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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition à l’amiante et cancer colorectal : données du programme de suivi post-professionnel français ARDCo

Cette analyse de l’incidence du cancer colorectal dans une population masculine professionnellement exposée à l’amiante par le passé fournit des arguments supplémentaires pour considérer l’amiante comme un facteur de risque de cancer du côlon, dans le contexte d’une association toujours controversée.

This analysis of the incidence of colorectal cancer in men with previous occupational exposure to asbestos provides further support for the consideration of asbestos as a risk factor for colon cancer, although the association remains controversial.

Lors de la réévaluation, en 2012, de la cancérogénicité de l’amiante, le groupe d’experts du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a estimé disposer d’indications suffisantes pour ajouter deux localisations – l’ovaire et le larynx – au poumon et aux séreuses (plèvre, péritoine), tandis que les preuves d’un lien entre l’exposition à l’amiante et le cancer colorectal n’étaient pas aussi convaincantes. Quatre études épidémiologiques ont été publiées postérieurement, dont deux rapportant une association entre l’exposition professionnelle à l’amiante et le cancer colorectal, et les deux autres négatives, ce qui reflète l’incohérence de la littérature dans son ensemble. Les études fondées sur des données de mortalité y sont plus nombreuses que les études d’incidence comme cette nouvelle investigation au sein de la cohorte française ARDCo (Asbestos-Related Diseases Cohort), qui se distingue par des analyses séparées pour les cancers du côlon et du rectum, et par l’effort de prise en compte de facteurs de risque habituellement négligés.

Présentation de l’étude

La cohorte, qui inclut des participants des régions Normandie, Aquitaine et Rhône-Alpes, a été constituée entre 2003 et 2005 dans le cadre de la mise en place d’un programme de surveillance des sujets (retraités ou sans emploi à l’entrée) ayant été professionnellement exposés à l’amiante (divers secteurs industriels et de la construction). L’exposition a été évaluée par des hygiénistes industriels à partir de l’historique professionnel complet restitué par les participants. Un indice d’exposition cumulée (IEC) a été établi tenant compte de l’intensité de l’exposition pour chaque poste exposé occupé au cours de la carrière (quatre niveaux) et de la durée d’exposition. Les auteurs ont également considéré le temps écoulé depuis la première exposition. Chacun des deux critères a été traité comme une variable continue et catégorielle (quatre groupes, celui de référence rassemblant les sujets dans le premier quartile pour l’IEC et ceux dont le premier contact avec l’amiante datait de moins de 20 ans pour le temps écoulé depuis la première exposition).

Les analyses ont été réalisées, d’une part, dans la totalité de la population masculine de la cohorte (n = 14 515), avec ajustement sur le tabagisme (information recueillie à l’entrée), d’autre part, dans la sous-population ayant participé à une enquête proposée en 2011 (n = 3 579). Les informations collectées à cette occasion ont permis d’effectuer des ajustements supplémentaires sur la consommation de viande rouge et d’alcool, ainsi que sur l’indice de masse corporelle, le niveau d’activité physique et les antécédents familiaux de polypose adénomateuse et de cancer colorectal. La sous-population présentait des caractéristiques similaires à celle de la population mère en termes d’exposition cumulée, de durée d’exposition (en moyenne 31,8 ans versus 30,9 ans dans la population totale), de temps écoulé depuis la première exposition (moyennes identiques de 53,4 ans) et de durée du suivi (10,2 ans).

À la date de clôture du suivi (30 avril 2014), 181 cas de cancer du côlon et 62 cas de cancer du rectum (dont respectivement 41 et 17 cas dans la sous-population) avaient été identifiés sur la base des prises en charge pour affection de longue durée accordées par les caisses d’assurance maladie.

Résultats

Dans la population totale, le risque de cancer du côlon est associé à l’exposition cumulée à l’amiante en tant que variable continue (hazard ratio [HR] égal à 1,14 [IC95 : 1,04-1,26] pour l’augmentation d’une unité de l’IEC log-transformé), alors que les résultats de l’analyse catégorielle ne sont pas statistiquement significatifs : HR = 1,17 (0,74-1,85) dans le deuxième quartile d’exposition cumulée, puis 1,55 (0,99-2,42) et 1,54 (0,97-2,45). Le risque est par ailleurs augmenté quand la première exposition date de 20 à 40 ans (HR = 4,67 [1,92-11,46] versus < 20 ans), puis l’association disparaît (HR = 1,02 [0,45-2,31] pour une antériorité de 40 à 59 ans, groupe réunissant 78 % des cas) et s’inverse finalement (HR = 0,26 [0,10-0,70] à partir de 60 ans). L’antériorité de l’exposition apparaissant corrélée à l’exposition cumulée, les auteurs ont effectué une analyse stratifiée qui montre un effet de l’exposition cumulée lorsque moins de 40 ans se sont écoulés depuis le premier contact avec l’amiante (HR par unité d’IEC = 1,57 [1,25-1,98] versus 1,05 [0,95-1,16] pour une première exposition plus ancienne).

Le cancer du rectum est associé, comme celui du côlon, à un délai depuis la première exposition compris entre 20 et 40 ans (HR = 4,57 [1,14-18,27]), mais une relation avec l’IEC n’est pas retrouvée. Ces résultats nécessitent d’être interprétés avec prudence étant donné le petit nombre de cas.

Cette limite s’applique aux analyses effectuées dans la sous-population avec contrôle des facteurs de risque du cancer colorectal. Elles retrouvent une association positive entre l’exposition cumulée à l’amiante et le risque de cancer du côlon uniquement dans le sous-groupe des sujets dont la première exposition remonte à moins de 40 ans (HR = 1,94 [1,23-3,07] sur la base de 264 observations et 5 cas versus HR = 0,95 pour un début d’exposition plus ancien).

L’allure inattendue de la relation entre le temps écoulé depuis la première exposition et l’incidence du cancer du côlon reste à confirmer et à expliquer. Une analyse de la mortalité par cancer dans une population de travailleurs de l’amiante textile en Italie avait précédemment rapporté une moindre surmortalité par cancer du poumon et mésothéliome quand la première exposition remontait à au moins 35 ans par rapport à un temps de latence de 25 à 35 ans.

 


Publication analysée :

* Paris C1, Thaon I, Hérin F, et al. Occupational asbestos exposure and incidence of colon and rectal cancers in French men: The Asbestos-Related Diseases Cohort (ARDCo-Nut). Environ Health Perspect 2017; 125:409-15. doi: 10.1289/EHP153

1 EA7298 INGRES (Interactions gènes-risques environnementaux et effets sur la santé), Faculté de médecine, Université de Lorraine, Vandœuvre-lès-Nancy, France.