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ANALYSE D'ARTICLE

Enquête sur la couverture journalistique des études épidémiologiques : les raisons du biais médiatique

Analysant la manière dont les journalistes de la presse généraliste traitent les informations issues de la recherche en épidémiologie, les auteurs de cette enquête relèvent qu’ils privilégient les études concernant des facteurs de risque modifiables, ainsi que celles rapportant des résultats positifs et nouveaux, même s’ils sont souvent contredits par la suite, ce dont le public est rarement averti.

The authors of this investigation analyzing newspaper coverage of information from epidemiological research show that journalists give wider coverage to studies with lifestyle (modifiable) risk factors and to those reporting new and positive results. Although these are often subsequently contradicted, the public is rarely informed.

La « crise de la reproductibilité » – la difficulté ou l’impossibilité de reproduire les résultats d’une première étude sur un nouveau sujet – fait régulièrement l’objet d’éditoriaux dans des revues scientifiques. Elle touche les trois niveaux de la recherche biomédicale : études précliniques, études d’associations entre des facteurs de risque ou des biomarqueurs et des maladies, et essais cliniques. Pour un scientifique, le fait que les résultats d’une étude initiale ne soient pas validés par des publications successives ne représente pas un problème. Ces résultats sont considérés avec prudence pour leur caractère incertain et à confirmer par d’autres travaux jusqu’à ce que l’accumulation de preuves soit jugée suffisante.

Mais qu’en est-il pour le grand public ? Est-il bien informé de la fragilité des « découvertes scientifiques » qu’on lui annonce ?

Le cas d’une étude sur la dépression, présenté dans cet article écrit par des membres du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), suggère l’inverse. L’étude, fortement médiatisée lors de sa publication en 2003, indiquait que les sujets porteurs d’un variant génétique du transporteur de la sérotonine présentaient un risque accru de dépression face aux événements stressants de la vie. Une méta-analyse de 14 études a conclu à l’absence d’influence du polymorphisme génétique en 2009, mais l’étude initiale (incluse dans la méta-analyse) a continué d’être citée dans la presse. L’annonce, qui a pu être interprétée comme la découverte d’un « gène de la dépression », sans démenti par la suite, aura probablement durablement mis l’accent sur le versant génétique de l’interaction gène-environnement, aux dépens d’autres facteurs qui mériteraient pourtant l’attention.

Testant l’hypothèse d’une préférence des journalistes pour les études initiales, les auteurs ont réalisé une première investigation limitée à la couverture du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) dans la presse anglo-saxonne. Parmi 47 études publiées dans des revues scientifiques entre 1990 et 1999, 10 (six études épidémiologiques dont une descriptive et cinq analytiques, trois essais cliniques et une étude expérimentale chez la souris) ont été très médiatisées, donnant lieu à 223 articles de presse. Sept d’entre elles étaient des premières études dont les conclusions ont été soit réfutées soit largement atténuées par des études postérieures. Ces dernières (67 études publiées jusqu’en 2011) n’ont fait l’objet que de 57 articles de presse dont un seul mentionnait l’atténuation des résultats de l’étude initiale.

Nouvelle investigation plus poussée

Pour continuer d’explorer la distorsion de l’information en direction du grand public, les auteurs ont inclus d’autres sujets de psychiatrie que le TDAH (autisme, dépression et schizophrénie), ainsi que quatre pathologies neurologiques (maladies d’Alzheimer et de Parkinson, épilepsie, sclérose en plaques), le cancer du sein, le glaucome, le psoriasis et la polyarthrite rhumatoïde. Seules les études épidémiologiques de type analytique ont été considérées. Une recherche dans la base de données PubMed (articles publiés en anglais entre 2008 et 2012) a permis d’identifier 306 articles de méta-analyses relatifs aux pathologies sélectionnées. Leur matériel incluait 405 études initiales et 4 318 subséquentes, dont les résultats ont été jugés en accord avec ceux des méta-analyses correspondantes (supposées fournir l’estimation la plus proche du véritable effet d’un facteur de risque) s’ils allaient dans le même sens (association positive, négative ou absente) et restaient dans la fourchette du double (ou de la moitié) de l’effet combiné issu de la méta-analyse.

Les auteurs ont recherché dans la base de données Factiva les retombées presse des différentes publications considérées (méta-analyses et études primaires, initiales ou suivantes) en se limitant aux articles écrits en anglais dans des journaux généralistes et dans le mois suivant la publication scientifique.

Critères favorisant la médiatisation

Des 4 723 études primaires, 156 (53 initiales et 103 subséquentes), intéressant 10 des 12 pathologies à l’exception de l’épilepsie et du psoriasis, ont été reprises par la presse, générant 1 475 articles. En regard, 86 articles avaient couvert 5 des 306 méta-analyses.

Quel que soit le domaine, les journalistes privilégient les études sur les effets de facteurs liés au mode de vie et aux choix individuels (par exemple, consommation de viande rouge, tabagisme, vaccinations non obligatoires) par rapport aux études rapportant les effets de facteurs non modifiables (par exemple, génétiques). Les études primaires de la première catégorie, les moins nombreuses (n = 639), trouvent ainsi un écho à peu près équivalent, qu’elles soient initiales (12,8 % sont reprises par la presse) ou pas (9,7 %). En revanche, la primauté aux études initiales (taux de couverture journalistique égal à 13,1 % versus 1,2 % pour les suivantes) est très marquée dans la seconde catégorie (rassemblant 4 084 publications), où la notoriété de la revue dans laquelle l’étude a été publiée (approchée par le facteur d’impact) influence significativement sa couverture médiatique.

Focus sur les résultats présentés

Dans toutes les premières études dont les résultats ont été relayés par la presse, l’effet du facteur examiné était statistiquement significatif. Aucune des 174 études montrant une absence d’association (soit 43 % de toutes les études initiales de l’échantillon) n’a retenu l’attention des journalistes. Parmi les 103 études subséquentes reprises dans les journaux, 89 rapportaient des résultats positifs (ayant généré 1 475 articles) et 14 des résultats nuls (75 articles seulement).

La comparaison des résultats de ces études primaires à ceux des méta-analyses montre une cohérence pour 18 des 53 études initiales (34 %) et pour 58 des 103 études subséquentes (56,3 %). Les études en psychiatrie sont moins souvent confirmées par une méta-analyse (10/38) que les études en neurologie (26/41) ou relatives aux quatre autres pathologies (40/77).

Les 35 études initiales dont les résultats, rapportés dans 234 articles de presse, sont discordants avec ceux des méta-analyses correspondantes, ont été suivis par 503 études dont 398 présentaient des résultats contradictoires (absence d’effet ou association significative de sens contraire). Une seule a été reprise par trois journaux (dont deux avaient couvert l’étude initiale) qui n’ont pas mentionné que ses résultats contredisaient ceux de la première étude. De même, une seule méta-analyse a fait l’objet de quatre articles de presse indiquant explicitement que sa conclusion invalidait les premiers résultats présentés.

Cette situation préjudiciable à la qualité de l’information délivrée au grand public résulte de torts partagés selon les investigateurs. La plupart des journalistes de la presse généraliste ne connaissent pas ou préfèrent ne pas prendre en compte le degré d’incertitude élevé entourant des travaux de recherche biomédicale innovants. Quand ils préparent un article sur une étude scientifique, ils devraient interroger son auteur pour savoir s’il s’agit de résultats nouveaux nécessitant d’être validés. En retour, les auteurs doivent œuvrer pour améliorer la qualité et la précision des articles présentant leurs travaux, par sens de la responsabilité, mais aussi dans l’intérêt de leur communauté, pour accroître sa crédibilité et la confiance que le grand public lui porte.


Publication analysée :

* Dumas-Mallet E1, Smith A, Boraud T, Gonon F. Poor replication validity of biomedical association studies reported by newspapers. PLoS ONE 2017; 12(2): e0172650. doi:10.1371/journal.pone.0172650

1 Centre Emile Durkheim, CNRS UMR5116 & Institute of Neurodegenerative Diseases, CNRS UMR5293, université de Bordeaux, France.