ANALYSE D'ARTICLE
Agriculture « bio » versus conventionnelle : quels bénéfices pour la santé ?
Passant en revue les connaissances disponibles, les auteurs de cet article font la part des choses entre les incertitudes relatives aux bienfaits d’une consommation de produits issus de l’agriculture biologique et l’intérêt global de ce système de production de denrées alimentaires pour la santé publique.
En 2015, 6,2 % des terres agricoles de l’Union européenne (UE) des 28 étaient cultivées en « bio » (contre 0,6 % en 1995 et 3,6 % en 2005), un mode de production agricole excluant le recours à la plupart des produits chimiques de synthèse pour la fertilisation des sols et la protection des plantes, qui reposent sur des méthodes plus respectueuses des écosystèmes. Selon la réglementation européenne, seules 26 des 385 substances actives autorisées pour l’agriculture conventionnelle le sont également pour l’agriculture biologique. À l’exception des pyréthrines d’origine végétale (utilisées pour leurs propriétés insecticides) qui partagent le même mécanisme d’action que les pyréthrinoïdes de synthèse mais sont moins stables, et du cuivre (utilisé pour ses propriétés fongicides) qui peut s’accumuler à des niveaux toxiques, les pesticides approuvés pour l’agriculture « bio » sont dénués de toxicité intrinsèque ou présentent un risque négligeable d’entrer dans la chaîne alimentaire (exemple des pyréthrinoïdes uniquement autorisés dans des pièges à insectes). Les résidus de pesticides dans les fruits et légumes constituant la principale source d’exposition des consommateurs, l’intérêt du mode de production « bio » apparaît évident pour la protection de la santé publique, sans compter des aspects non traités dans cette revue de la littérature (expositions professionnelles et des populations rurales vivant à proximité de zones agricoles).
Dans le secteur de l’élevage d’animaux pour la production de viande, de produits laitiers et d’œufs, le « bio » (pratiqué dans 185 000 exploitations européennes en 2013 contre 125 000 en 2003) répond à une autre grande préoccupation de santé publique : l’antibiorésistance. Si cette problématique émergente nécessite des éclaircissements (concernant notamment les modes de transmission à l’homme de bactéries multirésistantes portées par les animaux et l’impact de la dissémination de gènes de résistance dans l’environnement), l’utilisation massive d’antibiotiques dans l’élevage conventionnel est clairement pointée du doigt. En « bio », l’usage à titre préventif d’antibiotiques – et plus généralement de médicaments vétérinaires allopathiques de synthèse – est interdit et le recours à des traitements curatifs est limité, la bonne santé des animaux étant favorisée par des conditions d’élevage plus respectueuses de leurs besoins et de leur bien-être (environnement enrichi, plus spacieux, densité de peuplement moindre, accès à des espaces de plein air, alimentation privilégiant le fourrage et les produits « bio » cultivés localement).
Comme la production végétale, la production animale « bio » est beaucoup plus réglementée et transparente que son pendant conventionnel. Les auteurs de cette revue s’interrogent sur ce point : une réglementation stricte est-elle nécessaire pour réduire l’usage des pesticides et des antibiotiques ? Plutôt que d’opposer les deux systèmes, ne vaudrait-il pas mieux que l’agriculture conventionnelle s’inspire du « bio » pour évoluer vers des pratiques de production durables, souhaitables pour l’avenir de la planète et de l’humanité ?
Entre 2006 et 2015, la vente de produits « bio » a crû de 107 % dans l’UE pour atteindre un volume de 27,1 milliards d’euros. Les consommateurs ont-ils raison ? Ce type d’alimentation est-il réellement meilleur pour la santé ?
Composition des aliments : différences limitées
Plusieurs centaines d’études documentant la composition nutritionnelle des récoltes en fonction de la variété de la plante, du sol, du climat, de l’année de production, etc, indiquent l’influence du mode de production et en particulier des méthodes de fertilisation des sols. Derrière des conclusions contradictoires à première vue, les rapports de synthèse s’accordent sur quelques points. Ainsi, comparativement aux produits de l’agriculture conventionnelle, les produits « bio » contiennent moins d’azote et plus de phosphore. Les fruits et légumes ont tendance à contenir plus de composés phénoliques et les céréales moins de cadmium. Les différences sont toutefois modestes et l’impact sur la santé des consommateurs n’est pas évident.
Plus pertinentes sont les données relatives aux denrées d’origine animale qui montrent des taux plus élevés d’acides gras oméga 3 considérés bénéfiques pour la santé dans le lait, les œufs ou encore la viande issus de la production biologique. Les effets d’un remplacement des aliments « conventionnels » de ce groupe par des aliments « bio » n’ont toutefois pas été examinés rigoureusement. Considérant la part représentée par d’autres produits comme les poissons et les oléagineux dans l’apport total en oméga 3, il est probable que l’impact nutritionnel soit marginal. Par ailleurs, le lait « conventionnel » serait plus riche en iode et en sélénium que le lait « bio », qui contiendrait en revanche plus de fer et de vitamine E, mais les données sont moins nombreuses que pour les oméga 3.
Études épidémiologiques : preuves insuffisantes
Alors que les arguments fondés sur la teneur en nutriments des aliments restent hypothétiques, les études expérimentales (modèles animaux et systèmes biologiques in vitro) et surtout les études épidémiologiques observationnelles ou interventionnelles sont à même de fournir des preuves solides et convaincantes des bienfaits d’une alimentation « bio ».
Deux études dans des lignées cancéreuses montrent que l’activité cellulaire diffère en présence d’extraits de végétaux issus de l’agriculture conventionnelle ou « bio », mais elles ne permettent pas de savoir quel milieu est préférable du point de vue de la santé humaine. Les travaux chez l’animal (poulet, rat) soutiennent des effets sur le système immunitaire, la croissance et le développement, mais ne sont pas non plus directement exploitables. Les quelques études sur l’impact sanitaire de l’alimentation « bio » suggèrent des effets intéressants, notamment sur le risque de maladies allergiques chez l’enfant, de surpoids et d’obésité chez l’adulte, ainsi que l’incidence du lymphome non hodgkinien, et engagent à poursuivre les investigations. Elles se heurtent à deux difficultés méthodologiques majeures : celle de l’évaluation de l’exposition (qui repose sur du déclaratif comme le remplissage d’un questionnaire de fréquence alimentaire) et celle du contrôle des facteurs de confusion. La consommation d’aliments « bio » s’inscrit en effet dans un profil alimentaire favorable à la santé (apport élevé en fruits et légumes, en céréales complètes, consommation de viande limitée, etc.), et plus largement dans un mode de vie sain (activité physique, abstinence tabagique, etc.). Le défi est donc de parvenir à isoler le facteur « aliments bio » de cet ensemble pour établir ses effets propres sur la santé.
Publication analysée :
* Mie A1, Andersen HR, Gunnarsson S, et al. Human health implications of organic food and organic agriculture: a comprehensive review. Environmental Health 2017 ; 16 : 111. doi : 10.1186/s12940-017-0315-4.
1 Karolinska Institutet, Department of Clinical Science and Education, Stockholm, Suède.