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ANALYSE D'ARTICLE

Bénéfices des modes de déplacement actifs versus risques de l’exposition à la pollution atmosphérique

Montrant que la réduction du risque de mortalité toutes causes liée aux déplacements à pied ou à vélo excède pratiquement toujours l’augmentation du risque due à une plus forte inhalation de particules fines, cet exercice de modélisation justifie la promotion des modes de déplacement actifs en zone urbaine. Seule la pratique du vélo peut s’avérer dangereuse dans un petit nombre de villes parmi les plus polluées du monde.

This modelling study shows that the reduced risk of all-cause mortality linked to walking or cycling almost always outweighs the higher risk from increased inhalation of fine particulates and justifies promoting active travel modes in urban areas. Cycling might however be dangerous in a small number of the world’s most polluted cities.

Quelques évaluations d’impact sur la santé ont précédemment montré que les bienfaits de l’activité physique occasionnée par des déplacements à pied ou à vélo surpassaient de loin les effets sanitaires négatifs d’une augmentation de l’exposition à la pollution atmosphérique. Ces études concernent généralement des villes de pays très développés dans lesquelles les niveaux de pollution de fond sont relativement bas, ce qui laisse entière la question de la balance bénéfice-risque des modes de déplacement actifs dans des environnements fortement pollués. Reste-t-elle positive quel que soit le niveau de pollution ou faut-il déconseiller la marche et le vélo à partir d’un certain seuil ?

 

 

Approche du problème

La littérature indique que la mortalité augmente continuellement avec la pollution atmosphérique, alors que la réduction du risque de mortalité liée à la pratique d’une activité physique, initialement marquée, s’estompe avec l’augmentation de son intensité. L’allure différente des relations dose-réponse – linéaire pour la pollution et curvilinéaire pour l’activité physique – suggère que la combinaison des effets de la pollution et de l’activité physique détermine deux seuils. Au premier (« point de basculement »), le bénéfice maximal de l’activité est atteint : le risque relatif (RR) de mortalité est au plus bas possible tenant compte de la pollution. Augmenter la dose d’activité physique entraîne l’inversion de la pente de la courbe qui remonte jusqu’au point où les effets néfastes de la pollution annulent les bénéfices de l’activité (RR égal à 1). Passé ce « point de rupture », l’augmentation de l’activité est délétère.

Les auteurs de cet article ont recherché ces deux points par modélisation informatique à travers une large gamme de niveaux de concentration de PM2,5 (de 5 à 200 μg/m3) et de temps d’activité physique (de 0 à 16 h par jour de marche ou de vélo). Les particules fines représentent l’indicateur de pollution atmosphérique urbaine habituellement choisi pour les évaluations d’impact sur la santé. La fonction dose-réponse utilisée était une augmentation de 7 % du risque de mortalité toute cause par incrément de 10 μg/m3 en référence à la publication de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2014). Pour l’activité physique, les auteurs ont travaillé avec une fonction « médiane » entre les extrêmes linéaire et courbe qui ont pu être rapportés dans la littérature, et effectué des analyses de sensibilité avec ces extrêmes. La valeur de l’équivalent métabolique (MET pour Metabolic equivalent of task) utilisée pour convertir le temps passé en déplacement en niveau d’intensité d’activité physique était de 4 pour la marche et de 6,8 pour le vélo. L’exposition aux PM2,5 durant l’activité a été estimée sur la base de la littérature existante, en multipliant respectivement par 1,1 (marche) et 2 (vélo) le niveau de concentration de fond des PM2,5. Le scénario contrefactuel était un temps de repos à la maison. Un autre scénario dans lequel le temps passé à vélo remplaçait un temps de transport motorisé a été considéré pour une analyse de sensibilité. La conversion de l’exposition en dose inhalée a été effectuée avec des débits de ventilation de 0,27 (sommeil), 0,61 (repos), 1,37 (marche) et 2,55 (vélo). Le temps de sommeil était de 8 h dans tous les scénarios et le temps de repos était de 16 h moins le temps de déplacement actif.

 

Balance bénéfice-risque généralement positive

Pour une demi-heure de vélo par jour, le point de basculement est atteint à une concentration de PM2,5 égale à 95 μg/m3. Selon la base de l’OMS, qui rassemble les données de 1 622 villes, la concentration annuelle moyenne des PM2,5 est supérieure à cette valeur dans moins de 1 % des villes. Le point de rupture est identifié à 160 μg/m3. Pour une demi-heure de marche quotidienne, les deux seuils ne sont pas observés dans la fourchette des valeurs de PM2,5 considérée (jusqu’à 200 μg/m3).

Dans une ville où le niveau de fond est égal à 22 μg/m3, correspondant à la valeur moyenne dans la base de l’OMS, il faudrait marcher pendant 16 h ou pédaler pendant 7 h pour atteindre le point de basculement. Dans le groupe des villes les plus polluées (fourchette de concentration des PM2,5 allant de 44 à 153 μg/m3 [à Delhi]), le point de basculement se situe entre 30 à 120 minutes par jour pour le vélo et 90 minutes à 6h15 min pour la marche. À Delhi, un déplacement en vélo de plus de 45 minutes augmente le risque de mortalité toutes causes.

Dans l’hypothèse où le temps à vélo remplace un temps de transport motorisé (au lieu d’un temps de repos à la maison), la balance bénéfice-risque est toujours positive, quelle que soit la durée du déplacement, jusqu’à un niveau de fond de 80 μg/m3 (une valeur supérieure concerne moins de 2 % des villes). Avec une relation dose-réponse linéaire entre l’activité physique et la mortalité, les effets négatifs de l’inhalation de particules fines dépassent les effets positifs de la pratique du vélo à partir d’une concentration de PM2,5 égale à 170 μg/m3. À l’opposé, quand une fonction très curvilinéaire est utilisée, le point de rupture se situe à 130 μg/m3 pour une heure de vélo (contre 150 μg/m3 avec la fonction dose-réponse « médiane »).

Ces modélisations indiquent que, dans la très grande majorité des situations, les effets négatifs de la pollution de l’air n’annulent pas les effets positifs d’un mode de déplacement actif. Les études épidémiologiques, qui mettent en évidence des effets protecteurs de l’activité physique même dans des environnements très pollués, soutiennent ces résultats. Dans une ville où la concentration annuelle moyenne des PM2,5 serait de 100 μg/m3, la co-influence des deux facteurs sur le risque de mortalité toutes causes se traduirait par un bénéfice net jusqu’à 10h30 min de marche par jour ou 1h15 min de vélo. Cette durée n’est dépassée que par une minorité de personnes comme des coursiers à vélo ou des conducteurs de vélotaxis.

Les auteurs soulignent que leurs simulations tiennent compte uniquement des conséquences sanitaires à long terme d’un exercice régulier et d’une exposition chronique aux PM2,5. Les impacts d’épisodes de pollution au cours desquels les concentrations de PM2,5 peuvent largement excéder le niveau de fond n’ont pas été considérés. Une autre limite de ce travail est l’absence d’évaluation des impacts sur la morbidité. Le choix du critère sanitaire s’est porté sur la mortalité toutes causes en raison du niveau de preuve élevé de son association avec l’exposition chronique aux PM2,5 comme avec la pratique régulière d’une activité physique.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Tainio M, de Nazelle A, Götschi T, et al. Can air pollution negate the health benefits of cycling and walking ? Prev Med, 2016 ; 87: 233-6.

UKCRC Centre for Diet and Activity Research, MRC Epidemiology Unit, University of Cambridge School of Clinical Medicine, Institute of Metabolic Science, Cambridge, Royaume-Uni.

doi: 10.1016/j.ypmed.2016.02.002