JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Évolution de la vulnérabilité à la chaleur et au froid : revue de la littérature

Incluant des études réalisées en différents endroits, encore peu nombreuses et hétérogènes sur le plan méthodologique, cette première revue de la littérature sur le sujet indique que la vulnérabilité des populations à la chaleur et aux canicules a diminué. Le même phénomène n’est pas observé pour le froid, sous-étudié.

The literature on vulnerability to heat and cold is scarce and based on widely varying methodology. This first review indicates that population susceptibility to heat and heat waves has decreased. This has not been observed in relation to cold temperatures, but only five studies were available.

Dans un contexte d’urbanisation croissante et de vieillissement démographique, la nécessité de protéger les populations des effets du changement climatique génère un important besoin de connaissances scientifiques. L’une des préoccupations majeures pour la santé publique est l’impact sur la mortalité de l’exposition à des températures extérieures très élevées ou basses. Les études observationnelles de type série temporelle ou cas-croisé ont établi l’allure générale en « U », « V » ou « J », de la courbe de mortalité en fonction de la température, et montré que son point bas (température de mortalité minimale [TMM]) variait en fonction de la latitude, ce qui reflète l’acclimatation des populations aux conditions locales et suggère une certaine capacité d’adaptation au réchauffement de la planète.

La preuve de cette adaptabilité est à rechercher du côté des études réalisées en un lieu donné, qui ont examiné l’évolution de la relation température-mortalité dans le temps, ou comparé la mortalité imputable à plusieurs événements climatiques extrêmes (vagues de chaleur ou de froid) successifs.

Respectivement onze et six études entrant dans l’une et l’autre de ces catégories ont été identifiées par les auteurs de cette revue de la littérature, à l’issue d’une recherche dans cinq bases de données bibliographiques (articles en anglais). Ces travaux étaient trop peu comparables pour envisager des méta-analyses. Par exemple, diverses approches (présentant toutes des limites) avaient été utilisées pour mesurer l’effet d’une augmentation de la température sur la mortalité : calcul du risque relatif (RR) par incrément d’1 ̊C (ou 10 ̊F) au-dessus de la TMM ou d’une autre valeur seuil (fixe ou pouvant évoluer dans le temps), RR par comparaison de la mortalité pour deux valeurs de température (29 ̊C versus 22 ̊C, 98e percentile versus moyenne, etc.), estimation du poids des décès imputables à la chaleur en pourcentage des décès ou en termes de surmortalité dans la population.

Évolution de la relation température-mortalité

Les onze articles rapportant la variation temporelle de la mortalité liée à la température dans une même zone géographique (publiés entre 2003 et 2014) intéressaient exclusivement des pays développés (États-Unis ou Europe, hormis une étude en Corée, à Séoul). La période de temps considérée allait de 18 à 150 ans. L’indicateur sanitaire était la mortalité générale pour dix études (dont trois avaient également examiné la tendance pour la mortalité de cause spécifique, cardiovasculaire et/ou respiratoire) et la mortalité cardiovasculaire uniquement dans la onzième. Cinq études avaient analysé à la fois l’évolution de la mortalité liée à la chaleur et au froid, les six autres étant focalisées sur les températures élevées. Les populations urbaines prédominaient (huit études), quatre articles fournissaient des résultats par catégories d’âges, deux concernaient uniquement des populations âgées.

Dix de ces onze études montrent une diminution de la mortalité liée à la chaleur. La tendance temporelle ou la différence d’effet entre deux moments d’observation est significative dans cinq des sept études ayant testé la signification statistique des résultats obtenus. Sur la base de trois travaux, ayant couvert le XXe siècle, fondés sur des RR, l’excès de mortalité lié à la chaleur apparaît diminuer franchement au cours de la première moitié du siècle, puis la tendance à la baisse s’atténue fortement et se stabilise. Un rôle de la « transition épidémiologique » (passage d’une époque marquée par le fardeau des maladies infectieuses à l’époque moderne dominée par le poids des maladies chroniques non transmissibles) est évoqué par les auteurs de l’analyse sur la plus longue durée (données 1900-1996 concernant Londres). Le ralentissement de la tendance à la baisse peut aussi témoigner d’une limite à l’adaptation, ce qui nécessite d’être exploré par de nouvelles études centrées sur les dernières décennies. Se référant au poids des décès attribuables à la chaleur, trois études rapportent sa diminution au cours de la période récente (deux réalisées aux États-Unis : périodes 1987-2005 [105 villes] et 1964-1998 [28 villes], et une investigation dans trois zones [Caroline du Nord, sud-est de l’Angleterre et sud de la Finlande] sur la période 1971-1997). L’hypothèse d’une diminution de la vulnérabilité à la chaleur est soutenue par les résultats de quatre études reposant sur d’autres approches (comparaison de la mortalité liée à la chaleur observée sur la période 1976-2005 au Royaume-Uni à une prédiction fondée sur un scénario « sans adaptation » ; comparaison de l’excès de mortalité entre les années 1970 et 2007 à Vienne pour trois plages fixes de températures ; comparaison de la mortalité cardiovasculaire associée à une augmentation de 10̊F entre les années 1987 et 2000 dans la population âgée de 107 villes des États-Unis ; analyse de l’évolution de la TMM conjointement à celle de la mortalité liée à la chaleur par périodes de 25 ans entre 1855 et 2006 dans la province néerlandaise de Zélande). Dans leur ensemble, ces études incitent à choisir une période de référence récente pour améliorer la fiabilité des projections de mortalité, qui ont pu être surestimées avec des fonctions température-mortalité établies à partir de données anciennes.

Des cinq études ayant analysé l’évolution de la mortalité liée au froid, une seule (celle concernant Londres) rapporte sa diminution significative au cours du XXe siècle. Cette publication est aussi l’unique mentionnant la prise en compte de la pollution atmosphérique (pour la période la plus récente avec données disponibles), mais l’importance de son contrôle est débattue. Le facteur « épidémie de grippe » a également été considéré dans cette étude, ainsi que dans deux autres.

Évolution de l’effet d’événements extrêmes

Six études avaient comparé la mortalité due à plusieurs épisodes caniculaires survenus en l’espace de quelques décennies ou années en République tchèque, en France, à Shanghai et à St Louis (Missouri). Quatre rapportent une diminution de l’impact des canicules sur la période récente, et celle-ci est significative dans les deux études avec analyse statistique. Leurs auteurs évoquent, à titre d’explication, l’introduction de plans canicule, la diffusion des systèmes de climatisation, ou encore l’amélioration de l’urbanisme et des conditions de logement. Toutefois, aucune évaluation quantitative de l’effet de ces facteurs n’a été réalisée, ce qui constitue un manque à combler, à la fois pour connaître l’efficacité de mesures visant à réduire l’exposition à la chaleur et pour dégager la contribution d’une baisse de la vulnérabilité à la chaleur. Sur ce point, les preuves fournies par ces études restent limitées du fait de leur conception moins robuste que celle des études sur la relation température-mortalité. L’effet d’une canicule est habituellement estimé par comparaison du nombre de décès observé à un nombre attendu, donné par des modèles plus ou moins complexes tenant compte de périodes de temps plus ou moins longues. Le rapprochement entre deux événements dont les impacts ont été analysés individuellement est discutable, plusieurs facteurs pouvant les différencier (intensité, durée, températures des jours précédents, etc.).

Aucune publication sur l’évolution de la mortalité liée aux vagues de froid n’a été retrouvée par les auteurs de cette revue qui le regrettent, estimant que les efforts d’adaptation au changement climatique devraient cibler autant les températures élevées que basses. Des périodes de froid extrême peuvent encore s’abattre sur certaines zones, qui parfois subissent également des canicules. Par ailleurs, les températures maximales semblent grimper plus vite que les températures minimales, et les rares études ayant examiné l’évolution de la mortalité due au froid n’indiquent pas clairement une diminution de la vulnérabilité aux basses températures, alors qu’elles s’accordent sur ce phénomène pour la chaleur.


Publication analysée :

* Arbuthnott K1, Hajat S, Heaviside C, Vardoulakis S. Changes in population susceptibility to heat and cold over time: assessing adaptation to climate change. Environmental Health 2016 ; 15(Suppl 1): 33.doi: 10.1186/s12940-016-0102-7

1 Department of Social and Environmental Health Research, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.