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ANALYSE D'ARTICLE

Effets bénéfiques et néfastes des espaces verts pour la santé des enfants

Les bienfaits des espaces verts urbains – en termes de diminution de l’obésité et de la sédentarité – et leurs effets potentiellement néfastes – sur l’asthme et la rhinoconjonctivite allergique – ont été étudiés simultanément dans une population d’enfants âgés de 9 à 12 ans. Les résultats diffèrent selon que l’on considère l’importance de la végétation environnante, la proximité d’un bois ou celle d’un parc.

The benefits of urban green space on reducing obesity and sedentary behavior and their potentially harmful effects on asthma and allergic rhinoconjunctivis were studied simultaneously in a population of children aged 9-12. Results differed according to whether green space was assessed by the extent of the surrounding greenness or by proximity to woods or a park.

La littérature traitant des effets de la verdure en ville sur la santé des enfants se compose d’études rapportant, de manière inconstante, tantôt des associations négatives avec la sédentarité ou l’obésité, tantôt des associations positives avec l’allergie et l’asthme. Les effets pourraient varier en fonction de l’âge des enfants étudiés ou du type de végétation auquel ils sont exposés. Pour une pathologie comme l’asthme, l’effet global pourrait résulter de la somme d’influences bénéfiques (incitation à l’activité physique, contrôle du poids, amélioration de la qualité de l’air, etc.) et néfastes (exposition aux pollens, aux spores fongiques, aux pesticides et fertilisants, etc.). Cette nouvelle étude conduite en 2006 dans la ville espagnole de Sabadell (située à 20 km au nord-ouest de Barcelone) présente l’intérêt d’une investigation conjointe des effets sanitaires potentiellement favorables et défavorables de l’exposition résidentielle à la verdure. Celle-ci a été mesurée de trois façons : par la proximité d’un bois (représentant un espace vert naturel généralement situé à la lisière de la ville), la proximité d’un parc (espace vert urbain généralement en pleine ville et souvent planté d’espèces non endémiques) et l’indice de végétation par différence normalisée. Cet indice, calculé à partir de la réflectance du sol dans deux bandes spectrales (le rouge et l’infrarouge, respectivement absorbé et réfléchi par le couvert végétal), capture les plus petites zones vertes (jardins, bords de routes, etc.) mais ne donne pas d’information sur la nature de la végétation (herbe, arbres ou autre). Les auteurs ont passé en revue les images satellite des saisons où la végétation est à son maximum (printemps et automne) pour les années 2005 à 2007 et sélectionné celle du 18 mai 2007 qui fournissait les meilleurs contrastes. Ils ont examiné l’effet de l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de la valeur de l’indice de végétation dans une zone de 100 m, 250 m, 500 m et 1 000 m autour de la résidence. La proximité d’un bois ou d’un parc s’entendait comme la présence de l’espace vert considéré dans les 300 m autour du domicile.

 

Population et critères sanitaires étudiés

L’étude a inclus 3 178 enfants de 9 à 12 ans recrutés via les écoles primaires : 53 des 58 établissements de la ville ont accepté de participer, 58 % des questionnaires remis aux parents (caractéristiques sociodémographiques et santé) ont été retournés et 95,7 % des adresses ont pu être géocodées.

Les enfants ont été considérés actuellement asthmatiques lorsque les parents avaient répondu positivement à la question « Votre enfant a-t-il déjà eu de l’asthme ? » ainsi qu’à au moins l’une des deux questions suivantes : « Votre enfant a-t-il pris des médicaments contre l’asthme au cours des 12 derniers mois ? » ; « A-t-il eu des sifflements dans la poitrine au cours des 12 derniers mois ? ». Selon cette définition fondée sur le questionnaire de l’International Study of Asthma and Allergies in Childhood (ISAAC), 138 enfants étaient asthmatiques (soit un taux de prévalence de 4,4 %). Le questionnaire ISAAC a également été appliqué pour le diagnostic de rhinoconjonctivite allergique, qui concernait 582 enfants (18,6 % de la population). Le temps passé devant un écran (de télévision, d’ordinateur, ou à jouer à la console) a été pris comme indicateur de sédentarité. Celle-ci a été considérée excessive (n = 893, 28,4 %) lorsque les parents déclaraient que l’enfant passait plus d’1 h devant un écran les jours de la semaine et plus de 2 h les jours de weekend, en référence aux recommandations de l’American Academy of Pediatrics. Enfin, l’obésité a été défi nie par un indice de masse corporelle (IMC) excédant la valeur limite pour l’âge et le sexe. Étant donné le faible nombre d’enfants obèses (n = 83), les auteurs ont élargi la catégorie au surpoids (au total 628 enfants, 23 %).

 

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Commentaires

Ce numéro d’ERS consacre plusieurs brèves à des articles traitant des relations entre l’environnement biologique (espaces verts, biodiversité) et la santé. Le 5e Congrès national santé & environnement qui s’est tenu à Rennes en novembre 2014 sur le thème « paysages, urbanisme et santé » a également montré l’actualité de ce sujet. Les politiques municipales répondent en effet de plus en plus à l’aspiration des urbains à faire pénétrer la nature au cœur même des villes : ainsi à Paris, tous les projets allant dans ce sens (murs végétaux, jardins dans les écoles, etc.) ont été plébiscités en septembre 2014 lors de la première expérience d’élaboration participative du budget d’investissement. Il est désormais urgent de bien mesurer les effets sur la santé de cette cohabitation inédite de l’homo urbanicus avec les espèces végétales et animales qui occupent ces nouveaux espaces. Il faut trouver les bons indicateurs des effets positifs (activité physique, bien-être, etc.) mais aussi négatifs (pollinoses, zoonoses, etc.). Une vision uniformément optimiste serait trop simpliste. Les effets indésirables existent, ils doivent être identifiés et correctement gérés. A défaut, des réactions négatives du public pourraient entraîner un recul des bonnes intentions : ainsi, lorsque la maladie de Lyme (transmise par une tique) frappe des personnes qui n’ont pas mis les pieds en forêt mais qui se sont allongées dans l’herbe d’un jardin public municipal, des voix peuvent s’élever pour réclamer un retour vers les pelouses bien rasées des jardins à la française au détriment d’une conception plus « sauvage », des espaces verts ; le public applaudit à la suppression de l’usage des biocides par les jardiniers municipaux, et se réjouit du retour des oiseaux et des écureuils, mais réclame l’extermination des rats, ce qui peut conduire à utiliser d’autres biocides ; les parents voudraient bien que l’école ait un poulailler pour que leurs enfants puissent voir ce qu’est une poule autrement que dans les pages d’un livre, mais l’arsenal réglementaire actuel, élaboré sous la pression d’un besoin de sécurité au moins aussi fort que le besoin de nature, interdit en pratique que les œufs des dites poules puissent être servis à la cantine.

Alphonse Allais (1854-1905) pensait qu’il fallait construire les villes à la campagne, car l’air y est plus pur. Nos contemporains semblent surtout désirer qu’on importe la campagne dans les villes. Beaucoup de travail reste à faire pour pouvoir gérer cet oxymore.

Georges Salines

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Profil d’effets selon le paramètre d’exposition

Le niveau socio-économique (estimé à partir du plus haut niveau d’études atteint par un parent et du type d’école publique ou privée fréquentée par l’enfant) a été systématiquement pris en compte. Pour les analyses des effets sur l’asthme et la rhinoconjonctivite allergique, les autres covariables d’ajustement étaient le sexe et l’âge de l’enfant, son exposition à la fumée de tabac à la maison, la présence de frères ou sœurs aînés et les antécédents parentaux d’asthme. Pour la sédentarité et l’obésité/surpoids, les modèles étaient ajustés sur la présence de frères ou sœurs ainsi que, pour la sédentarité, sur le sexe et l’âge de l’enfant et, pour l’obésité/surpoids, sur le nombre d’heures d’activité sportive par semaine.

L’augmentation d’1 IIQ de l’indice de végétation est associée à une diminution des risques d’obésité/surpoids et de sédentarité excessive pour toutes les distances considérées. L’odds ratio (OR) d’obésité/surpoids est, par exemple, égal à 0,83 (IC95 = 0,75-0,93) sur la base de l’indice de végétation dans une zone de 100 m autour de la résidence et égal à 0,87 (IC95 = 0,78- 0,98) sur la base de l’indice dans les 1 000 m. Pour la sédentarité excessive, les OR correspondants sont de 0,85 (IC95 = 0,77- 0,93) et 0,89 (IC95 = 0,79-1). En revanche, le risque d’asthme ou de rhinoconjonctivite allergique n’apparaît pas influencé par l’indice de végétation.

Respectivement 342 et 1 399 enfants (soit 10,8 % et 44 % de la population) vivaient à proximité d’un bois ou d’un parc. Les effets de la proximité d’un bois sont proches de ceux de la végétation environnante : OR d’obésité/surpoids = 0,75 (IC95 = 0,54-1,03), OR de sédentarité excessive = 0,61 (IC95 = 0,45-0,83) et absence d’augmentation significative des risques d’asthme et de rhinoconjonctivite allergique (OR respectifs = 1,02 [0,56-1,87] et 1,27 [0,94-1,70]). Par contraste, la proximité d’un parc apparaît augmenter le risque d’asthme (OR = 1,60 [1,09-2,36]) sans effet favorable net sur l’obésité/surpoids (OR = 0,90 [0,74-1,09]) ni la sédentarité (OR = 0,91 [0,76-1,09]). La robustesse des résultats concernant l’asthme a été testée par deux analyses de sensibilité (ajustement supplémentaire sur l’allaitement maternel et les antécédents d’eczéma ou population restreinte aux cas diagnostiqués par un médecin). Ils demandent à être confirmés, comme les autres résultats, par des études longitudinales mieux à même d’établir des relations de cause à effet. Par ailleurs, la prise en compte des caractéristiques des espaces verts (espèces végétales présentes, usage récréatif ou sportif, etc.) permettrait de faire progresser les connaissances.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Dadvand P1, Villavuena CM, Font-Ribera L, et al. Risks and benefits of green spaces for children: a cross-sectional study of associations with sedentarity behavior, obesity, asthma, and allergy. Environ Health Perspect 2014; 122: 1329-35.

doi: 10.1289/ehp.1308038

 

1 Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.