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Revue de neuropsychologie

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Working memory and phonological deficits in dyslexia Volume 10, issue 4, Octobre-Novembre-Décembre 2018

Introduction

Les recherches menées ces 20 dernières années ont permis de définir la dyslexie développementale comme un trouble durable d’acquisition du langage écrit [1]. Les enfants qui présentent une dyslexie sont dans l’incapacité de mettre en place et d’automatiser les procédures de reconnaissance et de transcription des mots écrits.

Pour Lyon et al. [2], la dyslexie est un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture. Elle est caractérisée par des difficultés dans la reconnaissance exacte et/ou fluente de mots ainsi que par des capacités de transcription orthographique et de décodage limitées. Pour ces auteurs, ces difficultés résultent d’un déficit dans la composante phonologique du langage qui est souvent inattendu par rapport aux autres capacités cognitives de l’enfant et à l’enseignement dispensé dans sa classe. Les conséquences secondaires peuvent inclure des problèmes dans la compréhension en lecture. Par ailleurs, l’expérience réduite dans la lecture pourrait empêcher la croissance du vocabulaire de l’enfant et ses connaissances générales.

Concernant les classifications internationales, le DSM-5 [3] propose une approche différente du DSM-4. En effet, les difficultés spécifiques, telles que les troubles de la lecture, sont considérées comme des symptômes s’inscrivant le plus souvent dans un ensemble plus vaste de difficultés. Ainsi, les troubles de la lecture ne font plus l’objet d’un diagnostic à part entière, mais s’intègrent désormais dans le diagnostic unique et global de « trouble spécifique des apprentissages ». Selon le DSM-5, le diagnostic de trouble spécifique des apprentissages nécessite des difficultés persistantes en lecture, écriture, mathématiques durant les années de scolarité formelle [3]. Les compétences académiques doivent également être significativement en dessous de celles attendues pour l’âge. Par ailleurs, les difficultés de l’individu ne sont pas imputables à une déficience intellectuelle, un déficit sensoriel, d’autres troubles neurologiques, mentaux ou moteurs (qui, d’ailleurs, sont des critères d’exclusion du diagnostic de dyslexie). L’ensemble des difficultés doit également interférer de manière significative avec la réussite scolaire, la performance au travail ou les activités de la vie quotidienne.

La plupart des définitions de la dyslexie s’accordent sur la notion de trouble spécifique et soutiennent que le trouble de la lecture ne peut pas être expliqué par des facteurs plus généraux [4]. Trois grandes catégories de dyslexies développementales ont été mises en évidence, en lien avec les modèles de la lecture. La dyslexie phonologique se caractérise par des difficultés d’installation de la voie d’assemblage nécessaire pour la lecture des mots nouveaux ou peu fréquents. La seconde forme de dyslexie est souvent dénommée « dyslexie de surface ». Elle est caractérisée par l’utilisation systématique de la voie d’assemblage graphophonémique en raison d’une difficulté à s’appuyer sur la procédure lexicale. Le troisième type de dyslexie correspond à la dyslexie mixte. Elle se traduit par des difficultés d’installation des voies d’assemblage et d’adressage. Toutefois, la pertinence des sous-types de dyslexies définis sur la base des profils de lecture ne fait pas consensus dans la littérature (voir à ce propos [5]).

Au-delà des trois grandes catégories, le déficit central de la dyslexie est un sujet de controverse [6]. Il existe, en effet, plusieurs théories qui ne sont pas compatibles avec l’hypothèse phonologique [7].

Cet article propose une synthèse de littérature sur les liens entre les troubles phonologiques et le fonctionnement de la mémoire à court terme (MCT) et de la mémoire de travail (MDT) dans la dyslexie. Pour plusieurs auteurs, ces fonctions cognitives se situeraient sur un continuum [8]. La MCT renvoie à la capacité à mémoriser des informations et à les maintenir dans un format accessible à la conscience, le temps de réaliser une tâche donnée (ex. maintien d’un numéro de téléphone le temps de l’écrire sur une feuille). On parle de MDT quand l’information ne doit pas seulement être maintenue, mais quand elle doit être transformée ou manipulée (ex. maintien de nombres pour la réalisation d’une opération) [8].

Après avoir présenté les troubles phonologiques observés chez les dyslexiques, nous discuterons de l’implication de la MCT et de la MDT dans certaines tâches phonologiques. Nous évoquerons également les avancées théoriques concernant la nature des difficultés phonologiques dans la dyslexie. Nous décrirons ensuite la littérature concernant les capacités de MCT et de MDT des dyslexiques. Enfin, nous questionnerons les relations entre les troubles phonologiques et le fonctionnement de la MCT et de la MDT dans la dyslexie.

Les déficits phonologiques et métaphonologiques

Bien que certains auteurs considèrent que différents troubles cognitifs peuvent être à l’origine de la dyslexie, la théorie phonologique s’est considérablement imposée ces dernières années [7, 9-13]. Cette théorie a pour fondement que la capacité à établir des liens entre les représentations mentales des lettres et des phonèmes est indispensable pour l’apprentissage d’un système alphabétique. Ainsi, une dégradation des représentations des phonèmes perturberait l’apprentissage de la correspondance graphèmes-phonèmes. La théorie phonologique soutient l’idée selon laquelle la dyslexie est sous-tendue par un dysfonctionnement au niveau des représentations phonologiques. Pour Goswami [14], les dyslexiques présentent ainsi des difficultés significatives dans la représentation segmentale de la structure phonologique des mots.

Les sujets présentant une dyslexie phonologique ou une dyslexie mixte ont des difficultés dans la réalisation de tâches de dénomination rapide. Les liens entre difficultés en lecture et dénomination rapide ont été observés la première fois par Denckla et Rudel [15]. Ces auteurs avaient développé la tâche Rapid Automatized Naming (RAN) dans laquelle la consigne est de dénommer le plus rapidement possible une série d’items présentés sur une feuille. Les items peuvent être des chiffres, des lettres, des images ou des couleurs. Indépendamment de la nature du stimulus, les recherches montrent que la latence de dénomination prédit fortement le niveau de lecture. Hawelka et Wimmer [16] ont également observé des difficultés dans la réalisation de tâches de dénomination chez des futurs dyslexiques comparativement aux futurs normolecteurs. Ces tâches permettent d’évaluer l’accès au lexique et, notamment, la récupération rapide en mémoire à long terme de la forme orale d’un mot à partir de sa représentation imagée. Pour certains auteurs, la dénomination rapide ne serait qu’« une sous-composante phonologique » ([17], p. 398). Toutefois, l’idée selon laquelle les performances en dénomination rapide refléteraient les aptitudes phonologiques des sujets est encore débattue. Des interprétations visuelles concurrentes sont tout aussi recevables [18]. La contribution du RAN dans la prédiction du niveau de lecture serait indépendante d’autres prédicteurs tels que la conscience phonologique (voir, par exemple, [19]).

En ce qui concerne la conscience phonologique, elle est considérée comme l’un des facteurs les plus associés à l’acquisition de la lecture et à ses troubles [20]. La conscience phonologique correspond à la capacité à identifier les composants phonologiques des unités linguistiques (phonèmes, syllabes, rimes) et à les manipuler de façon délibérée [21]. Ces habiletés sont également désignées par les termes de « compétences métaphonologiques » afin de renvoyer à la notion « d’activité métalinguistique » discutée par Demont et Gombert [21]. Il s’agit d’activités de réflexion et de manipulation du langage planifiées et contrôlées par le sujet.

De nombreux travaux montrent des performances déficitaires chez les sujets dyslexiques dans des épreuves permettant d’évaluer le niveau de conscience phonologique. Leurs difficultés seraient généralement plus marquées dans les tâches portant sur les phonèmes que dans celles portant sur les syllabes.

Demont et Gombert [21] distinguent trois types d’épreuves se différenciant considérablement quant à leurs exigences cognitives, mnésiques et linguistiques : les épreuves de classification, les épreuves de dénombrement et de segmentation et les épreuves de manipulation.

Les épreuves de classifications consistent à demander au sujet de classer une série d’items selon un critère phonologique (par exemple, le fait de commencer par le même phonème). Martinez-Perez et al. [22] ont observé que les jeunes dyslexiques avaient des difficultés dans la réalisation d’une tâche de discrimination phonologique consistant à déterminer si les deux syllabes présentées oralement étaient identiques. Nithart et al. [23] ont montré également que des enfants dyslexiques avaient des difficultés dans une épreuve de jugement de syllabe commune par rapport à des enfants du même âge chronologique. En revanche, ils ne retrouvaient pas de difficultés pour le jugement de phonèmes communs en comparaison à un groupe témoin apparié en âge chronologique et à un groupe témoin de même niveau de lecture. Pour les dyslexiques adultes, les difficultés dans les tâches de catégorisation ne sont pas systématiques. Des études ont ainsi montré dans des tâches de discrimination phonologique, que des adultes dyslexiques avaient des performances similaires au groupe témoin apparié au niveau de l’âge chronologique, du QI non verbal et du niveau académique [10, 24].

Pour les tâches de dénombrement et de segmentation phonologique, les résultats confortent des capacités différenciées en fonction des âges des participants. Avec des enfants dyslexiques, Trolès [25] a mis en évidence des difficultés dans une tâche de segmentation phonémique lorsqu’il s’agit de décomposer en phonèmes les mots présentés oralement. Néanmoins, il a été observé des performances normales dans les tâches de segmentation de phonèmes chez les adultes dyslexiques [26].

Dans les épreuves de manipulation, il est demandé au sujet de réaliser une transformation syllabique ou phonémique de mots. Les épreuves de suppression de phonèmes et de contrepèteries sont le plus souvent utilisées. Dans les tâches de suppression de phonème, le sujet doit supprimer un des phonèmes constitutifs d’un mot donné oralement en fonction d’un critère (par exemple : phonème initial ou final). Les contrepèteries sont des tâches dans lesquelles les sujets doivent inverser les deux premiers phonèmes de deux mots donnés oralement. Par exemple, pour les mots « gâteau/mouton », la réponse attendue correspond à « mateau/gouton ». Plusieurs études ont démontré que des enfants dyslexiques avaient des faibles performances dans les épreuves de suppression de phonèmes ainsi que dans les épreuves de contrepèteries, par rapport à des enfants du même âge chronologique [13, 22, 25, 27], mais également en comparaison à des enfants du même niveau de lecture [22]. Ces résultats ont été répliqués chez l’adulte en comparaison à des groupes témoins appariés au niveau de l’âge et du QI non verbal [10, 24, 28, 29]. Toutefois, Sela et al. [26] n’observent pas de différence significative entre des adultes dyslexiques et des adultes du même âge dans une tâche de suppression de phonèmes.

En clinique, les faibles performances des dyslexiques dans les tâches métaphonologiques sont souvent recherchées pour orienter les prises en charge. Les sujets présentant une dyslexie phonologique ou une dyslexie mixte ont des difficultés dans ce type de tâche.

Ces profils de dyslexiques présenteraient également des déficits dans les tâches de MCT verbale. Des faibles performances seraient plus particulièrement relevées au niveau de la boucle phonologique décrite par Baddeley [30], qui permet le stockage temporaire de l’information phonologique grâce au stock phonologique et à la récapitulation articulatoire.

De nombreuses études montrent que les connaissances langagières sont un facteur déterminant de la MCT [31]. Autrement dit, la quantité de mots rappelés dans les épreuves de MCT verbale, telles que les tâches d’empans (appelées également « tâche de rappel sériel immédiat »), dépend des connaissances langagières au niveau phonologique, lexical et sémantique. En ce qui concerne l’influence des connaissances phonologiques, des effets de fréquence phonotactique sont observés lorsque des non-mots composés de phonèmes fréquemment associés dans la structure phonologique du français sont mieux rappelés que des non-mots contenant des phonèmes plus rarement associés entre eux. Concernant l’influence des connaissances lexicales, les sujets rappellent davantage de mots que de non-mots dans des tâches d’empans. Les effets de fréquence lexicale et du degré d’imagerie témoignent, par ailleurs, de l’influence des connaissances sémantiques lorsque les mots fréquents et concrets sont mieux rappelés que des mots peu fréquents et abstraits. L’activation temporaire des connaissances langagières doit donc être considérée comme une propriété fondamentale du fonctionnement de la MCT verbale.

En ce qui concerne les dyslexies phonologiques et mixtes, les connaissances linguistiques seraient affaiblies sur les aspects phonologiques plutôt qu’au niveau des représentations lexicosémantiques [13]. Pour Alegria et Mousty [32], comme le maintien d’informations verbales en MCT repose sur des codes phonologiques, il n’est pas étonnant que la difficulté d’accès aux codes phonologiques des dyslexiques entraîne un déficit en MDT. Il semblerait, par ailleurs, que la MCT soit préservée chez les dyslexiques en modalité visuelle et visuospatiale [28, 33-38].

La plupart des études ont mis en évidence un déficit de stockage en MCT verbale chez des enfants et des adultes dyslexiques, dans des tâches d’empan de chiffres endroits [26, 33], de rappel sériel immédiat de mots [39-41] et de non-mots [39, 40, 42].

Ainsi, l’ensemble des déficits observés chez les enfants dyslexiques dans les différentes tâches de dénomination rapide, de métaphonologie et de MCT verbale soutient l’hypothèse phonologique à l’origine de la dyslexie. Toutefois, plusieurs travaux ont été menés afin de préciser la nature des troubles phonologiques des dyslexiques.

Implication de la MCT et de la MDT dans les tâches de conscience phonologique : vers un trouble d’accès aux représentations phonologiques

Implication de la MCT et MDT dans les tâches de conscience phonologique

Pour Demont et Botzung [43], la conscience phonologique a un rôle déterminant dans l’apprentissage de la lecture mais elle s’appuie également sur le développement des capacités de stockage temporaire de l’information verbale sous forme phonologique au niveau de la boucle phonologique. Les auteurs ont, ainsi, observé des corrélations significatives entre les tâches de suppression phonémique et les épreuves d’empans chez des enfants dyslexiques. Les épreuves de conscience phonologique telles que les tâches de suppression phonémique et de détection d’intrus ont, ainsi, une composante mnésique car elles nécessitent un maintien en MDT des items pendant leur traitement. Varvara et al. [41] considèrent également que les épreuves de contrepèterie mobilisent les capacités de MDT.

Ainsi, il semblerait que les tâches de conscience phonologique nécessitant la manipulation d’unités phonologiques mobilisent les capacités de MDT et de MCT.

Ramus et Szenkovits [44] suggèrent que les erreurs observées chez les dyslexiques dans les épreuves de métaphonologie pourraient être en lien avec la charge en MDT des tâches utilisées. Soroli et al. [10] se sont donc intéressés à l’impact de la charge mnésique dans les tâches phonologiques sur les performances des dyslexiques. Les auteurs ont évalué chez des adultes dyslexiques la discrimination et la répétition de pseudo-mots en faisant varier la charge en MDT. Pour cela, il était demandé aux sujets de répéter ou de comparer des listes de pseudo-mots d’une longueur croissante. Les résultats ont montré que les dyslexiques présentaient des difficultés dans le traitement phonologique et, plus particulièrement, lorsque la charge en MDT de l’épreuve était élevée (séquence de trois items). En revanche, les dyslexiques ne se distinguaient pas des contrôles lorsque la charge mnésique était faible.

Du trouble des représentations phonologiques au trouble d’accès phonologique

L’hétérogénéité des troubles phonologiques chez les dyslexiques et l’implication de la MCT et de la MDT dans les tâches de conscience phonologique ont conduit Ramus et al. [13] à distinguer deux types de déficits phonologiques.

Le premier type de trouble phonologique correspond à un trouble des représentations phonologiques. Il peut être mis en évidence dans des tâches phonologiques de perception catégorielle et de production telles que la discrimination catégorielle et la répétition simple de non-mots. La perception catégorielle est le phénomène par lequel les différences acoustiques entre sons de la parole ne sont pas perceptibles sauf s’ils appartiennent à des catégories phonétiques différentes [45-48]. La perception catégorielle peut être évaluée avec des tâches de discrimination catégorielles. Dans ce type de tâche, deux syllabes qui ne diffèrent que par un trait phonétique sont sélectionnées, et une série de syllabes intermédiaires sont synthétisées en faisant varier régulièrement les paramètres physiques responsables de la différence telle que le degré d’articulation et de voisement (sonorisation des sons). Les sujets doivent ainsi déterminer si les deux syllabes présentées sont identiques.

Le second type de trouble phonologique correspond à un déficit d’accès aux représentations phonologiques. Ce terme renvoie aux habiletés phonologiques évaluées avec des tâches de conscience phonologique, de dénomination rapide et de MCT verbale. Les habiletés phonologiques mobilisent également les représentations phonologiques mais nécessitent des capacités cognitives supplémentaires telles que la métacognition, la MDT, la MCT, ainsi que la récupération rapide et sérielle des informations en mémoire à long terme. Cette classification est différente de celle de Demont et Gombert [21], car elle distingue les capacités perceptives phonologiques des capacités de traitement et de manipulation des unités phonologiques.

Ramus et Szenkovits [44] ont réalisé une revue de littérature des différentes études qui ont évalué les représentations phonologiques des dyslexiques, en utilisant des tâches impliquant un minimum de capacités métacognitives ou de MDT. Cette revue de littérature suggère que les représentations phonologiques des dyslexiques seraient préservées. Selon les auteurs, les difficultés phonologiques des dyslexiques correspondraient davantage à un trouble d’accès aux représentations phonologiques. Les résultats de Ramus et al. [13], observés chez des enfants présentant des troubles spécifiques du langage oral, une dyslexie développementale ou une association de ces deux pathologies, soutiennent cette hypothèse. Dans cette étude, seulement un tiers des enfants avec une dyslexie développementale isolée présentait un déficit dans les tâches de perception catégorielle et de répétition simple de non-mots, qui évaluaient les représentations phonologiques.

Même si plusieurs travaux corroborent l’hypothèse d’un trouble des représentations phonologiques, certains résultats empiriques suggèrent, par ailleurs, que la dégradation des représentations phonologiques pourrait ne pas être systématique. En effet, plusieurs études [23, 43] ont montré que les dyslexiques présentaient un effet de similarité phonologique et un effet de fréquence phonotactique comme les sujets témoins, ce qui témoigne d’une préservation des représentations phonologiques et du codage phonologique.

Boets et al. [49] ont cherché à préciser la nature des troubles phonologiques des dyslexiques en s’appuyant sur l’imagerie cérébrale. Les chercheurs ont ainsi proposé des épreuves phonologiques à un groupe d’adultes dyslexiques tout en utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Durant la réalisation des différentes tâches, il n’existait pas de différence significative entre les dyslexiques et le groupe témoin concernant l’activation du cortex auditif primaire impliqué dans le stockage des informations phonologiques. Cependant, une dysconnexion entre les régions corticales frontales et les régions temporopariétales a été observée chez les dyslexiques. Pour les auteurs, ces données sont compatibles avec l’hypothèse d’une préservation des représentations phonologiques des dyslexiques, qui peuvent être néanmoins difficilement accessibles en raison de la dysconnexion évoquée précédemment.

Ainsi, bien qu’il soit possible d’observer un trouble des représentations phonologiques chez certains dyslexiques, plusieurs études suggèrent que le trouble phonologique dans la dyslexie correspond davantage à un déficit d’accès phonologique. Ce déficit serait observé plus particulièrement lorsqu’il est nécessaire de s’appuyer sur d’autres capacités cognitives pour mobiliser des représentations phonologiques. Ces difficultés seraient mises en avant dans les tâches de conscience phonologique, de dénomination rapide et de MCT verbale.

Si les tâches de métaphonologie mobilisent les capacités de MCT et de MDT, nous pouvons explorer plus particulièrement le fonctionnement de ces deux composantes chez les dyslexiques.

Mémoire à court terme et mémoire de travail dans la dyslexie

Dans les premières modélisations de la MDT, Baddeley [30] propose une approche fractionnée de ce système. Il distingue un système de stockage temporaire qui comporte la boucle phonologique et le calepin visuospatial, d’un système de contrôle attentionnel qui correspond à l’administrateur central. Plus tardivement, il ajoutera à son modèle le buffer épisodique [50] qui est dédié au stockage temporaire d’informations multimodales et à l’intégration des informations en mémoire à long terme afin de former des représentations épisodiques unitaires et cohérentes. Bien que le modèle de Baddeley propose une approche modulaire de la MDT, il ne rend pas compte de l’ensemble des processus cognitifs susceptibles d’être altérés lors d’une atteinte de ce système.

En effet, pour Majerus et al. [51], des déficits de MCT et de MDT peuvent être observés pour différentes raisons telles que des difficultés à activer et à maintenir l’identité des informations à mémoriser, des difficultés à encoder et à maintenir les aspects sériels, ou des difficultés de contrôle attentionnel.

La distinction entre MCT de l’ordre sériel et MCT de l’item

La MCT verbale correspond donc aux processus qui sous-tendent le stockage passif d’informations verbales [52]. Si les performances des individus dans les tâches d’empan sont dépendantes de l’activation du système langagier, elles dépendent également du traitement de l’ordre sériel des informations [31]. Pour Majerus [31], le traitement de l’ordre sériel est ce qui permet de considérer le système de MCT verbale comme étant un système spécifique et différent du système langagier. Ainsi, il est indispensable de distinguer l’information « item » (item présenté) correspondant à l’activation des représentations langagières, de l’information « ordre sériel » qui correspond à l’ordre de présentation des informations. Dans la dyslexie, cette distinction permet de mieux comprendre la nature des processus dans les différentes tâches évaluant la MCT verbale comme le stockage phonologique.

Nithart et al. [23] ont étudié les capacités de MCT verbale d’enfants dyslexiques en distinguant l’information « item » de l’information « ordre sériel ». Ils ont évalué la rétention de l’information « item » en proposant une tâche de répétition de non-mots isolés et une tâche de reconnaissance de non-mots. Dans l’épreuve de reconnaissance de non-mots, une liste cible de non-mots était présentée aux enfants, il leur était ensuite demandé de décider pour chaque non-mot d’une seconde liste s’il faisait partie de la liste cible présentée préalablement. Les aspects « ordre sériel » ont été mesurés avec une tâche de reconnaissance d’ordre sériel. Des séries de chiffres étaient énoncées oralement aux participants, puis il leur était demandé de déterminer si l’ordre de présentation des chiffres correspondait à l’ordre de ceux présentés initialement. Les résultats n’ont montré aucune différence significative entre les dyslexiques et les groupes témoins concernant la répétition de non-mots. Alors que le déficit de rétention de l’information « ordre sériel » a été observé chez les dyslexiques par rapport aux deux groupes témoins appariés en âge chronologique et en âge de lecture, le déficit de MCT de l’item dans les tâches de reconnaissance de non-mots a été relevé uniquement par rapport aux enfants du même âge chronologique. Cette dissociation des performances des enfants dyslexiques pour la rétention de l’item et de l’ordre sériel a été répliquée par Martinez-Perez et al. [22]. Pour évaluer les aspects « item » indépendamment de l’ordre sériel, les auteurs ont utilisé une tâche de répétition différée de non-mots. Dans cette tâche, un non-mot isolé était présenté oralement à l’enfant. Il était ensuite demandé à l’enfant de répéter ce non-mot après une tâche interférente verbale de six secondes. L’information « ordre sériel » a été évaluée avec une épreuve de reconstitution d’ordre sériel. Des séries d’animaux étaient présentées oralement puis les enfants devaient reproduire l’ordre dans lequel ces animaux avaient été énoncés en utilisant les cartes illustrant les différents items. Plus récemment, Cowan et al. [53] ont mis en évidence chez des enfants dyslexiques, un déficit d’ordre sériel en MCT à la fois pour des informations phonologiques, lexicales, spatiales et visuelles en utilisant des tâches de rappel sériel immédiat. Ces difficultés de MCT de l’ordre sériel persistaient même lorsque les groupes étaient appariés au niveau de l’intelligence non verbale et des capacités langagières. En revanche, si les enfants dyslexiques présentaient un déficit dans la tâche de répétition de non-mots de deux à cinq syllabes par rapport à des enfants du même âge chronologique, ces différences disparaissaient lorsque les groupes étaient appariés au niveau de l’intelligence non verbale et des capacités langagières.

D’autres études ont été menées auprès d’adultes dyslexiques en distinguant également les informations « item » des informations « ordre sériel » en MCT. Plusieurs résultats ont montré une altération de l’ordre sériel en MCT chez des adultes dyslexiques [37, 38, 54]. En revanche, Wang et al. [55] ont observé une préservation de la MCT à la fois au niveau de l’ordre sériel et de l’item dans des tâches de rappel sériel immédiat. Martinez-Perez et al. [56] ont mis en évidence chez des adultes dyslexiques un déficit de MCT verbale à la fois pour les informations « items » et « ordre sériel ». Par ailleurs, aucune corrélation n’était observée entre les aspects « item » et « ordre sériel », ce qui suggère une indépendance de ces deux processus en MCT. D’autres auteurs [37, 38] observent également des résultats en faveur d’une spécificité des troubles de la mémoire de l’ordre sériel dans la dyslexie, notamment en raison d’un déficit de MCT de l’ordre sériel aussi bien pour des informations verbales que pour des informations visuelles.

Des chercheurs ont étudié la MCT de l’ordre sériel et la MCT de l’item auprès d’adultes dyslexiques en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale. Martinez-Perez et al. [38] se sont ainsi intéressés aux réseaux neuronaux associés à l’information « item » et « ordre sériel » de la MCT en utilisant des tâches de reconnaissance d’items verbaux, d’items visuels et d’ordre sériel. La MCT de l’ordre sériel a été évaluée en modalité verbale et en modalité visuelle. Les auteurs ont montré que même s’il existe des déficits de MCT à la fois pour les aspects « item » et « ordre sériel », ils sont associés à des réseaux neuronaux différents. D’une part, lors des tâches de MCT d’ordre sériel en modalité visuelle et verbale, les dyslexiques présentaient une sous-activation au niveau du sillon pariétal droit et dans les régions frontales supérieures. Pour les auteurs [38], ces régions peuvent être considérées comme étant impliquées dans la MCT de l’ordre sériel. D’autre part, durant les épreuves de MCT évaluant l’information « item », les dyslexiques présentent une sur-activation au niveau du sillon pariétal droit et du gyrus frontal moyen, qui ne sont pas des régions spécifiques au langage. Ces régions cérébrales seraient néanmoins impliquées dans la manipulation des informations en MDT et le contrôle attentionnel [57].

Mémoire de travail

La MDT correspond aux processus qui sont impliqués dans la manipulation, la coordination et la transformation d’informations stockées en MCT [52]. Sur le plan théorique, les premières modélisations, comme celle de Baddeley, proposent que l’administrateur central soit impliqué dans ces différentes fonctions [30]. Baddeley [58] propose ainsi de distinguer trois fonctions exécutives au sein de l’administrateur central : l’attention focalisée, l’attention divisée et la capacité à alterner entre différentes tâches ou stratégies (flexibilité). Cependant, d’autres auteurs proposent un fractionnement différent des fonctions exécutives au sein de l’administrateur central. Miyake et al. [59] ont montré que la mise à jour, la flexibilité et l’inhibition étaient trois fonctions distinctes mais pas totalement indépendantes. Les auteurs ont également suggéré que l’attention divisée pouvait correspondre à une quatrième fonction exécutive.

Plusieurs études ont évalué l’administrateur central chez des dyslexiques en utilisant des tâches d’empans de chiffres envers afin de tester leurs capacités à manipuler mentalement des informations verbales. Les résultats de ces différentes études apparaissent contrastés. Alors que certains groupes de dyslexiques présentent un déficit dans les épreuves d’empan de chiffres envers [26, 33, 39, 42, 60], d’autres groupes ont des performances similaires aux sujets témoins [34, 43].

Concernant l’attention, des déficits ont été relevés chez les enfants dyslexiques en attention sélective [40, 41, 61], mais également au niveau de l’attention divisée [61].

Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux capacités d’inhibition des dyslexiques. Les résultats des différentes études sont divergents. Si certains travaux ont relevé un déficit d’inhibition [33, 60, 62], une autre étude a mis en évidence une préservation des processus inhibiteurs [61]. Toutefois, Wang et Yang [63] ont distingué l’inhibition comportementale de l’inhibition cognitive. Ils ont ainsi montré que le déficit d’inhibition des dyslexiques touchait plus particulièrement l’inhibition cognitive au test du stroop et de détection de cibles parmi des distracteurs, alors que leurs capacités d’inhibition comportementale étaient préservées dans les tâches de go/no/go et de stop signal.

Les différentes études portant sur la flexibilité sont également contradictoires. Les dyslexiques ne se distinguent pas des sujets témoins au test du Wisconsin Card Sorting Test[41, 42, 60, 64] alors qu’ils présentent des difficultés au test de flexibilité de Zimmermann et Fimm [65], aux tâches de fluences catégorielles et de fluences graphiques [41, 60, 61]. Concernant les capacités de mise à jour, les résultats semblent plus homogènes. Un déficit de mise à jour a été mis en évidence chez des enfants dyslexiques [64] mais également chez des adultes présentant une dyslexie [26, 35].

Troubles phonologiques et déficits de MCT/MDT : des liens bidirectionnels ?

Vers des déficits de MCT/MDT distincts des troubles phonologiques

Un déficit dans une tâche de MCT/MDT peut refléter des déficits distincts [31]. Plusieurs interprétations du déficit des dyslexiques dans les tâches de MCT ont donc été envisagées par différents chercheurs. Tout d’abord, les difficultés des dyslexiques dans les tâches de MCT verbale pourraient refléter un trouble langagier en lien avec un manque de précision des représentations phonologiques stockées en mémoire à long terme comme nous l’avons décrit précédemment. Ce trouble serait consécutif aux troubles des représentations phonologiques des dyslexiques. Martinez-Perez et al. [56] ont montré que le trouble de MCT « item » était observé chez des adultes dyslexiques uniquement dans une tâche de répétition différée de non-mots et pas dans une épreuve de reconnaissance. Les auteurs suggèrent ainsi que les représentations phonologiques des dyslexiques sont suffisantes pour la reconnaissance de non-mots mais pas pour leur répétition.

Toutefois, pour Cowan et al. [53], il est possible de distinguer une dyslexie en lien avec un déficit langagier primaire d’une dyslexie avec des capacités langagières préservées. Une étude récente a montré que si des enfants dyslexiques présentaient un déficit dans une tâche de répétition de non-mots de deux à cinq syllabes par rapport à des enfants du même âge chronologique, ces différences disparaissaient lorsque les groupes étaient appariés au niveau de l’intelligence non verbale et des capacités langagières [53]. Des résultats empiriques suggèrent également qu’il est possible d’observer une préservation des représentations phonologiques dans la dyslexie.

Par ailleurs, plusieurs chercheurs ont montré que le déficit de MCT des dyslexiques ne se limitait pas aux capacités de stockage phonologique. Des troubles de la MCT de l’ordre sériel ont ainsi été mis en évidence chez des enfants et des adultes dyslexiques. Certains résultats empiriques suggèrent également que ce trouble de la MCT de l’ordre sériel n’est pas consécutif à un déficit du stockage phonologique en MCT et qu’il peut être observé en modalité visuelle et visuospatiale. De plus, la MCT de l’ordre sériel et les habiletés phonologiques semblent intervenir de manière distincte dans l’apprentissage de la lecture. Demont et al. [66] ont cherché à préciser le rôle de la MCT de l’ordre sériel et de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture. Ils ont ainsi réalisé une étude longitudinale de la grande section de maternelle jusqu’à la fin du cours préparatoire auprès d’un groupe d’enfants sans retard scolaire. En s’appuyant sur leurs résultats, les auteurs suggèrent qu’il existerait une contribution précoce de la conscience phonologique lors de l’acquisition du principe de correspondance graphophonémique. Cependant, la conscience phonologique serait ensuite relayée par une contribution plus tardive de la mémoire de l’ordre sériel, car la mise en œuvre des règles de correspondance graphophonémique n’est pas encore automatisée. Pour Martinez-Perez et al. [22], le déficit de la mémoire de l’ordre sériel pourrait être un déficit fondamental dans la dyslexie.

Le déficit dans les tâches de conscience phonologique et de MCT : une interprétation univoque ?

Sur le plan clinique, l’implication de différents processus cognitifs dans les tâches de conscience phonologique et de MCT verbale laisse place à une interprétation équivoque concernant le déficit des dyslexiques dans ces types d’épreuves.

Premièrement, la composante mnésique des tâches de conscience phonologique permet difficilement aux cliniciens de conclure sur l’origine des faibles performances dans ce type d’épreuve. En effet, il est possible que l’échec des dyslexiques dans les tâches de conscience phonologique soit en lien avec un déficit d’accès aux représentations phonologiques. Toutefois, comme plusieurs études ont démontré que les dyslexiques pouvaient présenter un déficit de MDT et de MCT, il est difficile d’exclure que les échecs observés dans les tâches de conscience phonologique s’expliquent par la composante mnésique des épreuves utilisées.

Deuxièmement, d’autres facteurs semblent également intervenir dans les tâches de MCT verbale. Dans le modèle de Majerus [31], l’attention sélective prend une place centrale et interagit avec le système langagier pour l’encodage et le maintien de l’information « item », d’une part, et avec un système assurant le traitement de l’ordre sériel, d’autre part. L’attention sélective semble donc être impliquée dans la MCT de l’item. Majerus et al. [67] ont ainsi montré que l’attention sélective pouvait expliquer jusqu’à 30 % de la variance dans les tâches de MCT verbale. Cowan et al. [68] estiment que des capacités attentionnelles sont nécessaires pour le maintien de l’activation temporaire des informations en MCT. Le mécanisme de focus attentionnel serait général et indépendant des propriétés des informations à mémoriser [69]. L’implication de l’attention sélective dans les tâches de MCT verbale, telles que les épreuves d’empans, ne permet pas aux cliniciens de statuer sur la présence d’un trouble spécifique au niveau du stockage temporaire d’informations verbales. En s’appuyant sur leurs résultats obtenus en imagerie cérébrale, Martinez-Perez et al. [38] stipulent que les dyslexiques ont besoin de davantage de ressources exécutives et attentionnelles pour traiter des mots en situation de MCT. Il est possible que les déficits phonologiques des dyslexiques entraînent une forte mobilisation des capacités attentionnelles durant les tâches qui sollicitent les représentations phonologiques. De faibles performances dans des tâches d’empans peuvent ainsi refléter un déficit au niveau du stockage phonologique en MCT. Néanmoins, il n’est pas possible d’exclure que certaines de leurs faibles performances soient consécutives à des déficits attentionnels, qu’il s’agisse d’un trouble type TDH/A présent dans un contexte de comorbidité avec la dyslexie ou d’un trouble de l’attention sélective ou d’un sous-système attentionnel spécifique (qui peut s’observer indépendamment de tout diagnostic de TDAH).

Troisièmement, les processus attentionnels semblent également interagir avec la MCT de l’ordre sériel. Pour Cowan et al. [53], il est possible que les déficits de la MCT de l’ordre sériel des dyslexiques soient en lien avec des difficultés spécifiques attentionnelles. L’attention pourrait servir à moduler la MCT de l’ordre sériel [70]. Van Dijck et al. [71] ont d’ailleurs mis en évidence un lien direct entre la MCT de l’ordre sériel et l’attention spatiale chez des adultes sains. Pour Abrahamse et al. [72], la MCT de l’ordre sériel est souvent considérée comme s’appuyant sur des systèmes de traitements temporels et spatiaux. Les auteurs proposent ainsi que la MCT de l’ordre sériel soit reliée au système d’attention spatiale. Ainsi, il est probable que les faibles performances des dyslexiques dans les tâches de MCT de l’ordre sériel traduisent un déficit de cette composante. Toutefois, au regard des difficultés d’attention visuospatiale qu’il est possible d’observer chez les dyslexiques [73, 74], il est difficile d’exclure que les faibles performances dans des tâches de MCT verbales soient en lien avec des troubles de l’attention visuospatiale. Cependant, des travaux empiriques visant à préciser dans la dyslexie les relations entre les troubles de l’attention visuospatiale et les déficits en MCT de l’ordre sériel mériteraient d’être menés.

MCT/MDT et capacités phonologiques : des troubles distincts mais des relations bidirectionnelles ?

Dans le cas de la dyslexie, la nature des liens entre les difficultés verbales et la MCT est difficile à établir, notamment car les mécanismes qui permettent de maintenir l’information en MCT dépendent eux-mêmes des représentations langagières stockées en mémoire à long terme [70].

La MCT de l’ordre sériel apparaît comme étant impliquée dans l’acquisition du vocabulaire chez des enfants au développement normal et dans l’apprentissage de nouveaux mots chez des adultes sans pathologie, indépendamment des capacités de stockage phonologique [75, 76]. Certains chercheurs stipulent ainsi que la MCT de l’ordre sériel joue un rôle spécifique et causal dans l’apprentissage de nouvelles informations phonologiques [75]. Ainsi, même s’il est possible que les difficultés des dyslexiques dans les tâches de MCT verbale « item » soient en lien avec un déficit des représentations phonologiques en mémoire à long terme, les données actuelles de la littérature ne permettent pas d’exclure l’implication des troubles de la mémoire de l’ordre sériel dans les dysfonctionnements observés au niveau de ces représentations langagières.

Dans son modèle, Baddeley [58] a rajouté le buffer épisodique, notamment afin d’établir des liens entre la MCT et la mémoire à long terme. Néanmoins, cet ajout post-hoc n’a pas rencontré le succès escompté [77]. Si la mémoire de l’ordre sériel joue un rôle dans l’acquisition des connaissances langagières et est envisagée par certains auteurs comme un déficit fondamental dans la dyslexie [22], nous pouvons nous demander dans quelle mesure elle se distingue du buffer épisodique du modèle de Baddeley [50]. Dans une tâche d’intégration créée par Quinette et al. [78] pour évaluer le buffer épisodique, les sujets doivent associer mentalement une lettre à un emplacement et doivent ensuite déterminer si l’association lettre-emplacement qui leur est présentée correspond à l’association initiale. Comme nous l’avons vu précédemment, la MCT de l’ordre sériel peut être évaluée avec des tâches de reconnaissance d’ordre sériel et de reconstitution d’ordre sériel. Les participants doivent déterminer si l’ordre de présentation des chiffres correspond à l’ordre de ceux présentés initialement, ou reproduire l’ordre dans lequel des animaux ou des chiffres ont été énoncés préalablement. Nous pouvons donc nous demander ce qui distingue une tâche d’intégration d’une épreuve de reconnaissance ou de reconstruction de l’ordre sériel. Autrement dit, comme la MCT de l’ordre sériel est souvent considérée comme s’appuyant sur des systèmes de traitements temporels et spatiaux, dans quelle mesure la capacité à associer une lettre à son emplacement se distingue de la capacité à associer un chiffre ou un animal à un ordre de présentation particulier ? Même si ces deux tâches diffèrent au niveau de la nature du matériel (visuelle et verbale), il est possible qu’elles mobilisent toutes les deux des capacités de traitements temporels et spatiaux. Les modèles des « marqueurs de position » considèrent que le codage de l’ordre sériel en MDT est réalisé en reliant certains éléments à des marqueurs de position spécifique et que la récupération de l’ordre sériel est effectuée en retrouvant cette association [72]. Gupta [79] propose, par ailleurs, que l’apprentissage de nouvelles séquences verbales à long terme s’appuie sur le stockage de l’ordre en MCT de phonèmes déjà connus.

Conclusion

Cet article avait pour objectif de préciser les liens entre les troubles phonologiques et le fonctionnement de la MCT et de la MDT dans la dyslexie. Les avancées théoriques suggèrent que le trouble phonologique dans la dyslexie correspond davantage à un déficit d’accès phonologique, lorsqu’il est nécessaire de s’appuyer sur d’autres capacités cognitives pour mobiliser des représentations phonologiques. Par ailleurs, alors que les premières modélisations de la MCT évoquaient surtout des difficultés au niveau de la boucle phonologique, d’autres travaux s’appuyant sur des modèles théoriques plus récents évoquent des déficits de MDT et de MCT de l’ordre sériel. Ces déficits pourraient ne pas être consécutifs aux troubles phonologiques des dyslexiques. Néanmoins, il est possible que des relations bidirectionnelles existent entre les capacités de MCT/MDT et l’acquisition de nouvelles informations phonologiques dans la dyslexie. Sur le plan clinique, l’implication de différents processus cognitifs dans les tâches de conscience phonologique et de MCT verbale laisse place à une interprétation équivoque concernant le déficit des dyslexiques dans ces types d’épreuves. Afin de proposer des stratégies thérapeutiques adaptées, il paraît donc indispensable de proposer également aux dyslexiques une évaluation des différents domaines non langagiers susceptibles d’interférer avec le développement des capacités phonologiques, tels que la MCT de l’ordre sériel et la MDT.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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