JLE

ANALYSE D'ARTICLE

À quelle « dose » la nature est-elle bonne pour la santé ?

À l’instar des recommandations en matière d’activité physique, des doses minimale et optimale de contacts avec la nature environnante pourraient être établies dans un objectif de santé publique. Réalisée dans une petite population urbaine du sud de l’Angleterre, cette analyse des relations entre la dose – décomposée en fréquence, durée et intensité d’exposition – et plusieurs indicateurs de la santé physique et mentale, est un premier pas en ce sens.

Following the example of physical activity recommendations, minimum and optimum doses of contact with nearby nature could be established to improve public health. This analysis in a small urban population in southern England of the relations between the dose – described as frequency, duration and intensity of exposure – and several physical and mental health indicators is a first step in this direction.

Diverses études dans des pays développés ont montré qu’un environnement « vert » est bénéfique pour la santé du corps et de l’esprit, motive à pratiquer une activité physique, favorise la cohésion sociale et développe le sentiment d’appartenance au monde naturel. Les mécanismes pouvant expliquer ces effets, qui ne sont pas indépendants mais surviennent de façon concomitante, font l’objet d’une recherche active qui fournit déjà certaines clés de compréhension.

À ce stade de la démonstration du « pourquoi » et du « comment », la question du « combien » se pose : quelle « dose » de contact avec la nature faut-il pour en tirer tous les bienfaits ? Dans une perspective de santé publique, la réponse à cette question permettrait de formuler des recommandations pour le maintien en bonne santé et la prévention des maladies. Comme pour l’activité physique, afin d’être réellement utiles et suivies, ces recommandations de « quantité de pratique » devraient être suffisamment précises et s’inscrire de manière réaliste dans les possibilités offertes par la vie de tous les jours. Pour la plupart des gens, l’espace entourant le domicile est celui qui fournit les principales occasions de contacts avec la nature, qu’ils soient conscients (activité de jardinage par exemple) ou inconscients (déplacements à pied, vue par la fenêtre, etc.). Cette nature de proximité, facilement accessible, constituée d’une combinaison d’espaces verts privés et publics, est celle qui a été prise en compte par les auteurs de cette étude.

Population et caractérisation de l’exposition

L’étude a été menée au sein du projet F3UES (Fragments, Functions, Flows and Urban Ecosystem Services), qui explore la façon dont la biodiversité en ville participe à la santé et au bien-être dans une région du sud de l’Angleterre formée par trois villes adjacentes : Milton Keynes, Luton et Bedford. Cette zone, appelée triangle de Cranfield, couvre une surface de 157 km2 et abrite une population d’environ 524 000 personnes. En mai 2014, un cabinet d’études marketing a proposé une enquête de mode de vie à un panel d’adultes habitant la région. L’enquête, administrée par Internet et nécessitant une vingtaine de minutes, a été complétée par 1 023 personnes constituant un sous-échantillon plus jeune que la population locale (72 % des répondants étaient âgés de 18 à 45 ans), mais relativement comparable sur d’autres critères sociodémographiques (répartition hommes-femmes, niveau de revenu, langue parlée à la maison).

La quasi-totalité des répondants (91,4 %) avait accès à un jardin privé, considéré comme le principal pourvoyeur de contacts avec la nature (au Royaume-Uni, les jardins, souvent engazonnés et plantés d’arbres, constituent un élément majeur de l’espace vert urbain). Les réponses aux questions concernant sa fréquentation durant la semaine écoulée (fréquence des visites d’au moins 10 minutes, d’aucune à chaque jour, et temps passé cumulé, de moins de 30 min à plus de neuf heures), ont servi à générer deux mesures de la dose : la fréquence et la durée d’exposition. Pour l’intensité, les auteurs ont utilisé l’indice de végétation par différence normalisé (NDVI, dépendant à la fois de la surface du couvert végétal et de sa hauteur) dans un périmètre de 250 m autour du centroïde du code postal. Seuls les 474 répondants qui avaient fourni leur code postal complet (couvrant une vingtaine d’habitations) ont pu être inclus dans les analyses selon l’intensité.

Exposition et état de santé

Les informations recueillies ont permis de construire deux variables reflétant l’état de santé physique des répondants, en général (santé perçue sur une échelle à cinq niveaux, de très mauvaise à très bonne), et sur le plan comportemental (nombre de jours dans la semaine avec pratique d’une activité physique pendant au moins 30 min conformément aux recommandations). La santé mentale a été mesurée par le score à l’échelle de dépression, d’anxiété et de stress DASS 21 (version courte à sept items donnant un score total compris entre 0 et 28). La santé sociale a été évaluée à partir des réponses aux questions sur la quantité et la qualité des relations de voisinage (degré de confiance, réciprocité des échanges, cohésion sociale perçue). La dernière variable sanitaire concernait le lien (cognitif et affectif) avec la nature.

Une série d’analyses de régression a été réalisée pour déterminer l’influence, sur ces cinq variables, de la fréquence, la durée et l’intensité de l’exposition. Tenant compte de leurs corrélations, des modèles séparés ont été élaborés. Ils incluaient d’autres variables potentiellement prédictrices, d’ordre sociodémographique (âge, sexe, enfants au foyer, langue parlée, niveaux d’études et de revenus, nombre de jours travaillés par semaine) et sanitaire (pour chaque aspect de la santé exploré [par exemple la santé mentale], la valeur explicative des autres domaines mesurés [santé physique générale, comportementale, sociale et sentiment de lien avec la nature] a été examinée).

L’état de santé physique général perçu n’apparaît pas influencé par la dose de contacts avec la nature. Ses variables prédictrices significatives sont les niveaux d’études et de revenu, le nombre de jours travaillés, la santé sociale et le niveau d’activité physique, ainsi que (relations inverses) l’âge et le sexe féminin. La fréquence et la durée d’exposition sont en revanche des variables prédictrices pour les quatre autres aspects de la santé. L’association positive est constamment plus forte avec la fréquence qu’avec la durée, ce qui suggère l’intérêt d’un environnement urbain offrant l’opportunité de contacts, même brefs, mais suffisamment fréquents, avec des éléments naturels. L’intensité de l’exposition n’est associée qu’à la santé mentale et au sentiment de lien avec le monde naturel.

Analyse spécifique au risque de dépression

Le score de santé mental a été transformé en une variable binaire (absence de dépression correspondant à un score inférieur à 4 versus état dépressif quelle qu’en soit l’intensité) dans l’objectif de réaliser une analyse de type « dose-réponse ». Ses résultats indiquent l’existence de seuils de fréquence, de durée et d’intensité d’exposition en-dessous desquels le risque de dépression est majoré.

Concernant la fréquence, ce seuil correspond à une visite hebdomadaire (d’une durée d’au moins 10 min) au jardin (l’odds ratio [OR] de dépression est égal à 1,36 [IC95 : 1,02-1,81] pour une fréquence inférieure). L’allure de la courbe dose-réponse indique un bienfait graduellement croissant pour la santé mentale de visites plus fréquentes, jusqu’à un seuil « optimal » de quatre à cinq par semaine à partir duquel le bénéfice incrémental semble limité. En termes de durée, la courbe est plus accentuée et suggère des valeurs proches pour le seuil minimal et la durée optimale de présence dans le jardin, autour de cinq heures par semaine (OR de dépression = 2,12 [1,27-3,54] pour une durée moindre). La relation dose-réponse, moins évidente pour l’intensité du couvert végétal du quartier, indique un risque de dépression augmenté pour une valeur du couvert inférieure à 15 % (OR = 2,09 [1,17-3,72]).

Le caractère transversal de cette étude et la nature autodéclarée des données utilisées limitent les conclusions qui peuvent être tirées de ses résultats. Elle ouvre néanmoins la voie à des travaux du même type, utilisant des indicateurs sanitaires plus objectifs, et qui pourraient examiner l’influence des contacts avec la nature à d’autres périodes, moins favorables, de l’année, dans d’autres environnements, et/ou dans des groupes de populations de culture et caractéristiques socio-économiques différentes.


Publication analysée :

* Cox D1, Shanahan D, Hudson H, et al. Doses of nearby nature simultaneously associated with multiple health benefits. Int J Environ Res 2017; 14: 172. doi : 10.3390/ijerph14020172

1 Environment and Sustainability Institute, University of Exeter, Penryn, Cornwall, Royaume-Uni.