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Intérêt des voies immunes en oncologie : naissance ou renaissance de l’immuno-oncologie Volume 11, issue 1, Janvier 2016

Les promesses de l’immunothérapie des cancers

Pendant longtemps, l’Immunologie a été considérée comme d’un apport mineur à la compréhension des cancers et ce n’est que très récemment que cette discipline pourtant ancienne a permis d’apporter de nouvelles avancées dans la biologie du cancer. Pour la première fois en cancérologie, l’immunothérapie est devenue un sujet d’intérêt pour toutes les compagnies pharmaceutiques développant des anti-cancéreux, engouement largement partagé par les cliniciens et le grand public. L’une des raisons principales de ce regain d’intérêt est très certainement liée à l’observation de réponses favorables prolongées ; certains espèrent y voir enfin les promesses d’une possible guérison pour des cancers avancés, au-delà des cas anecdotiques et marginaux rapportés jusqu’ici.

Interactions entre système immunitaire et cancer

Les recherches sur le cancer, jusqu’à il y a peu, s’intéressaient quasi exclusivement à la nature de la cellule cancéreuse elle-même, le dogme étant que le cancer est une maladie d’origine génétique. Cela a été illustré par un article scientifique célèbre, probablement le plus cité de tous les temps en cancérologie, et publié par Hanahan et Weinberg en 2000 : « The hallmarks of cancer » [1]. Dans cet article, les auteurs proposaient 6 caractéristiques consensuelles (hallmarks) permettant de définir une cellule comme cancéreuse :

1. Indépendance vis-à-vis des signaux de prolifération,

2. Échappement à l’inhibition de la prolifération,

3. Résistance à la mort cellulaire,

4. Capacité de réplication indéfinie (immortalisation),

5. Induction de l’angiogenèse,

6. Activation de mécanismes d’invasion et de dissémination à distance.

Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, alors que le caractère plus systémique du cancer a enfin été appréhendé que l’on a réalisé qu’il ne s’agissait pas d’une maladie liée uniquement à un déterminisme génétique, mais bien de la somme et la conjonction d’une multitude d’événements différents. On a alors commencé à s’écarter de la seule cellule cancéreuse pour l’intégrer dans un cadre plus global, son microenvironnement et ses relations avec son hôte – relations avec l’hôte dans lesquelles le système immunitaire joue un rôle de première importance. Une nouvelle vision du cancer voit alors le jour et cela conduit Hanahan et Weinberg [2] à proposer l’addition de 2 nouveaux hallmarks et 2 de caractéristiques activatrices :

7. Capacité d’échapper à la destruction par le système immunitaire,

8. Rôle potentiel de l’inflammation chronique qui stimule la croissance tumorale,

9. Instabilité génétique et mutations,

10. Dérégulation du métabolisme énergétique cellulaire.

Clairement, ces 2 nouveaux hallmarks (7 et 8) reconnaissent enfin sans équivoque les interactions entre le système immunitaire et le cancer qui marquent le départ d’une nouvelle ère de la cancérologie et l’essor de l’immuno-oncologie.

Les interactions entre le système immunitaire et le cancer sont tout d’abord le fruit des multiples acteurs cellulaires et moléculaires impliqués dans les mécanismes complexes de l’immunité innée et acquise (adaptive pour les Anglais). Leur description sort du cadre de cet article et fera l’objet d’une revue prochaine dans un objectif de mise à niveau des novices en ce domaine. Citons néanmoins quelques-uns des acteurs bien connus tels que les macrophages, les cellules dendritiques et présentatrices d’antigènes, les cellules NK (natural killer), les lymphocytes T effecteurs cytotoxiques CD8+, les lymphocytes T helpers CD4+, les lymphocytes T régulateurs Treg, les myeloid-derived suppressor (MDSC), les checkpoints de l’immuno-surveillance (CTLA4, PD1, PDL1, etc.), le complexe majeur d’histocompatibilité et bien d’autres…

L’immuno-surveillance des cancers

La reconnaissance et la caractérisation d’antigènes tumoraux spécifiques de la tumeur [3] distincts de ceux des cellules normales date déjà d’il y a 25 ans et cela a été la source de nombreux travaux cliniques et fondamentaux. Ces travaux ont pour but le développement d’approches visant à favoriser, avec plus ou moins de succès, une réaction immunitaire spécifiquement dirigée contre la tumeur. C’est de ces travaux et de l’observation de réponses immunitaires anticancéreuses chez l’animal et chez l’homme que la théorie de l’immuno-surveillance a fait son come-back, sous une forme quelque peu différente de ses origines. En effet, initialement, l’immuno-surveillance était considérée comme un mécanisme permettant de reconnaître et d’éliminer une cellule cancéreuse. Ainsi, l’observation et le diagnostic d’un cancer ne représentaient qu’un échec de l’immuno-surveillance. L’hypothèse de l’immuno-surveillance a largement évolué ces dernières années pour intégrer la diversité des situations rencontrées dans les modèles animaux et chez l’homme. On considère maintenant que l’immuno-surveillance peut prendre l’aspect de 3 états distincts mais néanmoins liés : élimination, équilibre, échappement [4].

« L’élimination » tumorale peut être caricaturée en prenant comme exemple une tumeur excessivement immunogène chez un patient très immunocompétent, la conjonction aboutissant à une stimulation optimale du système immunitaire avec pour corollaire la production de cytokines très immunostimulantes conduisant à une réaction inflammatoire aiguë bientôt suivie de l’activation et de la prolifération d’un grand nombre de lymphocytes T et l’élimination sans appel de la tumeur.

« L’équilibre » peut être obtenu si les mêmes mécanismes immunitaires entrent en action mais que la tumeur est moins immunogène, ou que l’hôte est moins immunocompétent. Les cellules cancéreuses ne sont alors pas éliminées en totalité et certaines d’entre elles survivent tout en restant sous contrôle du système immunitaire. On peut ainsi imaginer de multiples cycles de croissance tumorale contrebalancés par la destruction assurée par les effecteurs de la réponse immune qui toutefois ne parviennent pas à éradiquer toutes les cellules cancéreuses. Un tel mécanisme d’équilibre entre l’hôte et sa tumeur peut aussi s’intriquer avec d’autres mécanismes comme la dormance des métastases et le switch angiogénique. L’ensemble de ces mécanismes peut ainsi expliquer l’observation si fréquente du patient présentant une évolution métastatique de son cancer survenant des années après le traitement d’une tumeur primitive. Comment sinon expliquer que toutes les métastases se « réveillent » en même temps dans des organes différents et en des points du corps éloignés les uns des autres ? Cette période de maladie microtumorale ou micrométastatique est donc infraclinique et définit « l’équilibre ».

Cet équilibre immunitaire pourrait aussi être très prolongé et, s’il n’est pas perturbé, ressembler en apparence à l’élimination. Au contraire, si cet équilibre est rompu du fait de la tumeur qui acquiert de nouvelles propriétés qui lui permettent de circonvenir l’immuno-surveillance, ou si l’hôte voit ses capacités immunes s’affaiblir, la tumeur reprend sa croissance et sa dissémination : c’est « l’échappement ».

Cette phase d’échappement immunitaire est celle où nous avons le plus de données scientifiques, car c’est dans cette situation d’une tumeur établie chez l’homme ou dans les modèles animaux que sont récoltées la plupart des informations. Cette phase est caractérisée par une augmentation en nombre très important de cellules et de mécanismes immunosuppresseurs. On observe en particulier, dans cette phase, une augmentation des lymphocytes T régulateurs Treg, des cellules suppressives dérivées de la moelle (MDSC), ces 2 types de cellules produisant des cytokines immunosuppressives, ainsi que l’expression (à la fois par les cellules tumorales et des lymphocytes effecteurs T, présents mais peu fonctionnels) de multiples molécules qui empêchent/inhibent l’activation des cellules T [5].

La réalisation et la compréhension de l’immunité comme étant capable, au sein du microenvironnement tumoral et selon le stade de la maladie et les caractéristiques de l’hôte, à la fois du rejet d’une tumeur ou au contraire de sa promotion, a constitué un tournant clé pour l’immunothérapie des cancers. On pourrait résumer simplement cela en écrivant :

– Système immunitaire fonctionnel = rejet de la tumeur,

– Système immunitaire dysfonctionnel = tolérance ou pire promotion de la tumeur.

Dès lors, on pouvait appréhender l’immunothérapie des cancers, non plus seulement comme la stimulation du système immunitaire, mais aussi et surtout comme devant être capable de circonvenir les processus d’inhibition des effecteurs de l’immunité au sein du microenvironnement tumoral. On pourrait utiliser comme métaphore l’image d’un véhicule dans lequel le conducteur appuie sur l’accélérateur (stimulation) alors que le frein est enclenché à fond (inhibition) ; peu de chance alors d’être efficace. C’est à la fois la levée du frein et l’accélération qui vont permettre à l’action souhaitée de se concrétiser.

L’immunothérapie des cancers

On opposait par le passé l’immunothérapie « passive » à l’immunothérapie « active ». L’immunothérapie passive consiste en l’administration de différents types de composés supposés agir, soit directement sur la tumeur comme des effecteurs immuns mais de manière tout à fait indépendante du système immunitaire de l’hôte (anticorps, cellules NK ou lymphocytes T activés, LAK [lymphokine-activated killer cells], TIL [tumor infiltrating lymphocytes], etc.), soit indirectement en stimulant de manière artificielle les effecteurs (cytokines comme les interleukines et les interférons). À l’opposé, l’immunothérapie active a pour but d’activer les propres défenses immunitaires du patient ; son paradigme est le vaccin. Bien que certains vaccins antiviraux puissent prévenir des cancers viro-induits (HPV, hépatite B), les vaccins thérapeutiques du cancer sont jusqu’à ce jour restés largement inefficaces, probablement du fait des mécanismes d’immunosuppression présents au sein du microenvironnement tumoral et d’une immunogénicité trop peu spécifique. De nos jours il paraît clair, quel que soit le type d’approche proposée en immunothérapie, qu’il est illusoire d’espérer une réponse tumorale à long terme ou l’élimination complète d’un cancer sans le concours du système immunitaire propre de l’hôte.

Cibler des antigènes exprimés ou surexprimés par la tumeur

L’utilisation d’Ac monoclonaux utilisés en ce sens constitue le premier succès à grande échelle de l’immunothérapie dès le début des années 2000. Les exemples les plus connus sont ceux du trastuzumab ciblant HER2 et du rituximab ciblant le CD20. La quantité d’anticorps thérapeutiques disponibles ne fait que s’accroître d’année en année, parfois également associés à une toxine, un cytotoxique ou un radio-isotope pour réaliser un immuno-conjugué. Toutefois, ces Ac monoclonaux ont le plus souvent un mécanisme d’action direct sur la cellule cancéreuse, sans forcément recourir au système immunitaire ou tout du moins de manière très partielle. De plus la cible n’est habituellement pas restreinte aux seules cellules cancéreuses et peut aussi être exprimée dans les tissus normaux. En cas de maladie avancée, l’utilisation de tels Ac monoclonaux dirigés contre un seul épitope est toujours associée à un contrôle tumoral transitoire suivi d’un échappement tumoral et n’est pas associée à une réponse lymphocytaire T ni mémoire.

L’immunothérapie adoptive

L’administration de thérapies cellulaires adoptives au patient peut permettre dans certains cas, mais au prix d’une toxicité parfois non négligeable surtout en cas de lympho-déplétion associée, d’obtenir des réponses très prolongées et une mémoire immunitaire [6]. L’utilisation de vaccins anticancéreux ou de cellules dendritiques éduquées et activées ex vivo permet aussi d’activer les effecteurs T. Dans tous les cas ces différentes techniques se heurtent à l’importance des mécanismes d’inhibition tumorale représentés entre autres par les Treg immunosuppressifs, les MDSC et les différentes cytokines et molécules régulatrices qui inondent le microenvironnement tumoral et empêchent la maturation des cellules présentatrices d’antigènes et l’activation et l’expansion des lymphocytes T [7].

Renaissance de l’immuno-oncologie

C’est en ciblant le microenvironnement tumoral que l’immunothérapie a pu regagner ses lettres de noblesse. Les pistes et cibles sont potentiellement nombreuses entre les Treg, les MDSC et les nombreuses molécules impliquées dans la tolérance immunitaire et la promotion d’une tumeur. Le 1er exemple qui a permis de relancer l’immunothérapie sur la voie du succès a été l’utilisation dès 2010 d’un Ac monoclonal dirigé contre le CTLA4 (ipilimumab), une molécule inhibitrice exprimée à la surface des lymphocytes [8]. Cet anticorps permet de lever un frein à l’activation et l’expansion des lymphocytes T, restaurant par là un certain degré d’immunocompétence et l’initiation d’une réponse immunitaire antitumorale. Cet exemple a été suivi en 2012 par les premiers résultats encore plus retentissants de l’utilisation d’Ac monoclonaux dirigés contre PD1 et PDL1, molécules impliquées elles aussi dans la tolérance immunitaire [9, 10]. Et enfin, cette dernière année, les résultats d’une large étude associant anti-CTLA4 et anti-PD1 (respectivement ipilimumab et nivolumab) dans le mélanome malin métastatique ont fait de cette association un nouveau standard [11] autour duquel de futurs développements devraient s’appliquer à d’autres types de cancers. La voie de l’immuno-oncologie s’est ainsi ouverte à nouveau et aura de longues années devant elle pour déterminer comment utiliser et combiner anciennes et nouvelles approches d’immunothérapie, comment y associer les outils anticancéreux classiques tels que la chimiothérapie ou la radiothérapie, quels impacts auront ces nouveaux traitements à des stades plus précoces, en situation adjuvante, voire vis-à-vis de lésions précancéreuses, et surtout si oui ou non l’immunothérapie peut tenir ses promesses tant espérées d’une guérison de certains patients.

Liens d’intérêts : G. Deplanque déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. G. Coukos : Consulting or Advisory Role : Genentech, Pierre Fabre, Sanofi. Speakers’ Bureau : Genentech Research Funding : Boehringer Ingelheim.