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ANALYSE D'ARTICLE

Électro-hypersensibilité : enquête auprès des médecins généralistes, des médecins du travail et des hygiénistes des Pays-Bas

Des chercheurs hollandais et suisses ont réalisé, entre octobre 2013 et janvier 2014, aux Pays-Bas, une enquête sur les personnes électro-hypersensibles auprès des professionnels de santé susceptibles d’être consultés en première ligne dans le cadre des soins et de la prévention.

From October 2013 through January 2014, Dutch and Swiss researchers conducted a survey in the Netherlands on electrohypersensitive (EHS) people among the healthcare providers likely to be consulted for primary care and prevention.

Cette enquête reprend les principes d’enquêtes de même nature déjà réalisées en Autriche (Leitgeb [2005]), en Suisse (Huss et Röösli [BMC Public Health 2006]) et en France (Lambrozo et Souques [Press Med 2013]) sur les médecins généralistes et les champs électromagnétiques (CEM). Cette nouvelle enquête élargit le champ des personnes interrogées à deux autres groupes de professionnels de santé, dans le cadre du travail : les médecins du travail et les préventeurs des risques professionnels. Les auteurs justifient cet élargissement par le fait que les personnes électro-hypersensibles (EHS) peuvent se sentir exposées aux CEM ou éprouver leurs symptômes durant leur travail et donc se tourner en premier lieu vers les services de prévention et de santé au travail.

 

 

Échantillon interrogé

Des questionnaires ont été envoyés à tous les préventeurs des risques professionnels (478 personnes) et tous les médecins du travail (1 665 personnes) officiellement enregistrés. Ces questionnaires ont également été envoyés aux 8 462 médecins généralistes inscrits sur les listes téléphoniques nationales.

Au-delà des caractéristiques individuelles des professionnels (âge, sexe, etc.), ont été recueill

  • les opinions des participants sur les liens entre plaintes de santé et exposition aux CEM
  • leurs éventuels troubles personnels attribués aux CEM ;
  • leurs expériences professionnelles sur le sujet (nombre de patients, leur avis de professionnel sur le lien causal, le type de symptômes évoqués par les patients, les sources incriminées et la plausibilité qu’ils accordaient à l’association, le type de traitement ou de conseil qu’ils avaient préconisé).

Les médecins du travail et les médecins généralistes devaient préciser s’ils pratiquaient également d’autres types de médecine (homéopathie, acupuncture, etc.).

Des comparaisons ont été effectuées entre les trois groupes de professionnels.

Résultats

Les taux de réponse varient de 29 % pour les médecins généralistes à 37 % pour les préventeurs des risques professionnels.

Les répondants sont plutôt des hommes (57-64 %), entre 48 et 50 ans avec une expérience professionnelle de 17 à 21 ans. Seulement 3 % des médecins (généralistes ou du travail) ont une formation en médecine alternative. Enfin, 2 à 4 % des trois groupes de professionnels ont eu eux-mêmes des troubles de santé qu’ils ont relié aux CEM.

Une grande majorité des répondants se sentent insuffisamment informés sur les CEM et la santé : 72 % des médecins généralistes, 60 % des préventeurs des risques professionnels et 53 % des médecins du travail.

Les préventeurs des risques professionnels sont légèrement moins enclins à considérer les troubles de santé attribués aux CEM comme des symptômes psychosomatiques et donc plus enclins à penser que les CEM peuvent conduire à des problèmes de santé ou aggraver les problèmes existants. Comparativement aux médecins, notamment les médecins généralistes, cette différence d’opinion est significative.

Dans chacun des trois groupes, plus d’un tiers des répondants rapportent avoir été consultés ou interrogés au moins une fois par des personnes EHS attribuant leurs troubles aux CEM. Cependant le nombre de cas est plus limité chez les préventeurs alors que 9 % des médecins généralistes ou du travail rapportent plus de dix cas. Néanmoins, le nombre médian de cas est similaire dans les trois groupes (deux cas). Seule une minorité de professionnels a envisagé un lien entre CEM et troubles rapportés par les EHS : 5,4 % des médecins généralistes, 10 % des préventeurs des risques professionnels et 13 % des médecins du travail.

Au cours des 12 derniers mois, les préventeurs des risques professionnels rapportent 62 cas, les médecins du travail 217 et les médecins généralistes 758.

Une part importante de ces professionnels considère qu’une relation causale entre une exposition aux CEM et les plaintes de santé dans les 12 mois précédents est plausible jusqu’à un certain degré : 37 % chez les préventeurs, 22 % chez les médecins du travail et 18 % chez les médecins généralistes (à noter que ces chiffres ne sont présentés dans aucun tableau ; la figure 1 de l’article montre bien des résultats dans ce sens mais les chiffres ne correspondent pas et ils sont encore plus forts). Les auteurs précisent que cette hypothèse est d’autant moins plausible que les professionnels se sentent bien informés sur le sujet CEM et santé.

Les symptômes décrits par les EHS et les sources incriminées sont comparables entre les trois groupes et similaires aux autres enquêtes

  • plaintes : maux de tête, fatigue, malaise, difficultés de concentration. À noter : au lieu des troubles du sommeil évoqués auprès des médecins (généralistes ou du travail), les EHS évoquent la perception des champs magnétiques auprès des préventeurs des risques professionnels
  • sources incriminées : Wifi, station de base téléphonique, ordinateur, lignes électriques haute tension.

La manière d’approcher le problème par les différents professionnels diffère un peu : les préventeurs et les médecins du travail conseillent principalement de réduire l’exposition (42 % et 25 % respectivement) et donnent de l’information sur les CEM et la santé (36 % et 22 % respectivement). Les médecins généralistes orientent plutôt vers d’autres causes pour expliquer les problèmes de santé ou vers une meilleure acceptation des symptômes (« faire avec »).

Au global, cette nouvelle enquête confirme les éléments recueillis dans les enquêtes similaires conduites en France, en Suisse et en Autriche, notamment le manque d’information de ces professionnels de santé sur les CEM et la santé.

Au regard du manque de preuve scientifique de l’électrohypersensibilité et du niveau d’exposition qui pourrait provoquer les plaintes de santé rapportées, et face au sentiment des professionnels d’être mal informés sur les CEM et la santé, les auteurs proposent des campagnes d’informations ciblées qui permettraient d’assister ces derniers dans la prise en charge des sujets qui attribuent leurs symptômes aux CEM.

 

Commentaire

Cet article montre que de nombreux Hollandais, comme leurs semblables Suisses, Autrichiens ou Français, consultent pour des maux qu’ils pensent liés à une hypersensibilité personnelle aux champs électromagnétiques. Et malgré l’abondance des travaux qui démontrent le contraire, une solide minorité de professionnels de santé (médecins généralistes et ici médecins et hygiénistes du travail) jugent plausible cette relation. La majorité de ceux « qui y croient » s’estime d’ailleurs mal informés sur le sujet. Les auteurs de l’article recommandent donc des actions de formation. Pourquoi pas, mais le problème est-il réellement un manque d’information ? Un minimum de recherche effectuée avec un peu de bon sens et d’esprit critique suffit à se faire une idée du sujet. On pourrait s’attendre à ce que des professionnels qui ont à prendre en charge les plaintes et les souffrances de leurs patients se donnent la peine de s’informer. Par ailleurs, parmi les différents groupes étudiés, les plus nombreux à juger la relation plausible sont les praticiens formés aux « méthodes alternatives » et les hygiénistes du travail. Il n’est pas interdit de penser que les premiers ont une relation à la rationalité scientifique différente de celle de leurs confrères, et que les seconds sont victimes du fait bien connu que lorsqu’on sait se servir d’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. La question est donc moins le manque d’information que la sensibilité d’une partie minoritaire mais importante des professionnels de santé aux discours irrationnels, sensibilité qui les empêche d’accorder leur confiance aux résultats scientifiques les plus solides.

On sait hélas aujourd’hui qu’il est possible de combattre la vérité avec des « faits alternatifs », y compris dans des domaines autres que scientifiques.

Georges Salines

 


Publication analysée :

* Slottje O1, van Moorselaar I, van Strien R, Vermeulen R, Kromhout H, Huss A. Electromagnetic hypersensitivity (EHS) in occupational and primary health care : a nation-wide survey among general practitioners, occupational physicians and hygienists in the Netherlands. Int J Hyg Environ Health 2017 ; 220 : 395-400.doi: 10.1016/j.ijheh.2016.11.013.

1 Institute for Risk Assessment Sciences, Utrecht University, Utrecht, Pays-Bas.