,93-1,31] pour les émissions essence). Les résultats sont similaires quand les cancers du côlon et du rectum sont considérés séparément. En revanche, un effet d’une exposition importante aux émissions diesel est mis en évidence, plus particulièrement sur le cancer rectal. Les OR pour un niveau de concentration de gaz et particules diesel élevé (versus un niveau de fond) sont ainsi égaux à 1,65 (0,98-2,80) pour le cancer colorectal, à 1,35 (0,72-2,54) pour le cancer du côlon et à 1,98 (1,09-3,60) pour celui du rectum, seul résultat statistiquement significatif à partir de 29 cas et 25 témoins exposés. Les estimations correspondantes pour une durée d’exposition à un niveau élevé de plus de 10 ans sont : 1,90 (0,85-4,23) ; 1,34 (0,51-3,55) et 2,33 (0,94-5,78). Aucune influence de l’exposition aux émissions des moteurs à essence n’est observée.

Ces résultats combinés à l’absence de tendance « dose-réponse » suggèrent que les émissions diesel pourraient augmenter le risque de cancer rectal dans certaines situations exposant de manière prolongée à des concentrations élevées, comme le travail dans une mine souterraine où s’activent divers engins de chantier.


Publication analysée :

* Kachuri L1, Villeneuve PJ, Parent ME, Johnson KC, the Canadian Cancer Registries Epidemiology Research Group and Harris SA. Workplace exposure to diesel and gasoline engine exhausts and the risk of colorectal cancer in Canadian men. Environ Health 2016; 15: 4.doi: 10.1186/s12940-016-0088-1

1 Dalla Lana School of Public Health, University of Toronto, Canada.