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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Long-term albumin administration increases survival in patients with cirrhosis and ascites Volume 26, issue 1, Janvier 2019

Figures


  • Figure 1

Tables

L’apparition de l’ascite, la complication la plus fréquente et la plus fréquemment inaugurale de la cirrhose, marque un tournant évolutif majeur, réduisant l’espérance de vie médiane à cinq ans [1], et rendant nécessaires des soins astreignants et coûteux. Le rôle initialement suspecté d’une réduction de la pression oncotique plasmatique liée à la diminution de l’albuminémie secondaire à l’insuffisance hépatocellulaire pour expliquer la rétention sodée a été infirmé depuis les années 1980. En revanche, l’efficacité des perfusions d’albumine pour augmenter le volume sanguin efficace et réduire les effets délétères de la vasodilatation artérielle périphérique induite par la cirrhose est bien établie, particulièrement après des ponctions d’ascite évacuatrices de grands volumes ; dans ces circonstances, l’administration d’albumine réduit le risque de dysfonction circulatoire post-ponction d’ascite, et améliore la mortalité – au moins chez les malades les plus sévères [2]. En revanche, hormis dans un essai monocentrique italien à faible effectif [3], la preuve que l’administration d’albumine augmentait la survie des malades ayant une cirrhose ascitique n’avait pas été apportée à ce jour. C’est maintenant fait grâce à une remarquable étude italienne multicentrique menée dans 33 hôpitaux universitaires ou non.

L’étude

Les critères d’inclusion et d’exclusion

Les malades, adultes et consentants, devaient avoir une cirrhose avec ascite non compliquée, et recevoir un traitement diurétique comportant un antialdostérone (≥ 200 mg/j) et du furosémide (≥ 20 mg/j).

Ils ne devaient pas avoir eu plus d’une ponction évacuatrice le mois précédent, d’ascite réfractaire, d’insuffisance rénale (créatininémie ≥ 132 μM), de néphropathie organique, de syndrome hépatorénal de type 1 ou d’hémorragie digestive les 15 jours précédents, d’encéphalopathie hépatique de grade III ou IV, d’infection bactérienne ou fungique (incluant l’infection d’ascite) les 7 jours précédents, ni être porteur d’un carcinome hépatocellulaire évolutif ou d’un TIPS (Transjugular Intrahépatic Portosystemic Shunt). Ils devaient être abstinents d’alcool depuis au moins 3 mois, ne pas avoir commencé de traitement antiviral contre l’hépatite B ou l’hépatite C au cours du dernier semestre, ne pas avoir d’insuffisance cardiaque, d’hypoxémie < 60 mm Hg, d’hypersensibilité connue à l’albumine, ni avoir pas reçu d’albumine dans le mois précédent.

La conduite de l’essai

Les malades étaient répartis par tirage au sort (stratifiés en fonction de la nécessité de ponction le mois précédent et de la natrémie au seuil de 135 mEq/L) pour recevoir, soit le traitement médical standard (TMS), soit le TMS associé à une perfusion d’albumine à 20 % (flacons de 50 mL), 40 g deux fois par semaine pendant deux semaines puis une fois par semaine, en ambulatoire (ALB). Les malades du groupe TMS ne recevaient pas de placebo. Tous les malades étaient suivis mensuellement pendant 18 mois. L’étude était interrompue en cas de transplantation ou de pose de TIPS.

Les critères de jugement

Le critère principal de jugement était la mortalité à 18 mois (évaluée a priori à 35 % dans le groupe TMS, 20 % dans le groupe ALB, ce qui nécessitait l’inclusion de 210 malades par groupe pour une puissance de 90 % avec un risque α de 5 %). Les critères secondaires étaient le nombre de ponctions évacuatrices, la dose totale de diurétiques, l’hyponatrémie (< 130 mEq/L), l’hyperkaliémie (≥ 5,5 mEq/L), l’incidence des autres complications de la cirrhose, la nécessité de ≥ 3 ponctions évacuatrices/mois, la qualité de vie (évaluée par une échelle visuelle analogique et un questionnaire simplifié), le nombre et la durée des hospitalisations et le rapport coût/efficacité du traitement.

Les principales caractéristiques des malades

Elles sont indiquées dans le tableau 1.

Citons un âge moyen de 61 ans, deux tiers d’hommes, un tiers de cirrhoses alcooliques, un tiers de cirrhoses virales, 5 % de NASH, 15-20 % de causes mixtes, deux tiers de malades Child B, deux tiers avec des varices œsophagiennes, 10 % avec une encéphalopathie I-II, un tiers avec une hyponatrémie. L’ascite était isolée chez la moitié des malades, et on notait 8 % d’ascites infectées et 8 % de malades en liste d’attente de transplantation. Le tirage au sort a bien travaillé pour équilibrer tout cela entre les deux groupes.

Le déroulement de l’étude

Sur une période de 4 ans, 440 malades ont été inclus ; 9 étaient inéligibles, réduisant les groupes à 213 (TMS) et 218 (ALB) pour l’analyse en intention de traiter (ITT). Environ 40 malades de chaque groupe arrêtèrent l’étude prématurément avec au total seulement 30 perdus de vue, réduisant la population à 172 (TMS) et 176 (ALB) pour l’analyse per-protocole.

La survie globale

La survie globale à 18 mois fut significativement supérieure dans le groupe ALB (77 % vs. 66 %, p = 0,029), une réduction de la mortalité de 38 % (HR : 0,62 ; IC95 % : 0,40-0,95) avec des résultats similaires en ITT et en per-protocole (figure 1). En analyse multivariée, les prédicteurs indépendants de mortalité étaient l’âge, la cause virale, le score de Child-Pugh et le score MELD-Na, le seul facteur protecteur étant le traitement par ALB. Il fallait traiter 7 malades pour sauver 1 vie à 18 mois.

L’analyse tenant compte des risques compétitifs de mortalité (de la transplantation hépatique et de la pose de TIPS) confirmait la réduction de la mortalité (avec les mêmes facteurs prédictifs indépendants) dans le groupe ALB. Enfin, la réduction de la mortalité était exclusivement liée à la réduction de la mortalité hépatique.

L’augmentation de l’albuminémie

Elle fut significative à partir du premier mois, et maximale et stable à partir du deuxième mois dans le groupe ALB, l’albuminémie restant environ de 8 g/L supérieure à celle du groupe TMS.

Un meilleur contrôle de l’ascite

Le contrôle de l’ascite fut bien meilleur dans le groupe ALB : aucune ponction (38 % vs. 68 %), moindre nombre de ponctions (1,6 ponction/personne/18 mois vs. 3,5 ponctions/personne/18 mois), alors que le volume moyen des ponctions (5,5 L) et la dose cumulée de diurétique étaient identiques. Le risque de nécessiter ≥ 3 ponctions/mois était de 12 % vs. 29 %, et le risque d’ascite réfractaire était réduit de moitié (25 % vs. 48 %).

Une amélioration hépatique globale

La survenue des autres complications de la cirrhose était également réduite dans le groupe ALB : incidence de l’ascite infectée, des autres infections bactériennes, de dysfonction rénale, de syndrome hépatorénal de type 1, d’encéphalopathie hépatique de grade III ou IV, d’hyponatrémie et d’hyperkaliémie furent tous significativement réduits, de 30 à 67 %. L’incidence des hémorragies digestives était similaire.

Meilleure qualité de vie

La qualité de vie resta stable dans le groupe ALB alors qu’elle s’altéra progressivement dans le groupe TMS. Le nombre (–35 %) et la durée (–45 %) des hospitalisations étaient réduits dans le groupe ALB par rapport au groupe TMS.

Peu ou pas d’effets indésirables

Il y eut deux réactions allergiques modérées (érythème et prurit), un épisode d’étourdissement avec hypotension, et deux infections sévères (sans contamination du flacon d’albumine) dont une pneumonie. Aucun événement indésirable sévère non hépatique ne fut plus fréquent dans le groupe ALB.

… Et c’est coût-efficace !

Le surcoût direct de l’administration d’albumine (2 488 €/patient/an) fut largement compensé par les surcoûts liés aux hospitalisations et aux ponctions d’ascite. Le rapport cout/efficacité différentiel (Incremental Cost-Effectiveness Ratio, ICER) par année de vie ajustée pour la qualité (QALY) était de 21 265 € (le seuil habituellement retenu pour décider du caractère coût-efficace d’un traitement est de 35 000 €).

Commentaires

En voilà une étude difficile à conduire à son terme ! L’étude est puissante, son analyse statistique impeccable.

Elle est prospective et randomisée, mais pas menée à l’insu contre placebo ou un autre soluté de remplissage. Il est vrai qu’il n’y a plus, pour des raisons de toxicité diverses, de « substituts du plasma » utilisable (et en ce moment même, l’agence européenne du médicament vient de retirer du marché l’hydroxyéthylamidon, dont on nous avait, en son temps, rebattu les oreilles, et dont la toxicité rénale avait été vite signalée par l’équipe de Bondy). Il est peu probable que la connaissance du traitement a changé quelque chose à la mortalité (même si les malades voyaient un(e) infirmier(e) chaque semaine). En tout cas, cela ne changeait sans doute pas l’indication des ponctions évacuatrices d’ascite (un critère secondaire de jugement) dont le volume était identique dans les deux bras de l’étude.

Dans cette population de malades ayant une cirrhose et une ascite chronique diurétique-dépendante mais pas réfractaire, l’administration d’albumine au long cours améliore le pronostic vital à 18 mois, en améliorant toutes les complications graves de la cirrhose (sauf les hémorragies digestives, dont on aurait pu craindre que l’expansion volémique chronique les aggravât). De plus, elle améliore (ou retarde) le risque de complications sévères de la cirrhose avant d’améliorer la mortalité dont seule la partie hépatique est réduite, le début de l’effet bénéfique coïncidant avec l’obtention de l’albuminémie « maximale ». Bref, l’effet est spécifique de la maladie du foie, même si les effets bénéfiques de l’albumine, au-delà de l’expansion volémique chronique, sont spéculatifs (effet anti-inflammatoire systémique ?).

Dans cette population de malades ayant une cirrhose et une ascite chronique diurétique-dépendante mais pas réfractaire, l’administration d’albumine au long cours améliore le pronostic vital à 18 mois, en améliorant toutes les complications graves de la cirrhose (sauf les hémorragies digestives)

Un mot pour remarquer que l’origine virale de la cirrhose était un facteur de mauvais pronostic : était-ce parce que les malades ayant une cirrhose virale C n’avaient pas reçu de traitement antiviral oral direct ? Parce que chez les malades atteints de cirrhose alcoolique (ou mixte) les effets bénéfiques de l’abstinence (au-delà des trois mois nécessaires à l’inclusion dans l’étude) se poursuivent ? Un peu pour les deux raisons ? L’analyse des sous-groupes fera sans doute l’objet d’un autre article.

Cerise sur le gâteau, le traitement est jugé coût-efficace en Italie (et ça ne devrait pas être très différent chez nous). Chaque fois cependant que je lis ce genre de résultat dans les maladies chroniques, je me dis que les complications n’étant probablement que retardées, leur coût va apparaître au-delà de la période de l’essai et le ratio coût/efficacité pourrait décroître avec le temps… mais ça doit être toujours le cas en médecine !

Attendre une autre étude confirmative (si elle voit jamais le jour !) ne serait sans doute pas éthique, et il va falloir probablement passer à l’acte dans cette population particulière de malades ayant une ascite nécessitant un traitement diurétique puissant et continu ; elle n’est pas si nombreuse (un tiers des malades ascitiques vus dans les principaux centres recruteurs de l’essai).

Attendre une autre étude confirmative (si elle voit jamais le jour !) ne serait sans doute pas éthique

Viva albumina ! e Viva Italia !

Remerciements

à Richard Moreau pour sa relecture amicale.

Liens d’intérêts

l’auteur est consultant et orateur occasionnel pour les laboratoires Intercept (qui commercialise l’acide obéticholique – Ocaliva®) et Mayoly-Spindler (qui commercialise l’acide ursodésoxycholique – Cholurso®).

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