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ANALYSE D'ARTICLE

Bruit de fond radioactif et leucémie de l’enfant sur deux décennies d’observation en France

L’hypothèse d’un lien entre l’exposition résidentielle à la radioactivité de fond d’origine naturelle et le risque de leucémie infantile n’est pas soutenue par cette étude de grande ampleur en France métropolitaine.

This large-scale study in mainland France does not support the hypothesis of a link between residential exposure to natural background radiation and the risk of childhood leukemia.

L’exposition aux rayonnements ionisants (RI) est un facteur de risque de leucémie aiguë de l’enfant, comme l’a montré le suivi des survivants des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki (Life Span Study [LSS]), ainsi que des études dans des populations d’enfants traités par radiothérapie ou exposés in utero. Sur la base de la LSS, le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des RI (UNSCEAR) a développé des modèles permettant de calculer l’excès de risque associé à différentes situations d’exposition (aiguë ou chronique, externe ou interne). Leur application à l’évaluation, pour la France, des effets du « bruit de fond » radioactif – associant une exposition externe au rayonnement gamma cosmique et tellurique à une exposition interne par inhalation de radon et ingestion de radionucléides – indique qu’il pourrait être responsable d’une fraction non négligeable des cas de leucémie infantile. L’estimation obtenue avec le modèle d’excès de risque absolu (4 %) est cependant très inférieure à celle dérivant du modèle d’excès de risque relatif (20 %) et les deux sont assorties de larges intervalles de confiance à 95 % (respectivement 0-11 % et 0-68 %). Cette incertitude illustre les limites de la modélisation pour une population d’enfants exposée de manière chronique à de faibles doses de RI d’origine naturelle et souligne le besoin d’études épidémiologiques.

Vaste investigation française

Cette analyse porte sur les 9 056 cas de leucémie aiguë diagnostiqués entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 2009 chez des enfants de moins de 15 ans vivant en France métropolitaine. Ces cas, inscrits au registre national des cancers de l’enfant, incluaient 7 434 leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) et 1 465 leucémies aiguës myéloblastiques (LAM). Les taux d’incidence annuels ont été utilisés avec les données du recensement de la population fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour calculer les ratios standardisés d’incidence (nombre de cas observés sur attendus) par sexe et année d’âge dans les 36 326 communes.

Une partie de la population considérée – 2 763 cas (dont 2 283 LAL et 418 LAM) diagnostiqués entre 2002 et 2007 – avait été incluse dans l’étude Geocap (Géolocalisation des cancers pédiatriques), avec un groupe témoin de 30 000 enfants constituant un échantillon représentatif des résidents français de moins de 15 ans en termes d’âge, de nombre d’enfants par foyer et de caractéristiques socio-économiques et démographiques des communes. Les données de cette étude ont été utilisées, d’une part, pour des analyses complémentaires visant à tester l’effet potentiellement confondant de quatre variables (revenu médian des habitants de la commune, proportions d’ouvriers, de bacheliers et de chômeurs), d’autre part, pour des analyses de sensibilité avec exclusion des résidents voisins d’une ligne électrique à haute tension ou d’une centrale nucléaire, et ajustement sur la proximité d’une route majeure.

L’exposition aux RI d’origine naturelle a été estimée par modélisation à l’échelle de la commune de résidence au moment du diagnostic (valeur au centre de la commune pour le radon, moyenne du territoire communal pour le rayonnement gamma). Les modèles ont été élaborés à partir de données de mesures et géologiques de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Les éléments utilisés pour le radon étaient les données d’une campagne nationale de mesure de l’activité volumique dans l’air intérieur (10 843 mesures entre 1982 et 2003) et la cartographie du potentiel radon géogénique des communes françaises. Pour le rayonnement gamma tellurique, la modélisation s’appuyait notamment sur les données de 97 595 mesures de surveillance effectuées dans 17 404 cabinets dentaires et vétérinaires, ainsi que sur la cartographie du contenu en uranium des roches. La valeur du rayonnement d’origine cosmique a été calculée en fonction de l’altitude, selon la formule de l’UNSCEAR, et additionnée au rayonnement tellurique pour déterminer l’exposition totale au rayonnement gamma.

 

Distribution des teneurs en uranium en mg/kg de roche dans les principales unités géologiques de la France métropolitaine (source : CNRS).

 

Absence d’effet apparent de la radioactivité naturelle

Plusieurs métriques ont été utilisées pour examiner la relation entre l’exposition (au radon, au rayonnement gamma ou au cumul des deux) et l’incidence des leucémies : l’exposition moyenne annuelle à l’âge du diagnostic, l’exposition cumulée depuis la naissance (postulant la stabilité résidentielle de la naissance au diagnostic), et la dose cumulée à la moelle osseuse (estimée en utilisant des facteurs de conversion spécifiques pour la période intra-utérine, la première année de vie et les années d’enfance successives). Différentes analyses ont été réalisées : pour l’ensemble des leucémies, pour les LAL et les LAM séparément, par âge et par groupes d’âges de cinq ans. Aucune ne montre un excès de risque de leucémie associé à l’exposition : les ratios standardisés d’incidence sont tous proches de l’unité et aucune tendance dose-réponse n’émerge. Les analyses secondaires dans la population de Geocap n’indiquent pas d’influence des facteurs socio-démographiques et environnementaux considérés.

Deux études d’ampleur nationale, l’une britannique et l’autre suisse [1], ont récemment rapporté une association entre l’exposition résidentielle au rayonnement gamma d’origine naturelle et le risque de leucémie de l’enfant. L’excès de risque par mSv de dose cumulée était de 9 % (IC95 : 2 à 17 %) dans la première (9 058 cas sur la période 1980-2006) et de 4 % (IC95 : 0 à 8 %) dans la seconde (530 cas entre 1990 et 2008). La différence d’exposition (en termes de fourchette des valeurs et de valeur moyenne) entre la France et ces deux pays semble trop faible pour expliquer des résultats divergents. Le point de référence utilisé pour estimer l’exposition cumulée pourrait en revanche s’avérer discriminant : commune de résidence au moment du diagnostic dans cette étude, adresse à l’inclusion (lors du recensement de la population) dans l’étude suisse, et adresse à la naissance, qui pourrait être plus pertinente, dans l’étude britannique. La prise en compte de l’histoire résidentielle dans sa totalité, ou au moins de ses deux extrêmes (adresse à la naissance et à la fin du suivi), permettrait d’améliorer l’évaluation du risque de leucémie associé à l’exposition à la radioactivité naturelle.

 

 

 

  • [1] Environ Risque Sante 2015; 14: 459-60. doi: 10.1684/ers.2015.0814.

Publication analysée :

* Demoury C1, Marquant F, Ielsch G, et al. Residential exposure to natural background radiation and risk of childhood acute leukemia in France, 1990-2009. Environ Health Perspect 2017; 125: 714-20. doi: 10.1289/EHP296

1 INSERM, Université Paris-Descartes, Université Sorbonne-Paris-Cité, CRESS-EPICEA, Epidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent, Paris, France.