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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Supplémentation nutritionnelle et prévention du cancer Volume 10, issue 6, Novembre 2003

Author
  • Page(s) : 472-4
  • Published in: 2003

Auteur(s) : Thierry Piche

Gionchetti P, Rizzello F, Helwig U, Venturi A, Lammers KM, Brigidi P, et al. Prophylaxis of pouchitis onset with probiotic therapy : a double blind, placebo-controlled trial. Gastroenterology 2003 ; 124 : 1202-9.

La colectomie totale avec confection d'un réservoir iléo-anal est la technique chirurgicale de choix dans la rectocolite hémorragique quand le traitement médical devient inefficace ou que le risque de cancer du côlon est majeur. La pouchite est une complication inflammatoire du réservoir iléal qui survient dans environ 10 à 20 % des cas. L'incidence précise de cette pathologie varie largement en fonction de la durée du suivi des malades inclus dans les études et de la variabilité des critères utilisés pour porter le diagnostic de certitude.
De nombreuses données suggèrent que la microflore joue un rôle important dans la pathogénie des maladies inflammatoires du tube digestif (MICI). Les colites spontanées, que l'on peut observer chez certaines lignées de souris transgéniques, sont prévenues quand la flore digestive de ces animaux est détruite. Certains auteurs ont observé une amélioration des colites expérimentales après diversion du contenu luminal et une aggravation lors de la remise en continuité. Les probiotiques sont des micro-organismes (bactéries ou levures) qui, ingérés vivants, sont capables d'exercer des effets bénéfiques sur l'hôte par une action sur l'écosystème intestinal. Un probiotique doit remplir les conditions suivantes : ne pas avoir de caractère pathogène, apporter un nombre important d'organismes viables, résister aux sécrétions gastriques, biliaires et pancréatiques pour rester vivant au niveau de l'intestin grêle et du côlon, exercer un effet bénéfique sur l'hôte [1].
Récemment, Madsen et al. [2] ont montré que des lésions inflammatoires causées par certains composants bactériens étaient atténuées par d'autres organismes, suggérant l'intérêt des probiotiques dans les MICI. Ces auteurs ont étudié des souris déficientes en interleukine10 (IL10) qui développent spontanément des ulcérations coliques identiques à celles que l'on observe au cours de la maladie de Crohn. Dans ce travail, une modification de la microflore était notée 2 semaines avant l'apparition de la colite, associée à une augmentation des phénomènes d'adhérence et de translocation bactérienne. Les concentrations intraluminales de lactobacilles étaient réduites de manière significative et évoluaient parallèlement aux lésions digestives. Dans ce modèle, l'administration intrarectale préalable de lactobacilles prévenait l'apparition de la colite. D'autres auteurs ont obtenu des résultats similaires en modulant indirectement les concentrations de lactobacilles après ingestion de lactulose, un prébiotique capable de stimuler le développement de bactéries probiotiques dans le côlon.
Dans la pouchite, une prolifération anormale de bactéries et une réduction des concentrations endogènes de Lactobacillus et de Bifidobacteria seraient à l'origine des phénomènes inflammatoires constatés sur le réservoir. L'intervention des bactéries luminales dans le développement de la pouchite est d'ailleurs attestée par l'efficacité de certains antibiotiques [3]. Gionchetti et al. [4] ont récemment étudié l'efficacité d'un mélange de 8 probiotiques chez 40 malades dont la pouchite était réfractaire aux autres traitements. B. longum, B. infantis, B. brevis, L. acidophilus, L. casei, L. delbrueckii subs. Bulgaricus, L. plantarum et S. salivarius subs. Thermophilus étaient administrés pendant 6 mois après la mise en rémission de la pouchite obtenue par des antibiotiques. Dans ce travail, 85 % des malades du groupe probiotiques étaient asymptomatiques alors que tous les malades traités par le placebo récidivaient.
Dans la présente étude, les mêmes auteurs ont évalué contre placebo l'efficacité de l'association de probiotiques VSL#3 pour prévenir la survenue d'une pouchite au cours de la première année après la remise en continuité du réservoir iléal chez des malades opérés pour rectocolite hémorragique. Quarante malades consécutifs recevaient soit l'association VSL#3 (n = 20, 1 sachet de 900 milliards de bactéries par jour), soit le placebo immédiatement après la remise en continuité du réservoir iléal. Le traitement était administré pendant un an. Le diagnostic de pouchite était porté selon les critères de Sandborn et al. (Pouchitis Disease Activity Index) établis à partir de données cliniques, endoscopiques et histologiques, ce qui a permis de s'affranchir des problèmes méthodologiques des études antérieures [5]. Dans cette échelle qui comporte 18 points, on considère qu'une pouchite est active si le score est supérieur à 7. Selon ces critères objectifs, 10 % des malades traités par l'association VSL#3 développaient une pouchite contre 40 % dans le groupe placebo (p < 0,05). Les scores de qualité de vie étaient également significativement améliorés chez les malades traités par les probiotiques. Chez ceux qui ne développaient pas de pouchite, le nombre d'émissions de selles était significativement moins important chez les sujets traités par les probiotiques.
Bien que le mécanisme d'action des probiotiques soit encore largement méconnu au cours des MICI, des travaux récents ont montré que l'association VSL#3 augmentait les concentrations tissulaires d'IL10, une cytokine anti-inflammatoire, et réduisait significativement les taux de molécules pro-inflammatoires comme le TNFα et l'interféron γ tout en normalisant la fonction barrière de l'épithélium colique [6].
Finalement, la portée de cette étude ne se limite pas seulement à l'efficacité de l'association VSL#3 pour prévenir les pouchites mais doit être replacée dans le contexte général du rôle bénéfique des probiotiques au cours des MICI.

Références

1. Collins MD, Gibson GR. Probiotics, prebiotics and symbiotics : approaches for modulating the microbial ecology of the gut. Am J Clin Nutr 1999 ; 69 : S1052-7.

2. Madsen KL, Doyle JS, Jewell LD, Tavernini MM, Fedorak RN. Lactobacillus species prevents colitis in interleukin 10 gene deficient mice. Gastroenterology 1999 ; 116 : 1107-14.

3. Madden M, McIntyre A, Nicholls RJ. Double blind cross-over trial of metronidazole versus placebo in chronic unremitting pouchitis. Dig Dis Sci 1994 ; 39 : 1193-6.

4. Gionchetti P, Rizello F, Venturi A, Brigidi P, Matteuzzi D, Bazzocchi G, et al. Oral bacteriotherapy as maintenance treatment in patients with chronic pouchitis : a double blind, placebo-controlled trial. Gastroenterology 2000 ; 119 : 305-9.

5. Sandborn WJ, Tremaine WJ, Batts KP, Pemberton JH, Phillips SF. Pouchitis after ileal pouch-anal anastomosis : a pouchitis disease activity index. Mayo Clin Proc 1994 ; 69 : 409-15.

6. Madsen K, Cornish A, Soper P, McKaigney C, Jigon H, Yachimec C, et al. Probiotic bacteria enhance murine and human intestinal epithelial barrier function. Gastroenterology 2001 ; 121 : 580-91.

 

Bingham SA, Day NE, Luben R, Ferrari P, Slimani N, Norat T, et al. Dietary fibre in food and protection against colorectal cancer in the European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC) : an observation study. Lancet 2003 ; 361 : 1496-501.

Chez l'homme, le rôle protecteur des fibres alimentaires dans la cancérogenèse colique est débattu depuis longtemps. Les résultats issus de larges études prospectives menées aux États-Unis ou en Europe ne sont pas concluants [1-3]. Des études d'interventions n'ont pas pu dégager le bénéfice des fibres alimentaires sur le taux de récidive des polypes adénomateux [4]. Il a également été montré que le taux de mortalité par cancer colorectal de sujets végétariens n'était pas différent comparé à celui des sujets non végétariens. Malgré ces études négatives, la valeur des données épidémiologiques et expérimentales suggère que le risque de cancer colique pourrait baisser si la consommation de fibres augmentait significativement. La plupart des études prospectives ont été effectuées dans des populations ayant des comportements alimentaires plus ou moins homogènes, si bien que le risque d'erreur statistique a toujours été mis en avant pour expliquer les résultats décevants de ces séries. Dans ce large essai européen, cette erreur de méthodologie a été contrôlée en étudiant des populations ayant des habitudes alimentaires très variées.
Cette étude multicentrique a évalué de manière prospective l'association entre la consommation de fibres et l'incidence du cancer colorectal chez 519 978 sujets âgés de 25 à 70 ans issus de 10 pays européens. Les sujets devaient remplir un questionnaire alimentaire entre 1992 et 1998 et étaient suivis pour déterminer l'incidence du cancer colique. Le suivi a concerné 1 939 011 sujets par an et 1 065 cancers du côlon ont été inclus dans l'analyse. La consommation de fibres était inversement associée au cancer du côlon (RR ajusté = 0,75 ; 95% IC = 0,59-0,95 pour la consommation en fibres la plus élevée versus la moins importante). Le rôle protecteur n'était pas différent d'une catégorie de fibres à une autre. L'effet protecteur était significativement plus élevé pour le côlon droit et moins important pour le rectum. Finalement, les auteurs estiment que, dans une population ayant un apport en fibres peu important, le doublement de cette consommation entraînerait une réduction du risque de cancer du côlon de 40 %.

Références

1. Fuchs CS, Giovannucci E, Colditz GA, Hunter DJ, Stampfer MJ, Rosner B, et al. Dietary fiber and the risk of colorectal cancer and adenoma in women. N Engl J Med 1999 ; 340 : 169-76.

2. Terry P, Giovannucci E, Michels KB, Bergkvist L, Hansen H, Holmberg L, et al. Fruits, vegetables, dietary fiber, and risk of colorectal cancer. J Natl Cancer Inst 2001 ; 93 : 525-33.

3. Pietinen P, Malila N, Virtanen M, Hartman TJ, Tangrea JA, Albanes D, et al. Diet and the risk of colorectal cancer in a cohort of Finnish men. Cancer Causes Control 1999 ; 10 : 387-96.

4. Alberts DS, Martinez ME, Roe DJ, Guillem-Rodriguez JM, Marshall JR, vanLeuveen JB, et al. Lack of effect of a high fiber cereal supplement on the recurrence of colorectal adenomas. N Engl J Med 2000 ; 342 : 1156-62.

 

Marchesini G, Bianchi G, Merli M, Amodio P, Panella C, Loguercio C, et al. Nutritionnal supplementation with branched-chain amino acids in advanced cirrhosis : a double-blind, randomized trial.Gastroenterology 2003 ; 124 : 1792-801.

La malnutrition protéino-énergétique et les carences en vitamines et oligo-éléments sont des complications fréquentes observées au cours des hépatopathies à un stade avancé, qu'elles soient d'origine alcoolique ou non. Il est bien établi que la dénutrition au cours de la cirrhose est associée à une augmentation du taux de complications et de la mortalité. Chez le cirrhotique, la compensation des pertes protéiques est souvent freinée par la survenue ou l'aggravation de l'encéphalopathie et par l'anorexie qui est associée directement à l'hépatopathie ou au régime désodé.
L'administration d'acides aminés branchés (AAB) a été proposée pour augmenter l'apport protéique au cours de la cirrhose. Le bénéfice des AAB repose sur l'absence d'effet délétère en cas d'encéphalopathie [1] et l'amélioration de l'anorexie associée à l'insuffisance hépatique [2]. Leur administration au cours de la cirrhose a donné lieu à de nombreuses études aux résultats contradictoires. Des différences importantes dans la méthodologie de ces travaux, et en particulier des groupes témoins, ont rendu toute tentative de méta-analyse impossible. Le but de cette étude randomisée en double aveugle était de déterminer l'intérêt de la supplémentation prolongée en AAB, chez des malades porteurs d'une cirrhose évoluée. Le traitement par AAB était administré sous la forme de sachets de 10 g contenant 2,4 g d'AAB : 1,2 g L-leucine, 0,6 g L-isoleucine, 0,6 g L-valine et 5,7 g de saccharose. Chaque sachet apportait 37,5 kcal. Les autres traitements apportaient la même quantité de calories et de protéines. Dans ce travail multicentrique, 174 malades porteurs d'une cirrhose évoluée étaient randomisés pour recevoir soit les AAB, soit la lactoalbumine ou des maltodextrines. Les critères principaux étaient la survenue de décès et le nombre d'hospitalisations et leur durée. Les critères secondaires étaient des paramètres nutritionnels, le score de Child-Pugh, l'anorexie, et des scores de qualité de vie. Le traitement par AAB réduisait significativement la mortalité comparé au traitement par lactoalbumine (OR = 0,43 ; IC 95% = 0,19-0,96 ; p = 0,039) et non significativement comparé au traitement par maltodextrine. La fréquence des hospitalisations était réduite dans le groupe traité par AAB comparé aux deux autres traitements. Le nombre de sujets perdus de vue était plus important dans le groupe AAB (15 %) que dans les deux autres bras, certainement à cause de la mauvaise palatabilité des AAB. Malgré tout, chez les malades traités par AAB qui étaient suivis un an, une amélioration significative des paramètres nutritionnels, de la qualité de vie, des fonctions hépatiques et de l'anorexie était observée.
Cette étude montre, après une vingtaine d'années de controverses, qu'une supplémentation orale prolongée en AAB est efficace au cours de la cirrhose. La mise au point de nouvelles formules d'AAB devrait facilement permettre de s'affranchir de l'inobservance importante qui a été constatée dans ce travail.

Références

1. Plauth M, Merli M, Kondrup J, Weiman A, Ferenci P, Muller MJ. ESPEN guidelines for nutrition in liver disease and transplantation. Clin Nutr 1997 ; 16 : 43-55.

2. Davidson HI, Richardson R, Sutherland D, Garden QJ. Macronutrient preference, dietary intake, and substrate oxidation among stable cirrhotic patients. Hepatology 1999 ; 29 : 1380-6.