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ANALYSE D'ARTICLE

Analyse de la mortalité par mésothéliome aux États-Unis : quelle contribution de l’exposition environnementale à l’amiante ?

L’analyse des décès dûs à des mésothéliomes au cours de la période récente (1999 à 2010) aux États-Unis indique un déclin des cas liés à une exposition professionnelle à l’amiante, tandis que ceux liés à une exposition environnementale à des fibres asbestiformes émergent. En combinant deux indicateurs – le sexe-ratio et la proportion des sujets jeunes – à une échelle spatiale suffisamment fine, les zones géographiquement limitées où l’exposition environnementale nécessite d’être explorée peuvent être identifiées.

A study of recent deaths from mesothelioma in the USA (1999-2010) shows that although cases linked to occupational asbestos exposure are declining, deaths associated with environmental exposure to asbestos fibers are increasing. Combining two indicators – sex ratio and proportion of young subjects –with a sufficiently fine spatial scale makes it possible to identify the geographically defined zones where environmental exposure must be studied.

Le mésothéliome malin, qui affecte principalement la plèvre (85 à 90 % des cas), est un cancer rare et très agressif relié à une exposition passée à des fibres minérales, dont six – cinq de la famille des amphiboles (trémolite, actinolite, crocidolite, anthophyllite et amosite) et une serpentine (chrysotile) – ont été utilisées pour diverses applications industrielles au cours du XXe siècle, reconnues cancérogènes, et réglementées sous l’appellation « amiante ». Aux États-Unis, les premières mesures de protection des travailleurs ont été appliquées au début des années 1970 et la plupart des produits contenant de l’amiante ont été interdits de commercialisation en 1989. La consommation d’amiante, qui avait fortement crû après la seconde guerre mondiale, a décliné au rythme d’1,73 kg/habitant/an entre 1970 et 1985. Tenant compte de cette chute de l’exposition et d’un temps de latence médian de 30 ans, plusieurs auteurs prédisaient que le nombre de cas de mésothéliomes diagnostiqués chaque année commencerait à diminuer à la fin des années 1990, jusqu’à une possible disparition de ce cancer. Or, un rapport national publié en 2013 indique une incidence stable du mésothéliome, avec environ 3 200 nouveaux cas par an entre 2003 et 2008.

 

Hypothèse de l’exposition environnementale

Les auteurs de cet article postulent que les cas actuels sont en partie dûs à une exposition environnementale à l’amiante, dont les effets ont été longtemps masqués par ceux de l’exposition professionnelle. L’amiante provenant d’exploitations aujourd’hui fermées (sites miniers, établissements fabriquant ou utilisant des produits amiantés), de chantiers navals ou de matériaux de construction toujours en place, n’est pas seule en cause. D’autres fibres minérales présentant les caractéristiques morphologiques d’une fibre asbestiforme, et théoriquement les mêmes dangers que l’amiante réglementée (antigorite, érionite, fluoro-édénite, winchite, etc.), émanent naturellement de formations géologiques présentes en différents lieux de la planète. Libérées par l’érosion des roches et déposées au sol, ces poussières peuvent être mises en suspension par des phénomènes naturels ou des activités humaines. Elles peuvent aussi s’échapper des roches exploitées par l’industrie extractive lors de certaines opérations (broyage, concassage, etc.) ou par l’usure des constructions et revêtements routiers pour lesquels ces roches sont utilisées. De telles situations à l’origine d’une exposition environnementale préoccupante pour les populations locales ont été identifiées en Nouvelle-Calédonie, Turquie, Italie, ainsi que dans trois États des États-Unis.

Étant donné le caractère localisé des sources environnementales de fibres asbestiformes et les petits agrégats de cas de mésothéliomes qui leur sont associés, seule une analyse à une échelle spatiale suffisamment fine permet de les détecter. Deux indicateurs mettent sur la piste d’une exposition environnementale : le sexe et l’âge des cas. Dans les pays industrialisés où les cohortes de travailleurs exposés à l’amiante étaient majoritairement masculines, les cas de mésothéliomes concernent quatre à huit fois plus souvent des hommes que des femmes et l’âge médian au diagnostic est typiquement compris entre 70 et 74 ans. Par contraste, dans les zones où l’exposition environnementale (qui touche indifféremment les individus des deux sexes dès leur plus jeune âge) est incriminée, le sexe-ratio est équilibré et l’âge moyen au diagnostic est d’environ 60 ans. Sur ces bases, les auteurs ont analysé les données de mortalité du CDC (Centers for Disease Control and Prevention) selon le sexe et l’âge pour la période 1999 à 2010 (l’année 1999 marquant l’entrée d’un code spécifique au mésothéliome au sein de la classification internationale des maladies). Ces données ont été examinées à l’échelle nationale (à la recherche de tendances indiquant une contribution croissante des cas dûs à une exposition environnementale), puis à celles des États et enfin des comtés (lorsqu’ils rassemblaient au moins 10 certificats de décès mentionnant le mésothéliome en première ou seconde cause), à la recherche de zones géographiques devant faire l’objet d’investigations épidémiologiques, géologiques et environnementales plus poussées.

Principales observations

Au plan national, le nombre de décès annuel a augmenté sur la période considérée (de 2 486 en 1999 à 2 748 en 2010), l’écart persistant avec les données d’incidence (alors que la survie moyenne est inférieure à un an) pouvant témoigner du fait que les mésothéliomes restent sous-rapportés sur les certificats de décès. Le taux de mortalité standardisé sur l’âge diminue chez les hommes et reste stable chez les femmes, ce qui s’accompagne d’une diminution du sexe-ratio hommes/femmes, qui passe de 4,07 à 3,61. Un important effet « cohorte de naissance » est mis en évidence, la génération des années 1920 payant le plus lourd tribut indépendamment de l’âge et de l’année du décès. Ainsi, la principale tranche d’âge de décès (70 à 79 ans) représente 40 % de la mortalité en 1999 et 2000 (sujets nés entre 1920 et 1929) et 34,5 % en 2009 et 2010 (sujets nés entre 1930 et 1939). Le pourcentage des sujets de la génération 1930 décédés à un âge compris entre 60 et 69 ans en 1999/2000 (représentant 22,9 % de tous les décès) équivaut à celui des sujets de la génération 1940 décédés dans la même tranche d’âge en 2009/2010 (23 %). Puis une diminution progressive de la contribution des plus jeunes cohortes est observée. Cette tendance, reliée à l’amélioration de la protection des travailleurs ainsi qu’à l’allongement de l’âge à la première embauche, suggère une prochaine diminution de la proportion des cas de mésothéliomes liés à une exposition professionnelle.

Le ratio de mortalité standardisé (SMR) sur l’âge excède 1,75 dans cinq États (Alaska, Delaware, Maine, Washington et Wyoming) où l’amiante a été massivement utilisée pour la construction navale. L’analyse selon le sexe place les mêmes États en tête pour l’excès de risque de mortalité chez les hommes, deux d’entre eux se distinguant par une surmortalité touchant également la population féminine (SMR égal à 2,224 [IC95 : 1,294-1,834] dans le Maine où le sexe-ratio H/F est de 3,56, et égal à 1,961 [1,032-1,418] dans l’état de Washington, avec un sexe-ratio à 3,83). Ces résultats peuvent s’expliquer par l’exposition professionnelle des femmes, mais plus sûrement par leur exposition para-professionnelle liée à la vie commune avec un conjoint rapportant au foyer des vêtements de travail contaminés. Le sexe-ratio H/F, compris entre 2,4:1 (dans le Vermont) et 9:1 (dans le Dakota du Sud) n’apparaît pas clairement corrélé à la proportion des décès de sujets jeunes (moins de 55 ans), qui va de 1,57 % (Delaware) à 11,09 % (Louisiane). L’examen à une échelle spatiale plus fine révèle des contrastes qui n’étaient pas visibles au niveau de l’État. Ainsi, dans sept des 10 comtés où l’excès de mortalité chez les hommes est le plus important et où aucun cas de décès féminin par mésothéliome n’est rapporté, tous les décès sont survenus après 55 ans, ce qui s’accorde avec la prédominance, sinon l’exclusivité, de l’exposition professionnelle. À l’opposé, dans sept des 10 comtés où le sexe-ratio H/F est le plus bas (inférieur à 1,5:1), la proportion des décès de sujets jeunes excède 9 % et atteint jusqu’à 35,71 %, ce qui oriente fortement vers une exposition environnementale. Tous les comtés où plus de 20 % des décès sont survenus chez des sujets jeunes sont également caractérisés par un sexe-ratio H/F peu élevé, sauf deux où il dépasse 4:1, suggérant la coexistence des deux types d’exposition à l’amiante.


Publication analysée :

* Baumann F1, Carbone M. Environmental risk of mesothelioma in the United States: An emerging concern – epidemiological issues. J Toxicol Environ Health B Crit Rev 2016; 19: 231-49. doi: 10.1080/10937404.2016.1195322

1 ERIM, University of New Caledonia, Nouméa, Nouvelle-Calédonie.