Bulletin du Cancer
MENURUNX3, un gène suppresseur impliqué dans le cancer de l'estomac Volume 89, numéro 6, Juin 2002
- Année de parution : 2002
Le mécanisme moléculaire de la carcinogenèse gastrique est peu connu. Certes, il existe bien des lésions génomiques associées à des cancers gastriques comme la perte de p53, de la cadhérine E ou du récepteur au TGFbeta, ou encore la surexpression de c-erbB2 ou de c-met, mais ces anomalies ne rendent compte que d'un petit nombre de tumeurs gastriques.
L'observation, en 1998, que des souris déficientes en TGFbeta montraient une stimulation de la prolifération avec hyperplasie de l'épithélium gastrique a ouvert une nouvelle piste en suggérant que le TGFbeta avait un rôle régulateur important dans le développement du tube digestif [1].
Une cible majeure de la signalisation déclenchée par le TGFbeta est la protéine fixant la séquence d'activation (enhancer) du virus polyome (polyoma enhancer binding protein 2 ou PEBP2). Il s'agit d'un facteur de transcription hétérodimérique dont la sous-unité alpha est homologue aux produits des gènes runt et lozenge qui sont essentiels au développement de la drosophile. Ces gènes ont un domaine conservé runt requis pour la reconnaissance de l'ADN et pour la dimérisation avec la sous-unité beta. On connaît trois gènes de mammifères apparentés à runt : RUNX1/AML1, RUNX2/CBFA1 et RUNX3/PEBP2alphaC/AML2. Tous forment des complexes avec les protéines Smad 2 et 3 qui sont des éléments essentiels de la signalisation par TGFbeta. RUNX1 est requis pour l'hématopoïèse définitive et sa translocation est impliquée dans un tiers des leucémies aiguës [2], RUNX2 est, lui, essentiel à l'ostéogenèse [3, 4].
Quant à RUNX3, un récent travail par des groupes japonais et coréens [5] vient de montrer que les souris Runx3-/- présentaient une hyperplasie de la muqueuse gastrique due à une prolifération accrue et à une apoptose réduite, une situation qui évoque fortement un statut de gène suppresseur de tumeur.
Ces auteurs ont examiné 46 pièces d'exérèse de cancers gastriques pour d'éventuelles pertes d'allèles de RUNX3 (sur le chromosome 1). Une délétion hémizygote a été observée dans 30 % de toutes les tumeurs avec une fréquence accrue dans les stades avancés : 14 % dans les stades I, 27 % au stade III et 100 % au stade IV.
Si l'on considère maintenant l'expression de RUNX3 au niveau de l'ARN, on observe une réduction dans respectivement 41 %, 50 %, 79 % et 78 % des tumeurs de stade I à IV. Il existe donc des tumeurs où la réduction de l'expression ne résulte pas de la délétion pure et simple du gène RUNX3. La méthylation des îlots CpG est un mécanisme classique d'inactivation des gènes qui en contiennent, ce qui est le cas de RUNX3. Effectivement, l'exon 1 de RUNX3 est méthylé dans 3 tumeurs sur les 3 examinées, alors qu'il ne l'est pas dans les 3 muqueuses saines (y compris dans la muqueuse saine avoisinant l'une de ces tumeurs).
Le lien de causalité entre méthylation et extinction de RUNX3 est confirmé par la réactivation par l'aza-cytidine (un inhibiteur de la méthylation de l'ADN) dans des lignées où il y avait aussi cette hyperméthylation.
Quant à l'implication de la perte d'expression de RUNX3 dans la tumorigenèse gastrique, elle est confirmée par des études in vivo. Les cellules MKN28 Runx3-/- forment chez la souris nude des tumeurs à croissance rapide et ce potentiel est considérablement réduit par réintroduction d'un gène RUNX3 normal.
Tous ces éléments convergent pour attribuer à RUNX3 le statut de gène suppresseur de tumeur. Ils l'impliquent clairement dans le développement d'une forte proportion de cancers gastriques et cela d'autant plus que la tumeur est à un stade plus avancé.
1. Crawford SE, et al. Thrombospondin-1 is a major activator of TGFbeta1 in vivo. Cell 1998 ; 93 : 1159-70.
2. Look AT. Oncogenic transcription factors in the human acute leukemias. Science 1997 ; 278 : 1059-64.
3. Lee B, et al. Missense mutations abolishing DNA binding of the osteoblast-specific transcription factor OSF2/CBFA1 in cleidocranial dysplasia. Nature Genet 1997 ; 16 : 307-10.
4. Mundlos S, et al. Mutations involving the transcription factor CBFA1 cause cleidocranial dysplasia. Cell 1997 ; 89 : 773-9.
5. Li GL, et al. Causal relationship between the loss of RUNX3 expression and gastric cancer. Cell 2002 ; 109 : 113-24.