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Homeopathy and placebo (From Hahnemann to EBM) Volume 14, issue 9, Novembre 2018

L’invention d’Hahnemann

Samuel Hahnemann, médecin allemand (1755-1843), érudit et polyglotte, apprit la médecine à la fin du XVIIIe siècle et déplorait non seulement l’inefficacité des médecins de l’époque – on le comprend ! – mais aussi leur dogmatisme, les voyant satisfaits de répéter des préceptes découlant de la théorie d’Hippocrate et Galien, sans esprit critique, se contentant d’user de méthodes dans une « pratique commode », « sans vrai principe pour base de leur action »…

C’est ainsi que le premier traitement effectué en urgence, en 1820, par le médecin appelé auprès du duc de Berry, poignardé à la sortie de l’Opéra, fut une saignée…

Les médecins restaient dans le dogme de la théorie des humeurs et la vérification expérimentale, comme cela s’est développé avec Claude Bernard, était loin d’être dans les habitudes.

Hahnemann a eu le mérite de vouloir remettre en question ce dogmatisme qu’il fustigeait. Le paradoxe est qu’il inventa une nouvelle théorie, sans user davantage de contrôle par une expérimentation, en tout cas qui paraîtrait scientifiquement crédible aujourd’hui. Il partit des idées exprimées par Paracelse, savant célèbre et contesté du début du XVIe siècle, qui s’est intéressé à la chimie et se disait « alchimiste ». Pour lui, « la nature invisible d’une chose peut être connue par sa forme extérieure », ce qui l’a conduit à développer le concept de « similitude ». Cela le conduisit par exemple à une conclusion de ce type, assez étrange pour l’homme du XXIe siècle : « la noix ressemble à un cerveau… Elle peut donc servir de remède pour traiter les maux de tête ! »

Le fond du principe de « similitude », qui a été à la base du raisonnement d’Hahnemann, est qu’une maladie peut être soignée par une substance provoquant les mêmes symptômes. Travaillant sur le quinquina (remède alors connu depuis un siècle pour traiter la malaria), il constata que cette drogue, utilisée en forte concentration, donnait des signes identiques à ceux du paludisme (fièvre, anxiété, tachycardie, somnolence…). Cela le conforta dans le fait que « le semblable soigne le semblable » (« Similia similibus curentur »). C’est cette théorie qu’il développa dans l’ouvrage intitulé : « Organon de l’Art de guérir » [2]. Il fit précéder sa 6e édition (1810) par une introduction où il écrivit : « Je me fais l’honneur d’avoir été le seul dans ces temps modernes à avoir entrepris une révision critique mais loyale de cet art (…). Au cours de ces recherches, j’ai découvert le chemin de la vérité, chemin que je pressentais devoir suivre seul et fort distant de la grande route foulée par le monde médical traditionnel ».

Les bases de l’homéopathie

Partant de sa théorie de la similitude, en opposition directe avec la « médecine classique » qu’il résume par « contraria contrariis curanture », et qu’il appellera « allopathique », il conçoit qu’il lui faut diluer la substance concernée par la maladie.

Le premier principe, donc, de sa méthode est la dilution. Celle-ci est extrême. Créant l’unité de concentration hahnemanienne (CH), qui correspond à une division par 100 de la concentration du produit, il préconise en fait des dilutions (exponentielles) beaucoup plus faibles. Ainsi, la concentration de la substance d’un granule souvent préconisé dans la grippe est d’une dilution CH 200 [3]. Quand on sait qu’une dilution à CH 10 a été comparée à celle d’une molécule de substance versée dans la baie d’Hudson, on se doute qu’il n’existe plus rien de « chimiquement décelable » dans un tel médicament homéopathique !

Il lui a fallu alors concevoir un deuxième principe : celui de la dynamisation. Pour maintenir le pouvoir « guérisseur » malgré la dilution, cela consiste à frapper les flacons de solution contre des livres en cuir entre chaque dilution…Ainsi la « puissance spirituelle » de la substance serait communiquée à l’eau.

C’est ce qui a conduit certains – y compris des chercheurs de l’Inserm, en 1980 – à évoquer la « mémoire de l’eau » [4]. Malgré ceux-ci, repris par les propos du seul professeur Luc Montagnier, qui ont beaucoup surpris la communauté scientifique internationale, aucun travail n’a permis jusqu’à aujourd’hui d’expliquer expérimentalement la justification de cette théorie.

On voit bien que l’on est ici, comme pour les concepts d’Hippocrate, dans la « croyance ». Mais aujourd’hui nous ne sommes plus ni dans l’ère de la théorie, ni non plus dans celle de l’explication expérimentale (qui ne suffit pas elle non plus !), nous sommes entrés dans l’ère de la preuve, celle qui impose à tout traitement de prouver son efficacité chez l’homme.

Voyons donc ce qu’il en est à propos de l’homéopathie…

L’évaluation scientifique de l’efficacité de l’homéopathie

Disons d’abord que l’évaluation scientifique rigoureuse des traitements homéopathiques selon les principes reconnus par l’EBM a rencontré d’emblée des difficultés de la part des médecins homéopathes : la décision du traitement est en effet faite « à la carte » (type de granules et leur nombre), après un long temps d’interrogatoire et d’examen, et donc d’échanges très personnalisés avec le patient (nous y reviendrons plus loin). De ce fait, les homéopathes ont parfois prétendu ne pouvoir participer à une étude randomisée en aveugle par exemple.

Cette difficulté peut en réalité être tout à fait facilement contournée si ce n’est pas l’homéopathe qui fournit au patient le granule, réel ou placebo, mais un investigateur neutre sur prescription du médecin qui reste lui en « aveugle », ignorant si le patient recevra sa prescription homéopathique ou un granule factice.

Le problème dans l’analyse des essais thérapeutiques évaluant l’homéopathie est la médiocrité fréquente des méthodologies, entraînant des biais qui rendent les résultats « positifs » difficiles à entériner.

Cinq grandes méta-analyses ont été conduites sur ce sujet entre 1991 et 2005, rappelées dans [5], et qui ont toutes conclu que l’homéopathie ne comportait qu’un effet placebo.

La plus récente, une étude complexe faite par une équipe suisse [6], a cherché à évaluer la pertinence des études les plus solides concernant l’homéopathie – c’est-à-dire des études en double aveugle randomisées contre placebo –, publiées dans des revues à comité de lecture. Par une recherche sur 19 sites électroniques et des registres de revues, elle en a retenu 110. Parallèlement, elle a apparié, à partir de la base Cochrane, 110 essais randomisés de traitement conventionnel versus placebo, choisis car concernant les mêmes pathologies et les mêmes conditions d’études.

Il s’avérait que les études concernant l’homéopathie étaient un peu plus souvent de « très haute qualité » (19 %) que les études de traitement conventionnel (8 %). Comme attendu, plus les études comportaient de petits effectifs, moins elles étaient de qualité méthodologique correcte, et plus elles donnaient des résultats positifs dans les deux groupes. Lorsqu’on ne retenait que les études de très haute qualité, seul l’ensemble des études sur les traitements conventionnels objectivaient un effet significativement supérieur au groupe placebo avec un odds ratio de 0,58 (intervalle de confiance entre 0,39 et 0,85), tandis que pour les essais d’homéopathie l’odds ratio moyen était de 0,88 (intervalle : 0,65-1,19). Les auteurs ont ainsi conclu que les résultats de leur méta-analyse étaient compatibles avec un effet de l’homéopathie purement de type placebo.

Une autre étude parue en 2000 [7] avait évalué 23 essais d’homéopathie considérés comme de haute qualité méthodologique et avait montré que les essais qui utilisaient des critères d’évaluation objectifs étaient tous négatifs.

Enfin, les travaux continus du réseau Cochrane [8] s’intéressant à divers troubles pour lesquels la médecine conventionnelle est de faible efficacité (asthme chronique, démences, trouble de l’attention avec hyperactivité, intestin irritable, grippe…) ne permettent pas de conclure à une efficacité fiable de l’homéopathie.

C’est sur la base de ces diverses études que l’EASAC a tiré ses conclusions.

Notons qu’à l’époque de Hahnemann (en 1834), le célèbre professeur Armand Trousseau avait voulu vérifier l’effet des granules homéopathiques. Il prescrivit à des malades de son service des pilules faites à partir de mie de pain ou d’amidon (étude d’un placebo avant l’heure…) et constata que certains malades étaient améliorés. Il avait conclu : « De cette première partie de nos expériences, il est permis de conclure que les substances les plus inertes, telles que l’amidon, administrées homéopathiquement, c’est-à-dire en agissant sur l’imagination des malades, produisent des effets tout aussi énergiques que les médicaments homéopathiques les plus puissants » [9].

Un excellent placebo ?

Une série d’épidémies de choléra toucha Londres au cours de la première moitié du XIXe siècle. Au cours de l’une d’entre elles, la mortalité observée dans le London Homeopathic Hospital fut trois fois plus faible que dans le Middlesex Hospital, exerçant une médecine conventionnelle [6]. Une première réaction pourrait être de conclure que l’homéopathie est apparemment efficace contre le choléra, ce qui peut surprendre le biologiste d’aujourd’hui… Une autre est de considérer que les effets indésirables qu’elle induisait étaient beaucoup moins graves qu’avec l’autre attitude thérapeutique qui, à cette époque, comportait… la saignée !

De fait, tout amène à considérer que les traitements homéopathiques, dont on peut penser qu’ils se limitent en fait aux excipients de lactose ou saccharose, sont des traitements particulièrement « sans risque ».

Si on les compare à une grande variété de médicaments aujourd’hui utilisés dans la pharmacopée alors qu’ils ont peu ou pas d’efficacité vraiment démontrée, on peut raisonnablement considérer qu’ils constituent même des placebos « idéaux ».

On peut même aller plus loin. Un effet indiscutablement positif de la consultation par un homéopathe est la longue durée de son contact avec le malade, dont on peut penser qu’il est pour beaucoup dans l’effet placebo : ce pourrait être une explication pour qu’il apparaisse comme doté d’un effet placebo particulièrement fort. Car cet effet, s’il est sans doute favorisé par certains rituels (comme la prise d’un granulé) et par les croyances du malade, est incontestablement aussi conditionné par la qualité de la relation médecin-malade, l’écoute du médecin et sa force de persuasion. En cela certains médecins « allopathes » (comme disent les homéopathes) – en particulier spécialistes… – auraient peut-être à améliorer leurs pratiques…

On peut sur ce point relire cette phrase d’Hahnemann : « L’homéothérapie traite (le malade) en le considérant en sa totalité. C’est en fait la Médecine de la personne » [2].

Voici pour le bon côté du traitement.

Voyons maintenant au contraire une conséquence négative, évoquée par Goldacre [5] et sur laquelle a insisté l’EASAC : reconnaître un intérêt à ce traitement qu’on démontre comme n’ayant qu’un effet placebo n’est-ce pas prendre le risque qu’un malade, se contentant pendant quelques jours de granules homéopathiques, mette sa santé en danger en ayant trop tard recours à une thérapeutique potentiellement urgente ?

Que doivent décider les pouvoirs publics ?

Il n’est pas du ressort d’une revue médicale d’interférer avec les pouvoirs publics et les agences officielles pour prendre parti en matière de remboursement des médicaments… Il est cependant possible de lister un certain nombre d’éléments qui pourraient entrer en compte dans ce qui peut aider à une décision difficile.

Le premier est : ce traitement est-il efficace ? C’est-à-dire a-t-il rempli les conditions qui sont exigées aujourd’hui pour prouver son efficacité au point d’engager l’État, via la Sécurité sociale, à le rembourser en tout ou partie ? Si l’on rembourse une molécule qui n’a montré aucun effet supérieur au placebo, alors qu’on est beaucoup plus exigeant pour bien d’autres médicaments « conventionnels », est-ce juste ? N’est-ce-pas difficile à admettre de la part de l’industrie pharmaceutique ? (À noter qu’il existe dans la législation actuelle une tolérance particulière pour les produits homéopathiques.)

Or, on voit bien ici que l’efficacité de cette thérapeutique n’est pas prouvée.

Un deuxième : s’il s’agit uniquement d’un placebo, est-il licite de le rembourser ?

Mais d’un autre côté, on ne peut nier que l’effet placebo puisse être parfois utile, en améliorant certains symptômes de malades qui pourraient prendre inutilement des médicaments provoquant des effets indésirables. Doit-on prendre en compte le fait qu’il s’agit apparemment d’un bon placebo ?

Troisième élément : laisser sur le marché, comme médicament « autorisé », un produit non pharmacologiquement efficace n’est-ce pas tromper le consommateur et risquer un retard de prise en charge pertinente ?

Quatrième élément : peut-on, si l’on ne reconnaît plus l’homéopathie, reconnaître encore et faire rembourser la « consultation homéopathique » ?… Cela semble difficilement soutenable. Et pourtant, elle a montré son intérêt. Cela pourrait être utilement remplacé par un temps prolongé de la consultation médicale classique, à condition que celle-ci soit (enfin) notablement revalorisée…

Cinquième élément : doit-on s’inquiéter du devenir des sociétés (en France, au singulier) produisant les produits homéopathiques ? C’est difficile à admettre si l’on pense au coût de production particulièrement faible de ces produits, et de la longue durée avec laquelle elle(s) a(ont) bénéficié d’un remboursement institutionnel, alors que d’autres sociétés, qui n’ont pas eu cet avantage, et ont dû débourser beaucoup d’argent en recherche, ont été mises en difficulté ou ont disparu…

Il n’est pas impossible que, quelle qu’elle sera, la décision gouvernementale sera critiquée…

Pour la pratique

  • L’évaluation scientifique rigoureuse des traitements homéopathiques selon les principes reconnus par l’EBM est réputée difficile la décision du traitement étant faite « à la carte » (type de granules et leur nombre), après un long temps d’interrogatoire et d’examen, et donc d’échanges très personnalisés avec le patient. Mais cette difficulté pourrait facilement être contournée par l’intervention d’un investigateur neutre sur prescription du médecin ignorant si le patient recevra sa prescription homéopathique ou un granule factice. Voici un moyen qui pourrait faire espérer aux adeptes de l’homéopathie de montrer qu’elle n’est pas qu’un excellent placebo.
  • Un effet indiscutablement positif de la consultation par un homéopathe est la longue durée de son contact avec le malade, dont on peut penser qu’il est pour beaucoup dans cet effet placebo ce qui pose donc la question, non pas tant de l’efficacité de l’homéopathie elle-même mais de la relation médecin/patient qui déborde largement le cadre de l’homéopathie.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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