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ANALYSE D'ARTICLE

Évolution de la relation température-mortalité en France

Cette analyse spatio-temporelle de la relation entre la température et la mortalité des Français de plus de 65 ans sur une période de 42 années (1968-2009) indique, dans une certaine mesure, l’adaptation de la population au réchauffement climatique.

This spatiotemporal study of the relation between temperature and mortality in French people over 65 over a 42-year period (1968-2009) reports that to some degree people are adapting to a warming climate.

Où qu’elles soient établies, les courbes de mortalité en fonction de la température extérieure présentent une allure en « U » ou en « J » et passent par un point bas correspondant à la température de mortalité minimale (TMM). Sa valeur varie avec la température estivale moyenne (TEM) comme le montre une étude européenne : la plage de mortalité minimale correspond ainsi à une TEM comprise entre 14,3 et 17,3 °C dans le nord de la Finlande, entre 19,3 et 22,3 °C à Londres, et entre 22,7 et 25,7 °C à Athènes. D’autres études confirment la variation de la TMM en fonction de la latitude, aux États-Unis (comparaison des valeurs de 11 villes) et en Espagne (13 villes). Cette donnée peut s’expliquer par l’adaptation comportementale des populations aux conditions climatiques locales et suggère leurs capacités d’adaptation au changement climatique. L’observation d’une variabilité spatiale de la TMM ne peut toutefois suffire à fonder cette hypothèse. Elle demande à être renforcée par l’observation d’une variabilité temporelle de la TMM sous l’effet du changement climatique en marche.

Les températures estivales et hivernales moyennes ont respectivement augmenté d’1,6 °C et de 0,8 °C entre 1968 et 2009 en France hexagonale. La diversité climatique du territoire permet d’examiner la covariation spatio-temporelle de la TMM au cours de ces 42 années, qui constituent la plus longue période d’observation prise en compte pour une analyse de la relation température-mortalité. Ce travail se distingue également par une couverture intégrale du territoire tandis que les études antérieures concernaient essentiellement des grosses agglomérations. Or l’impact de la température extérieure peut dépendre de facteurs inégalement répartis entre zones rurales et urbaines (disponibilité des services de secours et sanitaires, soutien social, accès à l’air climatisé, etc.). Une grande ville et sa banlieue ne constituent pas non plus un secteur homogène, ce qui justifie un niveau d’observation plus fin.

 

Méthode

En pratique, les auteurs ont appliqué sur la carte de France une grille au maillage le plus serré possible compatible avec une analyse de régression pertinente. Une maille d’approximativement 30 sur 30 km a été retenue (correspondant à 0,5° de latitude sur 0,5° de longitude), divisant le territoire en 295 carrés, dont 228 remplissaient le critère d’un nombre de décès supérieur à 22 500 au cours des 42 années étudiées (environ 1,5 décès par jour). Les événements pris en compte étaient tous les décès de cause naturelle (exclusion des causes externes) chez des personnes de plus de 65 ans (n = 16 487 668 au total). L’analyse sur l’ensemble de la période a été complétée par une analyse par tranches de 14 ans (1968-1981, 1982-1995, 1996-2009) à partir des informations de 224 zones totalisant plus de 7 500 décès au cours de chaque période. Des analyses de sensibilité ont été réalisées avec un nombre15 000, 22 500 ou 37 500), réduisant le nombre de zones incluses (respectivement à 99, 47 et 15). Les auteurs ont examiné la corrélation entre la TMM et trois variables sociodémographiques : la densité de population (marqueur du niveau d’urbanisation), le taux de chômage des personnes de 25 à 54 ans (indicateur du niveau de pauvreté), et la proportion des sujets de plus de 25 ans diplômés de l’enseignement secondaire (marqueur du niveau d’études). Ces informations statistiques étaient disponibles à l’échelon de la commune (près de 36 000 sur le territoire étudié) et provenaient des recensements des années 1968, 1975, 1982, 1990, 1995 et 2008. Pour chaque zone, les communes considérées étaient celles dont le centre géographique se situait à l’intérieur du carré. Une moyenne des données établies par les deux recensements couvrant chaque période de 14 ans a été utilisée (par exemple, pour la première période allant de 1968 à 1981, les données des recensements de 1968 et 1975 ont été moyennées). Une quatrième variable explicative potentielle de la TMM a été examinée : le taux de mortalité infantile (pris comme indicateur des services sanitaires), établi pour chaque zone et chaque période à partir des données des registres des naissances et des décès.

 

Variation spatiale de la TMM

L’analyse sur l’ensemble de la période montre, comme attendu, que la TMM est négativement corrélée à la latitude (r = -0,63) et positivement corrélée à la TEM (r = 0,9) ainsi qu’à la température hivernale moyenne (THM : r = 0,62), les trois résultats étant très significatifs (p < 2,2 x 10-16). La relation entre la TMM et la TEM est linéaire : à une augmentation d’1 °C de la TEM correspond une augmentation de 0,76 °C de la TMM (IC95 = 0,71-0,81).

 

Tendance évolutive

Dans 211 zones sur 224, indépendamment de leur caractère urbain ou rural, la courbe température-mortalité est en « U » ou en « J » pour les trois périodes de 14 ans. La TMM s’élève dans le temps : entre 1968 et 1981 (P1), sa valeur moyenne est de 17,5 °C (25e percentile : 16,4 °C, 75e percentile : 18,2 °C). Dans la deuxième période (P2 : 1982-1995) les valeurs sont : 17,8 °C (16,8-18,6), et dans la troisième (P3 : 1996-2009) la TMM moyenne est de 18,2 °C avec des valeurs aux 25e et 75e percentiles égales à 17,2 °C et 19,3 °C. En parallèle, l’excès de mortalité à une température de 25 °C diminue : 1,19 ± 0,13 (P1), 1,15 ± 0,09 (P2), 1,14 ± 0,09 (P3). La même tendance est observée pour le rapport mortalité à 25 °C/mortalité à 18 °C dont les valeurs successives sont 1,18 ± 0,12, 1,16 ± 0,08 et 1,15 ± 0,08. Le taux de chômage est la seule variable sociodémographique significativement (et positivement) corrélée à la TMM pour chacune des trois périodes.

En accord avec ce qui est communément admis – la TMM est un bon reflet de l’adaptation aux conditions climatiques – les résultats de cette étude sont optimistes : la population française a été capable de s’adapter au réchauffement constaté au cours de la période 1968-2009 et cette adaptation est observée pour tout degré d’urbanisation. Toutefois, l’amplitude du changement dans le temps est inférieure à ce que prédit la variabilité spatiale de la TMM. L’analyse géographique initiale (P1) indique que celle-ci se décale de 0,69 °C par gain d’1 °C de la TEM. En appliquant cette relation à l’évolution de la TEM au cours des 42 années (+1,6 °C), la TMM aurait dû s’élever d’1,1 °C au lieu de 0,7 °C. La différence observée entre des populations vivant sous des climats différents auxquels elles sont habituées de longue date ne présume pas de l’adaptabilité à une modification des conditions locales. De plus, la température n’est qu’un paramètre climatique parmi d’autres. Enfin, l’augmentation de la TMM ne doit pas masquer d’autres informations comme le nombre de jours au-dessus de cette valeur, qui est passé de 825 (P1) à 994 (P3) en moyenne.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Todd N, Valleron AJ. Space-time covariation of mortality with temperature: a systematic study of deaths in France. Environ Health Perspect 2015; 123: 659-64.

U1169, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Le Kremlin-Bicêtre, France.

doi: 10.1289/ehp.1307771