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Oral Care in Psychiatry : experience of the Psychiatric Hospital of Gers, France. 2. Approach to care and protocols Volume 94, issue 1, Janvier 2018

Figures


  • Figure 1

Tables

Introduction

Les soins d’hygiène corporelle sont définis comme un ensemble d’actes que chaque personne effectue en vue d’assurer son bien-être physique et mental et de préserver l’intégrité de ses téguments. Il est évident que leur place est essentielle dans la prise en charge psychiatrique : le corps est le support de l’identité mais aussi un objet relationnel et la représentation corporelle est souvent perturbée lors de troubles mentaux (autisme, troubles du comportement alimentaire…). Le fait de « prendre soin de son corps » va aider le patient à réhabiliter son schéma corporel. L’hygiène corporelle intéresse tous les organes sensoriels (peau, cheveux, oreilles, yeux, bouche) [1, 2].

L’infirmière contribue, pour tout ou partie, à l’exécution de ces actes en tenant compte des besoins et des habitudes du patient. Depuis la fin du xviiie siècle, ces soins ont toujours fait l’objet de la formation et de la pratique des soignants. Ils ont été reconnus comme actes de soins infirmiers relevant du rôle propre infirmier en 1981 (décret n̊ 81-539 du 12 mai 1981, modifié en 1984 et en 1993) [3-6].

Les soins d’hygiène bucco-dentaire et/ou prothétique occupent une place à part, ils sont considérés comme des soins spécifiques. Ils sont réputés chronophages, techniques, voire complexes, en particulier pour des patients non autonomes (personnes âgées, personnes handicapées). L’accès à la bouche catalyse l’appréhension des soignants [7, 8].

Lors de l’EPP (évaluation des pratiques professionnelles) intitulée « Soins bucco-dentaires en psychiatrie », les équipes du CHS du Gers ont réfléchi à des protocoles d’hygiène bucco-dentaires et prothétiques à partir de l’audit réalisé auprès des équipes soignantes et de l’évaluation du statut oral de patients hospitalisés en unité de longue durée [9]. Cet article propose de présenter les éléments qui ont étayé la réflexion des soignants, puis de détailler chaque protocole.

Réflexion sur l’hygiène orale des patients :

Le premier point a consisté à définir les soins d’hygiène orale : les objectifs du soin, les éléments à prendre en charge, la fréquence du soin. Le deuxième point s’est intéressé au patient lui-même : son handicap (physique et/ou psychique), sa réceptivité pour ce soin, sa coopération durant le soin. Ces deux points essentiels ont permis de proposer une démarche de soin et des protocoles adaptés.

Les soins d’hygiène bucco-dentaire et prothétique

Objectifs

Les soins d’hygiène bucco-dentaire et prothétique consistent à éliminer la plaque bactérienne et les débris alimentaires sur les différents éléments de la cavité buccale (dents, muqueuses, prothèses amovibles) [10-12].

Ils permettent à terme de :

  • prévenir les pathologies inflammatoires et infectieuses dentaires, parodontales et muqueuses ;
  • entretenir les prothèses ;
  • éviter le développement de pathologies infectieuses à distance (pneumopathies, endocardites) ;
  • hydrater les muqueuses ;
  • diminuer l’halitose (mauvaise haleine) ;
  • améliorer les conditions d’alimentation (gustation) ;
  • préserver la relation à autrui, l’image de soi, la dignité.

Fréquence

Les soins d’hygiène doivent être réalisés idéalement après chaque repas (surtout en cas d’hyposialie). En gériatrie, en particulier chez les patients dépendants, la toilette buccale est effectuée une fois par jour et est assurée par les infirmiers ou les aides-soignants.

Ils doivent impérativement être réalisés avant l’application de tout soin spécifique prescrit par un médecin ou un odontologiste (par exemple traitement antifongique ou antiherpétique).

Traçabilité

La traçabilité sur le diagramme de soin est évidente pour un suivi de la santé orale. La répétition quotidienne des soins d’hygiène intensifie leur efficacité, la traçabilité reste le seul moyen d’en vérifier l’application et la fréquence. Dans les institutions, ces soins ne sont pas tracés spécifiquement parce qu’ils sont intégrés à la toilette générale. Pourtant, il n’est pas rare qu’après une toilette compliquée et difficile, l’hygiène orale ne puisse pas être réalisée. Cela doit être noté sur le diagramme de soin : les soins d’hygiène bucco-dentaire peuvent être différés à un autre moment de la journée ou reportés. Les difficultés persistantes, l’opposition systématique du patient peuvent alors motiver la consultation spécialisée d’un chirurgien-dentiste.

Situations cliniques

L’état des lieux établi lors de l’audit préliminaire a permis d’avoir un aperçu de la bouche des patients [9]. Comme pour d’autres populations similaires, décrites dans la littérature [13-20], les patients des deux unités n’ont pas accès à des traitements sophistiqués (prothèses fixes de grande étendue, implants, attachements, orthodontie). Le contexte local à prendre en compte lors des soins se résume aux dents, aux muqueuses, aux prothèses amovibles.

Il est alors possible de décrire quatre situations qui vont orienter le soin (tableau 1).

Le patient en unité de soins psychiatrique

C’est le handicap en rapport avec la pathologie psychiatrique du patient qui est à prendre en compte lors des soins d’hygiène corporelle. Le terme handicap désigne la limitation des possibilités d’interaction d’un individu avec son environnement, causée par une déficience provoquant une incapacité, permanente ou non, menant à un stress et à des difficultés morales, intellectuelles, sociales et/ou physiques [21].

Ainsi, l’altération des capacités mentales, les troubles du comportement (agitation, auto- ou hétéroagressivité), la limitation de la dextérité et de la motricité, les troubles neuromusculaires (dyskinésie, troubles de la déglutition, réflexes nauséeux), les déficits sensoriels (visuel, auditif…) peuvent de premier abord compromettre la réalisation de soins d’hygiène. Deux aspects sont à considérer : l’adhésion du patient aux soins d’hygiène et la coopération du patient pendant les soins. Un patient adhérant aux soins d’hygiène peut être coopérant ou non. Il peut accepter le soin mais ne peut pas réaliser le geste pour des raisons de motricité par exemple. Un patient non adhérant aux soins d’hygiène a souvent peur du soin ; cette peur peut se manifester par des réactions d’opposition, de fuite voire d’agressivité. Un patient non adhérant va être non coopérant. Les soins d’hygiène corporelle des patients qui adhèrent et coopèrent ont besoin d’être encadrés par le soignant. L’audit préliminaire montre que, pour les patients les plus autonomes, les capacités motrices sont très souvent perturbées et les soins d’hygiène bucco-dentaire sont incorrectement réalisés. Le soignant doit superviser le soin et vérifier le déroulement du soin. Il peut éventuellement porter assistance au patient.

Les différentes attitudes des patients face aux soins d’hygiène sont rapportées dans le tableau 2.

Le repérage des patients adhérant et/ou coopérant est un préalable et participe au choix du protocole le mieux adapté à la situation du patient. Il s’agit de mettre le patient et le soignant dans des conditions favorables pour accéder à la cavité buccale et aborder les soins d’hygiène bucco-dentaire efficacement.

Une démarche systématique

Une démarche de soins systématique qui tient compte des profils des patients et du contexte local paraît être la réponse aux difficultés décrites par les équipes lors de l’audit. À partir du modèle de soins de Deborah Orem [6], il est intéressant d’inscrire les soins d’hygiène bucco-dentaire dans une démarche admise et pratiquée par les équipes, basée sur l’observation, l’analyse, la planification, l’intervention [22, 23]. Les protocoles mis en place pour des populations âgées dépendantes, notamment atteints de troubles cognitifs ou en fin de vie et pour des populations avec des handicaps divers ont constitué la base pour établir des protocoles adaptés à la population psychiatrique [10-13]. En effet, des similitudes sont retrouvées dans ces populations : dépendance, troubles cognitifs avec troubles du comportement associés, difficultés d’accès à la cavité buccale, pathologies similaires (édentement de grande étendue, sécheresse buccale, parodontopathies).

Profils des patients et déroulement des soins

Si l’élimination du biofilm et des débris alimentaires au sein de la cavité buccale reste l’objectif principal des soins bucco-dentaires, quel que soit le profil des patients, le déroulement des soins sera différent.

Le tableau 3 rend compte de la démarche que le soignant doit mettre en œuvre en fonction de l’attitude du patient. Cette démarche doit être systématique pour que les soins se déroulent dans de bonnes conditions, elle vise à éviter les situations d’opposition, la perte de temps.

Protocoles de soins

Les protocoles de soins sont issus de protocoles mis en place pour des populations âgées dépendantes [24].

Préalable : stimulation et installation

Le préalable est de connaître le degré d’adhésion du patient aux soins d’hygiène. La stimulation sous forme verbale et non verbale permet d’instaurer un climat favorable. Elle va de la simple invitation à l’aide gestuelle. Les patients adhérant les plus autonomes doivent être guidés et aidés par le soignant qui reste présent tout le temps du soin. Chez les patients non adhérant, il faut éviter une stimulation forcée, contrainte ; il vaut mieux différer le soin, le proposer à un autre moment de la journée (par exemple après le déjeuner, au moment d’un change, après la sieste) et tracer sur le diagramme de soin, le refus du soin.

L’installation du patient et du soignant qui est fonction du degré de coopération du patient pendant le soin est le point clé essentiel pour accéder à la cavité buccale. Elle participe et peut aider à l’adhésion du patient. Une installation adaptée va contribuer à rassurer le patient, à assurer le geste du soignant, à éviter tout geste intempestif. Des paroles rassurantes accompagneront le patient durant tout le soin, elles sont indispensables pour les patients les plus opposants et les plus craintifs.

Deux questions simples :« Le patient peut-il rincer ? Le patient peut-il cracher ? » guident le choix de l’installation. Par exemple, si le patient est limité dans ses mouvements et a besoin d’une aide complète pour la toilette mais s’il peut cracher, s’il peut rincer, il est considéré comme coopérant pour les soins de bouche. À l’inverse, si le patient peut assurer sa toilette corporelle mais s’il présente des troubles majeurs de la déglutition, il est considéré comme non coopérant pour les soins d’hygiène bucco-dentaires. Les patients opposants (mouvements de retrait, agitation, anxiété manifeste) sont considérés comme non coopérants.

Le patient coopérant (capable de rincer, de cracher) est installé en position assise, bouche entrouverte. Le soignant (droitier) est à côté du patient (à sa droite), son bras (gauche) cale la tête du patient et sa main (gauche) soutient la mandibule du patient.

Le patient non coopérant (incapable de rincer, de cracher et/ou présentant des troubles de la déglutition et/ou opposant) est installé en position allongée, latérale de 3/4, tête penchée du côté du soignant, bouche fermée. Le soignant (droitier) est à côté du patient (à sa droite), son bras (gauche) cale la tête du patient et sa main (gauche) soutient la mandibule du patient.

Matériels de soin

Le tableau 4 récapitule le matériel utile pour les soins d’hygiène orale.

Les poils de la brosse à dents doivent être souples (20/100e) et suffisamment longs pour permettre un accès aux zones anatomiques dentaires particulièrement exposées tels que les espaces interdentaires, les collets, les racines et un brossage non agressif des dents et de la gencive marginale. L’utilisation d’un manchon et la possibilité de couder la tête amélioreront l’ergonomie et la maniabilité. La brosse à dents électrique peut aider à systématiser (mouvement rotatif) et donc à améliorer le brossage, les têtes des brossettes sont petites et souples. Elle doit être réservée aux patients dentés en l’absence de toute mobilité dentaire [25].

Par son action détergente et moussante, le dentifrice va aider à éliminer la plaque bactérienne, responsable des caries et des affections des gencives (parodontopathies). Un dentifrice contenant des composés fluorés associés à un antiseptique va protéger efficacement contre les attaques acides, responsables des caries et présenter une action anti inflammatoire et cicatrisante [26, 27]. Il ne doit pas être trop mentholé pour éviter la sensation de brûlure en cas d’hyposialie, ni trop moussant pour faciliter le rinçage.

L’audit préliminaire a montré la prévalence importante de problèmes gingivaux inflammatoires. Il paraît intéressant d’appliquer en cas de saignement un gel à base de 0,2 % de digluconate de chlorhexidine [28]. La chlorhexidine est un antiseptique buccal adapté à la sphère orale. Il est couramment présenté sous forme de bains de bouche [29-31]. Mais en psychiatrie, l’application de gel sans rinçage permet une meilleure observance : impossibilité de garder le bain de bouche quelques minutes, risque d’ingestion, risque de fausse route.

Le bain de bouche à base de BiNa à 1,4 % va diminuer l’acidité buccale et ainsi prévenir l’apparition de mycose.

Le massage des muqueuses apporte un confort et un effet apaisant pour le patient. Chez le patient non coopérant, la compresse avec la pince de Köcher ne sont jamais utilisées en raison des risques iatrogènes si le patient a une réaction intempestive, réflexe, inadaptée. En début de soin, le massage entraîne une détente en douceur de l’articulation, il n’est pas rare que le patient ouvre alors la bouche sans contrainte. L’utilisation de brosses chirurgicales (7 à 15/100e) peut être conseillée en cas de dépôts très adhérents aux muqueuses en cas de xérostomie.

Les prothèses sont des objets inertes et le savon neutre et la brosse à prothèse vont nettoyer efficacement toutes les surfaces des prothèses. Les prothèses sont stockées dans des boîtes à prothèses qui seront brossées et décontaminées régulièrement.

Protocoles de soin

Protocole 1 : patient adhérant coopérant

  • Installer en position assise, bouche entrouverte
  • Stimuler, assisterHygiène des muqueuses
  • Masser l’ensemble des muqueuses à l’aide d’une compresse imbibée d’eau additionnée ou non de bicarbonate de sodium.Hygiène des dents
  • Déposer une pâte dentifrice sur la brosse à dents (manuelle ou électrique).
  • Brosser avec la brosse à dents (manuelle ou électrique) la totalité des arcades dentaires (c’est-à-dire l’ensemble des dents) sur toutes leurs faces (d’avant en arrière, à l’intérieur et à l’extérieur, sur le dessus) par un mouvement de rouleau (des gencives vers les dents).
  • Rincer la bouche à l’eau pour éliminer les résidus.
  • Sécher les lèvres.
  • Évaluer la qualité du soin (repérer les zones non brossées, l’absence de dépôts). Se substituer au patient si nécessaire pour assurer le soin complet.

Protocole 2 : patient adhérant non coopérant

  • Installer en position allongée, latérale de 3/4, tête penchée du côté du soignant, bouche fermée.Hygiène des muqueuses
  • Glisser une compresse imbibée d’eau ou de bain de bouche à base de BiNa sur la face externe des crêtes édentées sans essayer de faire ouvrir la bouche du patient, en s’introduisant par la commissure labiale.
  • Masser l’ensemble des muqueuses.Hygiène des dents
  • Glisser la brosse à dent (manuelle ou électrique) entre les joues et la face externe des dents sans essayer de faire ouvrir la bouche du patient, en s’introduisant par la commissure labiale.
  • Brosser avec la brosse à dent (manuelle ou électrique) la face externe des arcades dentaires (c’est-à-dire l’ensemble des dents) par un mouvement de rouleau (des gencives vers les dents).
  • Aucune pâte dentifrice et aucun bain de bouche ne sont utilisés.
  • Brosser les autres faces (face interne, dessus) des arcades dentaires si le patient desserre les dents.
  • Passer d’une compresse imbibée d’eau sur la face externe des dents ou des crêtes édentées pour récupérer et éliminer les résidus.
  • Sécher les lèvres.

Protocole 3 : patient non adhérant non coopérant

  • Proposer, stimuler.
  • Si adhésion obtenue : application du protocole 2.
  • Si adhésion non obtenue : différer le soin + tracer le refus sur le diagramme de soin.
  • En cas de persistance du refus (plusieurs jours) : demander un avis spécialisé par un chirurgien-dentiste.

Protocole 4 : patient porteur de prothèses amovibles

  • Installer le patientHygiène des prothèses
  • Retirer les prothèses de la cavité buccale du patient.
  • Brosser la prothèse amovible avec la brosse à prothèse et le savon neutre liquide sur toutes leurs faces (à l’intérieur et à l’extérieur, la base et les dents prothétiques).
  • Rincer abondamment la prothèse à l’eau.
  • Ne jamais faire tremper une prothèse sans l’avoir soigneusement brossée. L’utilisation hebdomadaire de comprimés effervescents libérant de l’oxygène naissant apporte un confort au patient (sensation de fraîcheur) mais ne saurait remplacer le brossage des prothèses.

Quel que soit le protocole mis en œuvre, le soin d’hygiène orale quotidien doit être tracé sur le diagramme de soins (indépendamment de la toilette corporelle).

Conclusion

Les soins d’hygiène bucco-dentaire et prothétique ne se résument pas à l’introduction d’une brosse à dents dans la bouche des patients et au trempage des prothèses. Ils font appel à une démarche de soins systématique et adaptée dont les points clés sont le profil des patients (patients adhérents et/ou coopérants), les éléments à prendre en compte (dents, muqueuses, prothèses). Le profil des patients guide sur l’installation du patient et du soignant, les éléments à prendre en compte guident sur le choix du matériel et de la technique (figure 1).

Le déploiement des protocoles sur le CHS du Gers va se poursuivre vers l’ensemble des unités (unités d’admission, maison d’accueil spécialisée).

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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