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Henri Ey (1900-1977) at Sainte-Anne's Hospital Volume 94, issue 1, Janvier 2018

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Sainte-Anne a permis, après l’avoir instruit et formé, l’expression et l’épanouissement d’un enseignant hors pair, Henri Ey (1900-1977), qui devait lui rendre au centuple ce que la vénérable institution lui avait apporté. Il y a exercé une très forte influence par son enseignement hebdomadaire et ses publications en rapport. Dès 1931, alors que la direction de l’hôpital entreprend de réorganiser la bibliothèque médicale fondée en 1867 par le Dr Dagonet, il propose un plan de classification décimale, longtemps en vigueur. C’est en grande partie grâce à lui que la bibliothèque de Sainte-Anne est devenue un merveilleux instrument de travail.

Henri Ey avait créé à Sainte-Anne un cercle d’études psychiatriques qu’il animait toutes les semaines.

Docteur en médecine en 1926, Ey a été chef de clinique des maladies mentales et de l’encéphale à la Faculté de Paris, de 1931 à 1933. Il a eu pour chefs de service Paul Guiraud, Joseph Capgras, Auguste Marie et Henri Claude.

Dès son Internat, Ey s’affirma comme une très forte personnalité dans la fameuse salle de garde aux murs décorés selon la tradition mais avec des velléités surréalistes, par Oscar Dominguez et Delanglade entre autres. Il y trône (à la « petite table ») avec P. Male, J. Lacan, J. Rouart, Le Guillant, P. Mareschal... « Personne ne pouvait contester cette sorte de potestas, cette présence impérieuse qui contraignait choses et gens à changer dès qu’il était là... », dit un de ses contemporains (Robert Preaut). Et, à l’époque, Lacan dont la réputation n’avait pas encore franchi les frontières de la psychiatrie, était dans une posture de « challenger » vis-à-vis de Ey, reconnu dans les années 50 comme « le pape incontesté de la psychiatrie ». Pour Lacan (a expliqué André Green), Sainte-Anne et ses mercredis, Ey et son cercle étaient « un vivier de psychiatres à captiver et à capturer » pour devoir former les cadres de la future École freudienne de Paris, sécessionniste, mais à l’époque beaucoup moins étoffée que la SPP (Société psychanalytique de Paris).

À l’hôpital Sainte-Anne (à Paris), et dès son clinicat, Henri Ey avait pris l’habitude de faire des présentations de malades et des conférences préparatoires au médicat des hôpitaux psychiatriques. Ce furent les fameux « Mercredis de Sainte-Anne ».

Il en dira lui-même à Sainte-Anne, lors d’un premier bilan, en 1960 :

« ...C’est toujours la même voix que j’ai entendue : celle de mon destin. C’est, en effet, comme par une prédestination à laquelle il m’a suffi de m’abandonner que j’entrai un jour de 1923 dans ce sanctuaire de la psychiatrie française : Sainte-Anne ! C’est là que, depuis près de trente ans, j’ai travaillé et médité. C’est dans notre bibliothèque dont vous me permettrez de m’enorgueillir de l’avoir fondée et organisée, que j’ai appris à lire et à déchiffrer la psychiatrie... ».

Le Professeur J. Cathala qui présidait cette réunion2 déclara : « Il y eut les Lundis de Sainte Beuve, les leçons du Mardi de Charcot à la Salpêtrière. Notre temps aura connu les Mercredis d’Henri Ey à Sainte-Anne... ».

André Green racontera, en 1977 : « Le mercredi, au début de l’après-midi, la jeunesse de la psychiatrie se mettait en route. De Vaucluse ou de Ville-Evrard, de Maison blanche ou de Villejuif, souvent de beaucoup plus loin, les pèlerins convergeaient vers la Rome d’alors : Sainte-Anne. Nous avions rendez-vous avec le Maître selon notre cœur... À quatre heures, nous descendions vers l’amphithéatre Magnan où commençait officiellement la cérémonie... D’abord l’examen des malades où nous planchions devant lui pour un médicat hypothétique auquel beaucoup ne se présentèrent jamais. Et puis, débarrassé de ce prétexte, commençait un dialogue libre entre le malade et lui. On voyait alors ressortir au cours de cet entretien ce qu’était Ey... ». Puis ses élèves ont toujours souligné qu’au cours de ces entretiens il était d’une simplicité naturelle stupéfiante, que c’était quasi magique de voir les malades s’exprimer librement et volontiers devant celui qui, quelques minutes auparavant, nous intimidait et ne détestait pas notre vénération, mais qui, avec les malades, se comportait (et était vécu par eux) comme un simple mortel, un semblable bienveillant et compassionnel, leur donnant de discrets signes d’encouragement et de sympathie avec une parfaite humanité... Le sourire avenant alternant avec l’expression grave, le contact direct, le langage simple.« Pas la moindre hauteur magistrale, rien qui aurait pu laisser deviner à son malheureux interlocuteur qu’il était en train de s’entretenir avec celui qui était peut-être le plus grand psychiatre de son temps ». Ey était fondamentalement un praticien, un « homme de l’Art ». Et avec quel art ne traitait-il pas les malades et parlait d’eux ! L’immense œuvre écrite de Ey ne doit pas faire oublier le médecin.

Ey dépassa rapidement les questions du médicat pour risquer des intuitions et des synthèses de haut niveau. Cela aboutit à la publication de trois forts volumes de quelque deux mille pages (Les fameuses Études psychiatriques3), thesaurus clinique inestimable qui fut la bible des étudiants dans les années 50. Soit, résumera Pierre Male en 1960, « une extension progressive d’un enseignement constamment renouvelé et entretenu, ouvert à tous les courants, malgré le choix de sa position organo-dynamique [...] offrant aux nouvelles générations ce qu’ils avaient peu reçu : l’enthousiasme… » Et Jean-Claude Sempé a raison de considérer les Études comme l’aboutissement et le couronnement du travail considérable accompli par Ey depuis le temps où il était interne à Sainte-Anne.

Professeur sans chaire (et « maître sans élèves », ajoutait-il modestement, ce qui est inexact), il assura un enseignement clinique à Sainte-Anne pendant plus de trente ans. Mais au-delà, toutes les générations de psychiatres entre les années 60 et les années 80 se sont formées à partir de son Manuel4

Docteur honoris causa de cinq universités étrangères (Montréal, Barcelone, Lima, Hambourg, Zurich). « Ey ne pensait qu’à la psychiatrie, sans jamais rechercher reconnaissance ni honneurs » dit A. Green ; ni offrir (du fait de sa position de bénévole et d’invité après 1933 et son affectation à l’asile de Bonneval) d’avantages matériels ou d’échanges de services autres que son enseignement. « Pour le népotisme, il valait mieux chercher ailleurs... », commente A. Green.

Mais la quasi prophétie de De Clérambault se réalisait : Ey devenait le Magnan du xxe siècle, exactement dans les mêmes termes, ceux par lesquels Paul Sérieux lui rendait hommage dans les Annales médico-psychologiques en mai 1935 : « si le titre de Professeur lui a manqué, c’est qu’il ne suffisait pas alors, pour l’obtenir, d’une maîtrise incontestée ». Cette consécration officielle, d’autres en furent investis dont l’histoire de la psychiatrie n’a pas retenu les noms. Et quand, à l’étranger, on parlait du « professeur » qui, à Sainte-Anne, enseignait les maladies mentales, aucune équivoque n’était possible. Ey fut ainsi, comme Magnan, pendant près d’un demi-siècle, pour tous, nationaux et étrangers, la principale figure de la psychiatrie française.

On peut avoir aujourd’hui une idée de la richesse de cet enseignement en consultant le bel ouvrage du Crehey sur les Leçons du mercredi sur les délires chroniques et les psychoses paranoïaques (Perpignan, 2010) : composé et commenté à partir des tapuscrits polycopiés5, distribués à l’époque moyennant une modique somme aux élèves, internes, assistants qui préparaient le concours du médicat.

En 1978, C. Koupernik confiait : « Je ne sais pas s’il restera une école d’Henri Ey, mais à voir ce que deviennent les écoles, les empires, les révolutions, les églises et les chapelles, je me demande s’il faut le souhaiter. En revanche, je souhaite que demeure son esprit, c’est-à-dire cette combinaison harmonieuse d’une réflexion sur l’homme et d’une prise en charge thérapeutique. »

Bien sûr Ey, qui était un fin clinicien et un thérapeute de qualité, n’était pas le seul à Sainte-Anne. Mais il apportait de surcroît, avec sa culture encyclopédique (historique, philosophique), une réflexion originale de dimension anthropologique sur « la psychiatrie comme objet de pensée » et comme incitation à la confrontation avec les grands problèmes de la vie.

Il est difficilement supportable, dit encore Charles Durand en 1997, dernier chef de clinique d’Henri Claude à Sainte-Anne et enseignant à Genève, de penser que la plupart des psychiatres de langue française (et d’autres nationalités aussi) pendant trois générations ont profité de son enseignement et de son rayonnement6 pour n’en avoir fait qu’aussi peu de cas dans leurs propres travaux ou transmissions du savoir sans lui rendre l’hommage qui convient.

Il eut toutefois l’estime et la reconnaissance de Jean Delay qui officiellement occupait la chaire « des maladies nerveuses et mentales » comme on disait à l’époque et qui, en 1942, lui dédicace son livre sur Les dissolutions de la mémoire ainsi : « À Henri Ey, en reconnaissance de son bel enseignement. Avec toute mon amitié... ».

Quelques mois après sa mort, le 15 janvier 1978, trois à quatre cents amis et élèves d’Henri Ey entendirent lui rendre hommage dans le lieu même où il les avait si souvent rencontrés et instruits à Sainte-Anne. La cérémonie débuta par une messe, concélébrée par l’aumônier de Sainte-Anne, le curé de Banyuls et le père Courtois (dominicain ami d’Henri Ey). Simone Veil honora de sa présence cette partie de la cérémonie. Elle accompagna ensuite Renée Ey à la bibliothèque (figures 1 et 2), où fut dévoilée la plaque qui donnait à la bibliothèque du centre le nom de celui qui l’avait fait vivre pendant si longtemps. Il en fut, sans le titre, le « conservateur », l’organisateur en particulier de son fichier, qu’il a tenu jusqu’à sa mort7.

Pour aller plus loin

Hommage à H. Ey. Ste-Anne 29 juin. Toulouse : Privat, 1960.

Hommage à H. Ey. L’Évolution psychiatrique et Privat, 8 déc.1978.

A. Green : Conversations avec Macias. Paris : Calmann Lévy, 1994 ; Henri Ey, le Maître. In : Hommage à H. Ey. Toulouse : Privat, 1978.

Palem RM. H. Ey psychiatre et philosophe. Paris : Rive droite, 1997

Collectif. H. Ey, un humaniste catalan dans le siècle et dans l’histoire. Perpignan : Trabucayre éd. Canet, 1997.

Koupernik C. Henri Ey ou la psychiatrie unifiée. Concours médical du 7/1/1978

Brisset C. Le souvenir d’Henri Ey. Psychiatrie française 1978 : 1 : 1978.

Belzeaux P (Rassemblées par). H. Ey : Leçons du mercredi sur les délires chroniques et les psychoses paranoïaques. Crehey, 2010.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.


1 Valentin Magnan (1835-1916), psychiatre et catalan comme H. Ey / psychiatrist and a Catalan like H. Ey / (del Rosellón francés, ndt) lo mismo que H. Ey.

2 Le Pr Cathala était ce médecin non psychiatre, mais grand pédiatre et fort cultivé, qui avait écrit dans la Presse Médicale ce que EY considérait comme la meilleure critique de ses Etudes psychiatriques (1948-1954).

3 Publiées en 3 tomes chez Desclée de Brouwer entre 1948 et 1954, reéditées en 2 tomes par le Crehey/P. Belzeaux à Perpignan en 2006.

4 H.Ey, P. Bernard et Ch Brisset, 1e édition en 1960 chez Masson. Reéd. récente (papier et numérique) grâce au Pr JD. Guelfi en 2010, à partir de la 6e édtion.

5 Sélectionnés par un comité d’experts, en liaison avec l’APFHEY et les ayant- droits du Dr H. Ey (tous droits réservés). La collection complète (hors commerce) a été rassemblée à la bibliothèque de Sainte-Anne à Paris par Nadine Rodary et aux Archives municipales de Perpignan par les Drs Palem, Pasquet et Eppe.

6 Citons les Études psychiatriques (1948-54), l’organisation du 1er Congrès international de psychiatrie en 1950 à Paris ; la rédaction des 3 (puis 6) volumes du Traité de psychiatrie de l’Encyclopédie médico-chirurgicale, en 1955 ; la rédaction du fameux Manuel de psychiatrie, avec P. Bernard et Ch. Brisset en 1960 ; le Livre blanc de la psychiatrie française en 1965, le Traité des hallucinations en 1973.

7 H. Ey avait fait de la bibliothèque de Sainte-Anne le reflet de sa documentation pour les Études psychiatriques par la rédaction de fiches de lecture qu’il a poursuivies d’un bout à l’autre de sa vie. De Banyuls (entre 1970 et 77), il acheminait encore ses fiches à Mme Girard par l’intermédiaire de ses visiteurs parisiens.

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