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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Acid secretion: regulation, clinical applications, news Volume 25, issue 4, Avril 2018

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Introduction

L’étude de la sécrétion acide a été historiquement le fondement de la gastroentérologie. Un excès de sécrétion acide était considéré comme responsable de la maladie ulcéreuse. Les premiers traitements médicamenteux causaient beaucoup d’effets secondaires et étaient peu efficaces. Les traitements disponibles avant les années 1970 étaient les alcalins, la vagotomie, la chirurgie de résection en dernier recours. Une résection chirurgicale trop faible était associée à une récidive ulcéreuse alors qu’une résection trop étendue était associée à des complications nutritionnelles.

En 1972, la cimétidine, antagoniste H2, a été découverte par Sir James Black (prix Nobel 1988) et a montré sa supériorité par rapport à tous les autres traitements en termes d’inhibition de la sécrétion acide. Plus récemment, la découverte de la pompe à protons des cellules pariétales H+K+ATPase et du lien de causalité entre infection à H. pylori (Hp) et ulcère gastroduodénal (également prix Nobel en 2005) ont révolutionné la compréhension et le traitement de la maladie ulcéreuse. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont les traitements les plus efficaces pour réduire l’acidité gastrique et les plus fréquemment prescrits à travers le monde. L’éradication d’Hp par des antibiotiques a permis de guérir définitivement la plupart des ulcères. Avec le temps, la prévalence des ulcères Hp+ a diminué en raison de règles d’hygiène et de l’éradication, avec une part relative des ulcères liés aux AINS et Hp– en augmentation.

La cimétidine et les inhibiteurs de la pompe à protons ont représenté une révolution thérapeutique

L’acidité gastrique tue la majorité des micro-organismes parvenant dans la cavité gastrique, module la composition du microbiote intestinal, facilite la digestion des protéines, l’absorption du fer non héminique, du calcium et de la vitamine B12 [1]. Compte tenu de ces nombreuses fonctions, des préoccupations concernant les effets secondaires des anti-acides ont vu le jour ces dernières années. La qualité des preuves reste cependant très faible.

Cette revue a pour but de souligner à nouveau l’importance de la sécrétion acide et de sa régulation, les interrogations concernant la sécurité sur le long terme des anti-acides et les pistes thérapeutiques futures.

Anatomie fonctionnelle gastrique

Anatomie muqueuse

L’estomac est divisé en trois régions topographiques : fundus, corps et antre. L’épithélium de surface et celui des cryptes est le même dans tout l’estomac ; les glandes gastriques sont différentes en fonction du type de muqueuse et permettent de distinguer deux régions fonctionnelles [2] : la région des glandes oxyntiques (ou fundiques) et celle des glandes pyloriques (figure 1).

La muqueuse de type fundique est située dans le fundus et le corps de l’estomac, et concerne 80 % de la surface gastrique. Les glandes fundiques sont droites et composées de cellules pariétales (sécrétion d’acide chlorhydrique et de facteur intrinsèque), appelées aussi cellules bordantes ou oxyntiques, localisées entre le milieu et le fond des glandes, de cellules principales (sécrétion de pepsinogène et de leptine) localisées à la base des glandes et de cellules neuroendocrines produisant de l’histamine (cellules entérochromaffines-like (ECL)), du peptide natriurétique atrial (ANP) et de la sérotonine (cellules entérochromaffines EC), de la somatostatine et de l’amyline (cellules D), de la ghréline et de l’obéstatine (A-like ou Gr cells).

Les cellules D présentent des prolongements cytoplasmiques au contact des cellules pariétales et des cellules ECL. Ainsi, via la sécrétion de somatostatine, ces cellules exercent une inhibition paracrine sur la sécrétion acide, directement sur les cellules pariétales et indirectement en inhibant la sécrétion d’histamine [3].

La muqueuse de type pylorique se situe dans l’antre. Les glandes pyloriques sont contournées et constituées principalement de cellules mucosécrétantes, de cellules neuroendocrines à gastrine (cellules G) et de quelques autres cellules neuroendocrines (cellules EC, cellules D, cellules Gr, cellules endocrines sécrétant l’orexine). Les cellules D présentes dans la muqueuse de type pylorique inhibent de façon paracrine la sécrétion de gastrine par les cellules G.

Les cellules D, qui produisent de la somatostatine dans l’antre et le fundus, inhibe la sécrétion acide en agissant sur tous les effecteurs : cellules G, cellules ECL, et cellules pariétales.

La gastrine se lie aux récepteurs de la cholécystokinine 2 (CCK2R) sur les cellules ECL. L’histamine libérée par les cellules ECL se lie au récepteur à l’histamine H2 (H2R) sur les cellules pariétales, stimulant ainsi la sécrétion acide.

Les cellules D, qui produisent de la somatostatine dans l’antre et le fundus, inhibent la sécrétion acide en agissant sur tous les effecteurs : cellules G, cellules ECL, et cellules pariétales

Neuro-anatomie

Le système nerveux entérique (SNE) innerve l’estomac, et comporte des neurones intrinsèques ainsi que des afférences et des efférences extrinsèques. Chez l’humain, la plupart des neurones intrinsèques proviennent du plexus sous-muqueux.

Le nerf vague comporte environ 80 % de fibres afférentes et 20 % de fibres efférentes [4]. Les fibres efférentes sont pré-ganglionnaires et n’innervent pas directement les cellules pariétales ou les cellules neuroendocrines mais sont connectées aux neurones post-ganglionnaires du SNE.

Les fibres vagales efférentes se connectent aux neurones gastriques intramuraux à ACh (cholinergiques), GRP, VIP et PACAP (figures 2 et 3).

Les neurones post-ganglionnaires intramuraux produisent plusieurs neurotransmetteurs dont l’acétylcholine (ACh), le peptide libérant la gastrine (GRP), le polypeptide intestinal vasoactif (VIP), le polypeptide activant l’adénylate cyclase hypohysaire (PACAP), l’oxide nitrique et la substance P. Ces neurones régulent la sécrétion acide directement, par exemple pour l’ACh, et/ou indirectement en modulant la sécrétion de gastrine par les cellules G, de somatostatine par les cellules D, d’histamine par les cellules ECL et d’ANP par les cellules EC [5].

Dans le fundus, les neurones à ACh stimulent la sécrétion d’acide directement via les récepteurs M3 sur la cellule pariétale et indirectement en inhibant la sécrétion de somatostatine (SST). Cette dernière inhibition emprunte une voie paracrine au travers de la libération d’histamine par les cellules ECL qui en se fixant sur les récepteurs H3 des cellules D inhibe la sécrétion de SST. Ce mécanisme amplifie la diminution de la sécrétion de SST induite par les stimuli cholinergiques et accroît ainsi la sécrétion d’acide.

Dans l’antre, les neurones à ACh stimulent la sécrétion de gastrine directement et indirectement en inhibant la sécrétion de SST. Cette inhibition s’effectue par une voie paracrine avec un effet direct sur la cellule D et un effet indirect médié par l’inhibition de la sécrétion de l’ANP par les cellules ECL.

Les neurones GRP, activés par le contenu protéique intraluminal, stimulent également la sécrétion de gastrine.

Les neurones VIP, activés par la distension gastrique, stimulent la sécrétion de SST.

Les neurones PACAP stimulent indirectement la sécrétion de SST via la libération d’ANP.

La présence d’acide dans la lumière gastrique s’accompagne d’une rétrodiffusion des ions H+ dans la muqueuse qui stimule les neurones sensoriels extrinsèques. Ces neurones libèrent le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) qui restaure par voie paracrine la sécrétion de SST par les cellules D à la fois dans le fundus et dans l’antre. L’infection aiguë à H. pylori active également les neurones CGRP pour stimuler la sécrétion de SST. En revanche, chez les patients atteints d’ulcère duodénal avec infection chronique à H. pylori, la bactérie ou les cytokines inflammatoires inhibent la sécrétion de SST.

Le système nerveux entérique est impliqué dans la régulation de la sécrétion acide

Régulation de la sécrétion acide

L’acidité gastrique joue plusieurs rôles physiologiques. Cependant, une sécrétion acide trop importante par rapport aux capacités de protection de la muqueuse digestive peut induire des manifestations ulcéreuses. Un mécanisme de régulation fine est donc nécessaire. Une action coordonnée de réseaux neuronaux, hormonaux et paracrines permet cette régulation. Ces réseaux peuvent être activés directement par des stimuli provenant du système nerveux central ou par réflexe via des stimuli provenant de l’estomac lui-même comme la distension, le contenu protéique et l’acidité.

Les principaux stimulants de la sécrétion acide sont l’histamine (régulation paracrine), la gastrine (hormonale) l’ACh (neuroendocrine). Le principal inhibiteur de la sécrétion acide est la somatostatine. Tous ces agents agissent directement sur les cellules pariétales mais aussi indirectement en modulant la sécrétion des cellules neuroendocrines (figure 2).

Les principaux stimulants de la sécrétion acide sont l’histamine, la gastrine et l’acétylcholine. Le principal inhibiteur est la somatostatine

Histamine

L’histamine, produite par les cellules ECL, stimule directement les cellules pariétales, en se liant à son récepteur H2, via une activation de l’adénylate cyclase et la génération d’AMPc, activant ainsi l’H+K+ATPase. L’histamine stimule également indirectement la sécrétion acide en se fixant au récepteur H3 des cellules D qui inhibe la sécrétion de la somatostatine.

Gastrine

La gastrine, le principal stimulant de la sécrétion acide durant l’ingestion d’aliments, est produite non seulement par les cellules G mais aussi en quantité moindre par l’intestin grêle proximal, le colon et le pancréas. Les cellules G expriment un récepteur sensible aux peptides intraluminaux, à l’élévation du pH, au Ca2+ et au Mg2+, qui va déclencher la sécrétion de gastrine [6].

L’activation par la gastrine des CCK2R présents sur les cellules ECL entraîne une libération d’histamine qui est considérée comme le mécanisme principal par lequel la gastrine stimule la sécrétion acide. Il existe également des CCK2R sur les cellules pariétales, même s’il n’est pas certain que l’activation de ces récepteurs participe à la stimulation de la sécrétion acide.

La stimulation de la sécrétion acide par la gastrine passe principalement par l’activation des cellules ECL qui entraîne une libération d’histamine

Deux boucles de rétrocontrôle régulent la sécrétion de gastrine. Quand le pH intragastrique baisse, les neurones CGRP sont activés et stimulent la sécrétion de somatostatine via un mécanisme axonal, ce qui inhibe la sécrétion de gastrine. Inversement, l’augmentation de pH inhibe la sécrétion de somatostatine, ce qui provoque une hypergastrinémie. Une deuxième boucle fait intervenir un mécanisme paracrine : la gastrine stimule localement la production de somatostatine, diminuant ainsi sa propre sécrétion (figure 3).

Quand le pH intragastrique baisse, les neurones sensoriels extrinsèques CGRP sont activés et stimulent la sécrétion de somatostatine via un mécanisme axonal, ce qui inhibe la sécrétion de gastrine

La gastrine agit également comme une hormone trophique. Elle induit la prolifération des cellules ECL et des cellules pariétales directement et indirectement par des mécanismes autocrines et paracrines, stimule la migration cellulaire, l’angiogenèse, inhibe l’apoptose et active l’autophagie.

Acétylcholine

Dans le fundus et le corps gastrique, l’ACh, sécrétée par les neurones cholinergiques, stimule directement la sécrétion acide des cellules pariétales via leurs récepteurs muscariniques de sous-type M3 et indirectement en éliminant l’effet inhibiteur de la somatostatine sur les cellules pariétales et les cellules ECL.

Dans l’antre, les neurones cholinergiques stimulent la sécrétion de gastrine directement et indirectement via l’inhibition de la sécrétion de somatostatine, en activant les récepteurs M2 et M4 présents à la surface des cellules D.

L’acétylcholine sécrétée par les neurones cholinergiques stimule directement la sécrétion acide des cellules pariétales via leurs récepteurs muscariniques dans le fundus et indirectement en éliminant l’effet inhibiteur de la somatostatine sur les cellules pariétales et les cellules ECL dans le fundus et sur les cellules G dans l’antre

Somatostatine

La somatostatine est le principal inhibiteur de la sécrétion acide. La somatostatine inhibe directement et indirectement la sécrétion acide par les cellules pariétales, la libération d’histamine par les cellules ECL et la sécrétion de gastrine par les cellules G.

La somatostatine est le principal inhibiteur de la sécrétion acide

H+K+ATPase

La sécrétion acide par les cellules pariétales est stimulée par la génération d’AMPc intracellulaire et des mécanismes de signalisation calcium dépendant qui, par activation des protéines kinases, permettent la fusion et l’activation de la H+K+ATPase, c’est-à-dire la pompe à protons. Cette enzyme, constituée de deux sous-unités, catalyse l’échange d’un ion K+ luminal contre un ion H+ cytoplasmique, diminuant ainsi le pH luminal.

La pompe à protons est l’unité fonctionnelle qui permet l’acidification de la lumière gastrique

L’H+K+ATPase en tant qu’antigène est associé à plusieurs maladies de la muqueuse gastrique. La gastrite auto-immune est une maladie inflammatoire de la muqueuse fundique associée à la présence d’anticorps anti-cellules pariétales dirigés contre la H+K+ATPase, entraînant une perte substantielle de cellules pariétales. L’H+K+ATPase est un autoantigène majeur dans un sous-groupe de patients infectés par Hp, et ces anticorps semblent jouer un rôle dans le développement d’une gastrite atrophique, probablement par mimétisme moléculaire entre le lipopolysaccharide de H. pylori et l’H+K+ATPase [7].

Réponse intégrée à un repas

Les stimuli qui proviennent de l’extérieur et de l’intérieur de l’estomac convergent vers les neurones gastriques efférents qui sont les principaux régulateurs de la sécrétion acide. Les neurones effecteurs comportent les neurones cholinergiques et trois types de neurones non cholinergiques : les neurones GRP, VIP et PACAP. Ces neurones agissent directement sur leur cellules cibles et indirectement en régulant la libération de la gastrine, de l’histamine, de la somatostatine et de l’ANP.

À l’état basal, la sécrétion acide est maintenue à un niveau bas, économe en énergie, par l’action inhibitrice continue exercée par la somatostatine sur les cellules G, ECL et pariétales. Pendant les repas, la sécrétion maximale est permise par l’arrêt de l’influence inhibitrice de la somatostatine, avec en même temps une stimulation directe de la sécrétion acide et de la sécrétion de gastrine. Cela est permis principalement par l’activation des neurones cholinergiques. L’anticipation d’un repas active les neurones centraux dont le signal est relayé par le nerf vague jusqu’aux neurones cholinergiques intramuraux (figure 3).

Les neurones gastriques efférents sont les principaux régulateurs de la sécrétion acide

Au fur et à mesure que le bol alimentaire remplit l’estomac, plusieurs mécanismes paracrines et neuronaux sont activés pour restaurer l’influence inhibitrice de la somatostatine et ainsi restreindre la sécrétion acide.

Applications pratiques

Inhibiteurs de la pompe à protons

Les IPP, constitués de deux hétérocycliques connectés par un groupe méthylsulfinyle, peuvent traverser les membranes cellulaires dans leur forme déprotonée mais ne le peuvent plus dans leur forme protonée. Par conséquent, s’ils peuvent circuler dans le sang et diffuser à travers la plupart des cellules de l’organisme, ils s’accumulent dans les espaces acides ou le pH est inférieur à 4. Dans les canaux excréteurs de la cellule pariétale, ils sont protonés à 99,9 % et piégés. Ils se lient ensuite à la H+K+ATPase en formant un pont disulfure avec les cystéines de la sous-unité alpha exposée dans la lumière digestive.

L’efficacité des IPP étant diminuée lorsqu’ils sont administrés à l’état basal ou quand la sécrétion acide est inhibée, et la H+K+ATPase étant préférentiellement exposée lors du petit déjeuner, il est recommandé de prendre les IPP une demi-heure à une heure avant le premier repas, pour que le pic sérique corresponde à l’acidité gastrique maximale. Une dose additionnelle peut être prise avant le dîner en cas de besoin. Il est à noter que 75 % des médecins généralistes et 20 % des gastroentérologues prescrivent les IPP de manière sub-optimale, soit au coucher soit indépendamment des repas, cela étant la cause la plus fréquente d’échec des IPP [8].

Il est recommandé de prendre les IPP une demi-heure à une heure avant le premier repas, pour que le pic sérique corresponde à l’acidité gastrique maximale

Perturbations de la sécrétion acide induites par H. pylori

Hp peut causer entre autres une gastrite aiguë, une gastrite chronique, des ulcérations gastroduodénales et des cancers gastriques. La survie de H. pylori et la colonisation de la muqueuse gastrique sont facilitées par une augmentation du pH. Indépendamment de l’hôte, H. pylori possède un appareil enzymatique qui lui permet d’alcaliniser son micro-environnement (uréase). H. pylori a également la capacité de moduler la sécrétion acide, par des mécanismes directs et indirects. L’infection aiguë cause une hypochlorhydrie, alors que l’infection chronique peut causer soit une hypo- soit une hyperchlorhydrie.

L’infection à H. pylori module la sécrétion acide

H. pylori inhibe directement l’expression du gène de la sous-unité alpha de la H+K+ATPase au niveau des cellules pariétales et inhibe indirectement leur fonction en modifiant leur environnement cytokinique, hormonal, paracrine et neuronal [2].

L’infection chronique à H. pylori peut être associée soit à une augmentation soit à une diminution de la sécrétion acide, en fonction de la sévérité et de la distribution de la gastrite.

La plupart des patients infectés de façon chronique par H. pylori développent une pangastrite et l’effet inhibiteur de la sécrétion acide sur les cellules pariétales prédomine. Chez ces patients le débit acide est diminué. Ainsi, il est suggéré que H. pylori pourrait être protecteur contre le reflux gastro-œsophagien (RGO), l’endobrachyœsophage et l’adénocarcinome œsophagien et augmenter l’effet antisécrétoire des IPP. Inversement, un rebond d’hyperacidité peut survenir après éradication quand les IPP sont arrêtés, et causer des symptômes de reflux.

Avec le temps, l’inflammation provoque la destruction des glandes oxyntiques avec perte des cellules pariétales causant une achlorhydrie non réversible.

Chez 10 à 15 % des patients infectés de façon chronique par H. pylori, on trouve une inflammation prédominant dans l’antre. Ces patients, prédisposés à l’ulcère duodénal, produisent des quantités augmentées d’acide en résultat de la diminution de la sécrétion en somatostatine antrale et d’une sécrétion de gastrine majorée. Les cytokines inflammatoires ont en effet une action inhibitrice sur la production de somatostatine par les cellules D de l’antre.

Ulcère duodénal

Les patients atteints d’ulcère duodénal (UD) ont une production d’acide augmentée, ce qui explique que le contrôle de l’acidité ait toujours été central dans leur prise en charge. Les premiers antiacides devaient être administrés fréquemment conduisant à une compliance faible et des effets secondaires. Les traitements anti-cholinergiques ont été utilisés pour retarder la vidange gastrique et ainsi prolonger les effets locaux des anti-acides. Les anti-acides pouvaient au mieux accélérer la cicatrisation des ulcères, mais comme ils ne traitaient pas la maladie ulcéreuse, les récidives et les complications étaient fréquentes. Ces problèmes étaient du ressort de la chirurgie, dont le but était de réduire la sécrétion acide. Au minimum, une vagotomie était pratiquée, afin de dénerver la région gastrique productrice d’acide, en même temps qu’une procédure de drainage (pyloroplastie ou gastroentérostomie). Les situations les plus sévères nécessitaient une vagotomie combinée à une antrectomie, afin de retirer la zone productrice de gastrine. La chirurgie de dernier recours était la résection gastrique subtotale. Malheureusement, l’UD récidivait dans 1 à 10 % des cas, et les complications chirurgicales étaient fréquentes (stase gastrique, carences nutritionnelles, gastrite liée au reflux biliaire, œsophagite, résection incomplète de cancer gastrique). Le développement de la cimétidine, le premier inhibiteur des récepteurs H2 à l’histamine (H2RA), ouvrit une nouvelle ère dans la prise en charge de la maladie ulcéreuse. Les H2RA bloquent à la fois la sécrétion acide contrôlée par l’histamine et celle médiée par la gastrine, puisque l’action de la gastrine est médiée par le relargage d’histamine par les cellules ECL. Les indications de chirurgie devinrent plus rares.

Les IPP révolutionnèrent la prise en charge des maladies liées à l’acide. De par leur mécanisme d’action, ils sont capables de réduire à la fois la sécrétion acide basale et la sécrétion acide indépendamment du stimulus. Ils sont plus efficaces pour contrôler le pH intragastrique que les H2RA et sont plus efficaces dans la cicatrisation ulcéreuse et la prévention des récurrences.

Il est maintenant reconnu que la plupart des cas d’UD sont liés à l’infection par H. pylori, qui est lui-même responsable des perturbations de la sécrétion acide observées chez les patients ayant des ulcères duodénaux. L’éradication permet, chez la plupart des individus, de restaurer des niveaux de sécrétion de somatostatine basale, de gastrine basale et stimulée et de sécrétion acide normaux, permettant une guérison permanente de la maladie ulcéreuse.

La maladie ulcéreuse duodénale est liée à l’hyperacidité causée par H. pylori

Ulcère gastrique

Contrairement aux patients atteints d’UD, les patients atteints d’ulcère gastrique (UG) ont une sécrétion acide basale et stimulée normale ou même diminuée. Cela suggère qu’une altération de la défense de la muqueuse gastrique pourrait être le problème princeps et pourrait expliquer que la plupart des ulcères induits par les AINS survienne dans l’estomac. Plus un ulcère est éloigné du pylore, plus le rôle pathogénique de la sécrétion acide est faible, ce qui explique que la prise en charge chirurgicale des ulcères gastriques proximaux ne comportait pas d’étape de vagotomie.

Les ulcères gastriques sont associés à une sécrétion acide normale voire diminuée

La prise en charge médicale des UG comprend l’arrêt de l’agent causal (AINS ou H. pylori) et l’inhibition de la sécrétion acide.

Les « ulcères de stress » sont le plus souvent proximaux, et surviennent dans un contexte de réanimation avec défaillance multiviscérale responsable d’une ischémie muqueuse et d’une altération de la défense muqueuse. Malgré le fait que le niveau de la sécrétion acide soit variable chez ces patients, les traitements anti-sécrétoires préviennent la survenue des ulcères de stress.

Reflux gastro-œsophagien

Avec la diminution progressive de la maladie ulcéreuse, le RGO est devenu le trouble lié à l’acidité le plus important en pratique clinique. Sa physiopathologie implique plutôt une localisation anormale de l’acidité qu’une sécrétion trop importante d’acide. Le traitement médical par IPP permet de maintenir un pH supérieur à 4 dans l’œsophage de manière prolongée, en particulier la nuit. Les IPP sont supérieurs aux H2RA dans le traitement du pyrosis et de l’œsophagite érosive, et dans la prévention des récidives. L’éradication de H. pylori dans le RGO n’est pas recommandée, puisqu’elle peut théoriquement augmenter la sécrétion acide et diminuer l’efficacité des IPP.

Le traitement anti-acide dans le reflux gastro-œsophagien n’agit pas sur la cause de cette maladie

Hypersécrétion gastrique acide

Certaines conditions rares sont associées à une augmentation anormale de la sécrétion acide. Dans le cadre de la mastocytose systémique, les niveaux élevés d’histamine stimulent en continu les cellules pariétales.

Le montage chirurgical type Billroth II, en faisant baigner l’antre gastrique dans les sécrétions alcalines duodénales, va diminuer la sécrétion de somatostatine, augmenter la sécrétion de gastrine, la production acide et entraîner l’apparition d’ulcères anastomotiques.

Une hypercalcémie chronique stimule directement les cellules G et les cellules pariétales, et accroit la sécrétion acide.

Le syndrome de Zollinger-Ellison (ZES) est la situation clinique la mieux caractérisée. Une tumeur productrice de gastrine (gastrinome) induit une hypersécrétion acide. Ce syndrome doit être suspecté en cas d’œsophagite érosive réfractaire, d’ulcères peptiques multiples, d’ulcères dans le duodénum distal ou le jéjunum, d’ulcères compliqués, récidivant après chirurgie, d’ulcères associés à une diarrhée, d’histoire familiale de néoplasie endocrine multiple de type 1 (NEM-1) ou d’endocrinopathie associée à une NEM-1 (tumeur parathyroïdienne, du pancréas endocrine, de l’antéhypophyse). Environ 25 % des patients ayant un ZES ont une NEM-1. Une diarrhée mixte (volumogénique et de malabsorption) est présente dans 65 % des cas. Parmi les examens complémentaires, le dosage de la gastrinémie et éventuellement le test à la sécrétine assurent le diagnostic. L’échoendoscopie digestive visualise la tumeur primitive. La scintigraphie des récepteurs à la somatostatine situe parfois la tumeur primitive, mais elle est surtout utile pour chercher des métastases. Les bases du traitement sont la réduction de l’hyper-sécrétion acide par des doses élevées d’IPP et, si possible, l’exérèse de la tumeur.

Environ 25 % des patients ayant un syndrome de Zollinger-Ellison ont une histoire familiale de néoplasie endocrine multiple de type 1 ou une endocrinopathie associée à une néoplasie endocrine multiple de type 1 (tumeur parathyroïdienne, du pancréas endocrine, de l’antéhypophyse)

Sécurité de la suppression acide

Des millions de patients ont été traités par anti-acides, H2RA et IPP. Les H2RA sont généralement très bien tolérés. Les IPP sont des médicaments sûrs, mais des inquiétudes existent quant aux effets secondaires potentiels liés à l’hypergastrinémie réflexe, au rebond d’hypersécrétion acide à l’arrêt, à la malabsorption, aux infections et aux interactions médicamenteuses. De multiples effets secondaires attribués à une prise au long cours ont été rapportés, aussi bien digestifs (dysbiose, infection du liquide d’ascite, colite microscopique, colite infectieuse, carence en micro-nutriments…) qu’extradigestifs (cardiovasculaire, troubles cognitifs, atteinte rénale, infections pulmonaires, ostéoporose…).

Des interrogations quant à la sécurité des IPP au long cours ont vu le jour

La diminution de l’acidité luminale induit une augmentation de la gastrine sérique, qui ne semble pas exercer d’effets trophiques sur la muqueuse gastrique sauf dans le cadre du SZE ou de gastrite atrophique sévère, où des cas de tumeurs gastriques carcinoïdes ont été décrits. Il persiste un risque d’effets trophiques en dehors de l’estomac puisque les récepteurs CCK2 sont trouvés dans plusieurs tissus (endobrachyœsophage, estomac, pancréas, côlon) et dans plusieurs types de cellules cancéreuses. Même s’il n’existe pas de preuve que l’hypergastrinémie puisse en elle-même induire une néoplasie, il persiste un risque qu’elle accélère la croissance et l’invasion des tumeurs possédant ces récepteurs.

Le rebond d’hypersécrétion acide peut durer plus de deux mois après l’arrêt des IPP, probablement à cause de l’hyperplasie et de l’hypertrophie des cellules ECL induites par la gastrine. Cela peut poser un problème de dépendance aux IPP. Un moyen de prévenir cet effet pourrait être de remplacer les IPP deux mois après leur arrêt par des H2RA.

L’hypochlorydrie induite par les IPP pourrait interférer avec l’absorption de nutriments comme la vitamine B12, le fer et le calcium. La carence en vitamine B12 et en fer est cependant rare. Il semble exister un sur-risque d’ostéoporose et de fractures ostéoporotiques en cas de prise prolongée [9]. Le mécanisme pourrait faire intervenir une interférence avec l’absorption du calcium ou le métabolisme osseux.

En conditions physiologiques, l’acidité gastrique agit comme une barrière contre la progression vers le tube digestif de commensaux pharyngés et de micro-organismes de l’environnement, qui ne sont pour la plupart pas adaptés à un pH bas. Un traitement par IPP diminue cet effet barrière, facilitant la colonisation du tube digestif par ces micro-organismes. Deux études ont impliqué les IPP comme un facteur de risque de développer une colite à Clostridium difficile, communautaire ou nosocomiale. Cependant, comme les spores de C. difficile sont résistantes à l’acidité gastrique, il pourrait s’agir d’un facteur de confusion, les patients recevant des IPP ayant plus souvent un état de santé fragile et étant par conséquent plus sensibles à une infection quand ils sont exposés à des antibiotiques. Plusieurs études ont montré que l’utilisation d’IPP pourrait modifier la composition du microbiote digestif [10], soit par une action directe sur les pompes à proton des micro-organismes soit par une action indirecte en modifiant les conditions environnementales. Connaissant les multiples implications du microbiote digestif en santé humaine [11, 12], des effets secondaires indirects des IPP médiés par ces modifications de composition ne sont pas à exclure.

Les interactions avec le cytochrome P450 pourraient augmenter la demi-vie de certains médicaments (théophylline, phénytoïne, diazépam, warfarine). Mais comme les IPP sont présents dans la circulation générale pendant un temps relativement court (demi-vie dans le plasma d’environ une heure) et sont des inhibiteurs faibles du cytochrome P450, les interactions médicamenteuses cliniquement parlantes sont extrêmement rares.

Une méta-analyse récente, basée sur les critères de causalité de Hill, a conclu que les risques décrits ne paraissent le plus souvent pas cliniquement significatifs, ou en rapport avec des facteurs confondants. En effets, les patients sous IPP ont fréquemment des comorbidités pouvant expliquer en elles-mêmes les complications. L’augmentation du risque de fracture de hanche, de pneumopathie infectieuse ou d’infection du liquide d’ascite apparaît peu plausible car trouvée de façon inconstante entre les études, presque exclusivement observationnelles. Globalement, les auteurs concluaient à un risque global faible de complications liées à la prise d’IPP au long cours et à la nécessité d’études randomisées contrôlées pour mieux évaluer ce risque [13].

Les données actuelles sont rassurantes et les inhibiteurs de la pompe à protons doivent être poursuivis au long cours à la dose minimale efficace s’ils sont indiqués

Les IPP sont sur-prescrits, avec environ 50 % de prescriptions inappropriées, en particulier chez les patients âgés, sortant d’hospitalisation et cirrhotiques. Cependant, les IPP peuvent être également sous-utilisés, en particulier chez les patients à haut risque de saignement digestif. Malgré les résultats clairs de l’essai COGENT, montrant une réduction du risque de saignement à 180 jours sous oméprazole chez les patients sous bi-antiagrégation plaquettaire quelle que soit la dose d’aspirine [14], la prophylaxie par IPP est largement sous-utilisée dans cette indication.

Les risques des IPP, bien que plausibles, semblent donc en pratique très limités. Étant donnée la révolution thérapeutique qu’ils représentent, une prescription limitée aux indications reconnues et à des doses minimales efficaces assure une balance bénéfices/risques largement positive [15].

Nouvelles pistes thérapeutiques

L’activité de l’H+K+ATPase nécessite un apport de K+ au niveau du pôle luminal de la membrane apicale. Les bloqueurs d’acidité par compétition avec le potassium inhibent les H+K+ATPases actives et au repos par liaison compétitive réversible. Le vonoprazan, comme les IPP, est une base faible et s’accumule dans les canalicules des cellules pariétales à des concentrations plus de 100 fois supérieures à celles du sang. Il est en compétition avec le potassium pour la liaison avec la H+K+ATPase. Les avantages potentiels par rapport aux IPP sont une liaison plus rapide, une dissociation lente (demi-vie environ 7 heures), une plus grande stabilité à l’acide et une pharmacocinétique non affectée par le CYP2C19. Le vonoprazan est non inférieur aux IPP dans le traitement de l’œsophagite érosive, de l’ulcère gastrique et duodénal. Il pourrait être efficace, en combinaison avec des antibiotiques, dans l’éradication de H. pylori[16]. La sécurité sur le long terme reste cependant à déterminer [17].

Les antagonistes du CCK2R comme le nétazepide et le Z-360 sont en cours d’évaluation pour le traitement des maladies liées à la sécrétion acide ainsi que pour plusieurs types de cancers. Chez l’humain, le nétazepide inhibe la sécrétion acide basale et la sécrétion acide stimulée par la pentagastrine et par la nourriture [18].

De nouvelles molécules sont en cours d’évaluation, pour une amélioration du service médical rendu probablement faible par rapport aux IPP

Take home messages

  • La régulation de la sécrétion acide fait intervenir des mécanismes paracrines, hormonaux et neuroendocrines variés.
  • Les inhibiteurs de la pompe à protons doivent être prescrits avant les repas pour obtenir une efficacité maximale.
  • Les effets secondaires des inhibiteurs de la pompe à protons au long cours sont mal évalués mais sont probablement très limités.
  • Une prescription raisonnée des inhibiteurs de la pompe à protons (limitée aux indications reconnues) à la dose minimale efficace est indispensable pour obtenir un équilibre bénéfice/risque favorable dans tous les cas.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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