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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Liver and muscular diseases Volume 26, issue 1, Janvier 2019

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

Tables

Introduction

L’élévation des transaminases est habituellement secondaire à une maladie hépatique dont les causes les plus fréquentes sont une consommation excessive d’alcool, un syndrome métabolique, une infection virale hépatique, une maladie de surcharge ou dysimmunitaire ou une toxicité médicamenteuse. Au terme de l’enquête initiale, certaines hypertransaminasémies restent inexpliquées (tableau 1). Dans ce contexte, au même titre qu’une maladie cœliaque asymptomatique, il faut penser à écarter une maladie musculaire. Deux situations peuvent se rencontrer : (i) l’une, aisée à identifier, correspond aux élévations de transaminase d’origine musculaire ; (ii) l’autre, parfois plus difficile à reconnaître, est constituée par une cytolyse provenant d’affections qui peuvent toucher, dans le même processus pathologique, le foie et le muscle. C’est le cas de la myotonie de Steinert, des troubles de la bêta-oxydation des acides gras, des cytopathies mitochondriales, et des glycogénoses. Le tableau hépatique peut alors être polymorphe et prendre le masque d’une hépatite aiguë, d’une hépatite chronique ou d’un foie métabolique. L’élévation des transaminases est mixte d’origine hépatique et musculaire. Il faut savoir alors chercher les signes extrahépatiques qui permettront d’orienter le diagnostic. Dans cette mini-revue, après un bref rappel sur l’origine des transaminases sériques, nous verrons successivement ces deux cadres diagnostiques.

Origine des transaminases sériques

Les aminotransférases (ou transaminases) facilitent la dégradation des acides aminés dans le cycle de Krebs [1]. L’alanine aminotransférase (ALAT) et l’aspartate aminotransférase (ASAT) sont des enzymes normalement présentes dans le sérum à une faible concentration qui varie selon le sexe et l’indice de masse corporelle et sont des indicateurs sensibles de nécrose hépatocytaire. La corrélation entre l’étendue de la nécrose hépatocytaire et le niveau d’élévation des transaminases est mauvaise. L’ASAT est mise en évidence à des concentrations élevées dans les cellules du foie, mais aussi du myocarde et des cellules musculaires. Elle est également présente dans le rein, le cerveau, la muqueuse gastrique, le poumon, la rate, le pancréas et les globules rouges. Elle existe dans la cellule hépatique sous deux isoformes différentes : mitochondriale (représentant 80 % de l’activité hépatocytaire) et cytosolique. En situation normale, 90 % de l’activité sérique est d’origine cytosolique. L’ALAT est localisée uniquement dans le cytosol. Son activité sérique normale varie au cours de la journée (environ 45 % plus élevée dans l’après-midi qu’au début de la matinée) et de 10-30 % d’un jour à l’autre. Sa concentration dans les tissus non hépatiques (rein essentiellement, faible quantité dans le cœur et les muscles) est très faible et l’augmentation de sa concentration sérique est donc plus spécifique d’une atteinte de l’hépatocyte. L’élévation des transaminases n’est donc pas spécifique du foie et peut être secondaire à d’autres atteintes d’organes [2].

L’élévation des transaminases n’est pas spécifique au foie et peut être secondaire à d’autres atteintes d’organes

Les maladies touchant le muscle

La cytolyse musculaire est la cause la plus fréquente d’hypertransaminasémie extrahépatique. La reconnaître rapidement évite des explorations inutiles.

Comment rapporter une hypertransaminasémie à une cytolyse musculaire ?

Rapporter une élévation des transaminases à une maladie musculaire n’offre aucune difficulté dès lors qu’on pense à ce diagnostic. Le muscle squelettique contenant plus d’ASAT que d’ALAT, la cytolyse d’origine musculaire prédomine fortement en ASAT. Ce profil peut toutefois aussi correspondre à une consommation chronique d’alcool, une insuffisance cardiaque, ou une maladie vasculaire du foie. Le caractère isolé de la cytolyse doit orienter le diagnostic (stricte normalité de l’examen clinique et du reste du bilan hépatique notamment des GGT). Les macro-ASAT sont un diagnostic différentiel rare avec une élévation isolée des ASAT secondaire à l’agrégation des aminotransférases soit par auto-polymérisation, soit avec une protéine de haut poids moléculaire (immunoglobuline ou albumine). Le diagnostic est fait notamment par électrophorèse [3].

L’affirmation de l’atteinte musculaire peut être facilement apportée par le dosage de la créatine phosphokinase (CPK) dont la concentration est mille fois plus importante dans le muscle squelettique que dans le foie [4] et qui est donc un marqueur très sensible de l’atteinte musculaire ou cardiaque. La corrélation entre l’élévation des transaminases et de la CPK est linéaire [1]. Elle doit donc être demandée en première ligne devant toute suspicion de cytolyse musculaire.

L’affirmation de l’atteinte musculaire peut être apportée par le dosage de la CPK

L’exercice physique intense est la cause la plus fréquente de cytolyse musculaire

En cas d’activité extrême, les taux de transaminases sont maxima à la fin de l’effort. Du fait de leurs localisations prédominantes cardiaque, rénale et musculaire, l’ALAT et surtout l’ASAT peuvent toutefois atteindre respectivement 3 et 15 fois le taux des valeurs normales dans les suites d’efforts extrêmes. Les valeurs se normalisent en deux jours pour l’ALAT et neuf jours pour l’ASAT [5]. Bien différentes sont les cytolyses musculaires des nécroses myocardiques ou des traumatismes musculaires (compression musculaire ou attrition) survenant dans un contexte particulier.

Les cytolyses musculaires médicamenteuses sont facilement identifiables (tableau 2)

Le diagnostic repose sur l’imputabilité extrinsèque du médicament et la relation temporelle entre l’introduction du traitement et la survenue de l’effet secondaire. Les hypolipémiants (statines et fibrates) sont le plus souvent impliqués, plus rarement les corticoïdes, antibiotiques, antirétroviraux et neuroleptiques [6]. Lors d’un traitement par statines, il est conseillé de doser la CPK en cas de survenue de symptômes musculaires, où dès l’introduction du traitement en cas de facteurs de risque : hypothyroïdie, sujet âgé de plus de 70 ans, insuffisance rénale, antécédents personnels ou familiaux de maladie musculaire. Pour les fibrates, un dosage de la CPK et des transaminases est recommandé un mois après l’introduction du traitement. L’association statine-fibrate est fortement déconseillée. Ainsi, il n’est pas rare que la surveillance systématique de ces traitements fasse découvrir des anomalies du bilan hépatique qui, bien souvent, témoignent d’un foie métabolique préexistant. Le bilan pré-thérapeutique est souhaitable chez ces patients. En cas de problème, le profil biologique et l’évolution à l’arrêt du médicament seront le meilleur argument de la responsabilité du médicament.

Les dysthyroïdies sont rarement en cause

L’hypothyroïdie peut, rarement, être responsable d’une rhabdomyolyse, dont le mécanisme reste mal connu. Cette rhabdomyolyse peut être précipitée par l’introduction d’hypolipémiants. Il existe quelques cas de rhabdomyolyse dans la maladie de Basedow, mais ce fait reste exceptionnel.

La cytolyse peut être révélatrice d’une myopathie

Les myopathies regroupent un ensemble très hétérogène de maladies musculaires, plus d’une centaine au total. Certaines sont d’origine génétique et d’autres sont acquises, causées par une atteinte toxique, médicamenteuse, endocrinienne ou inflammatoire. L’enquête diagnostique est une affaire de spécialiste. Elle repose sur le tableau clinique, l’électromyogramme, la biopsie musculaire, l’analyse génétique et l’enquête familiale. On cherchera cliniquement un déficit de force, une atrophie ou une hypertrophie musculaire (le signe de Gowers correspondant à une hypertrophie des mollets est caractéristique de la myopathie de Duchenne) et un déficit de relaxation musculaire (caractéristique des myotonies).

La cytolyse peut s’inscrire dans le contexte d’une myopathie connue et suivie de longue date. Elle peut aussi être le premier signe de la maladie, comme dans les myopathies génétiques de Duchenne et de Becker. La maladie de Duchenne est liée à une atteinte du gène DMD codant la dystrophine, une protéine impliquée dans la contraction des fibres musculaires [7], qui permet le maintien de l’intégrité de la fibre musculaire, en créant un ancrage des filaments d’actine au sarcolemme. La myopathie de Becker atteint aussi le gène DMD, mais la dystrophine reste partiellement ou mal exprimée, la sévérité est donc moindre. Les premiers signes de la maladie de Duchenne apparaissent vers 4 ans, avec un retard à l’acquisition de la marche, une faiblesse musculaire généralisée prédominant sur les muscles proximaux, la présence du signe de Gowers [8]. Ces enfants sont en fauteuil roulant en moyenne à l’âge de 10 ans, et décèdent avant l’âge de 30 ans. La myopathie de Becker a une expressivité moindre et se révèle plus tardivement. Ainsi, l’élévation inexpliquée des transaminases est révélatrice de la maladie chez 7 % des enfants, avant que les premiers signes de myopathie ne se révèlent [1]. Devant une élévation isolée des transaminases chez un enfant jeune, il convient donc de chercher un syndrome myogène, de doser les CPK et d’éliminer une hépatopathie sous-jacente. En l’absence de cause hépatique évidente, il faudra évoquer une myopathie d’origine génétique.

L’élévation inexpliquée des transaminases est le premier élément menant au diagnostic de myopathies de l’enfant dans 7 % des cas

Les maladies touchant le foie et le muscle

À côté de ces élévations de transaminases purement musculaires, il existe des affections touchant à la fois le foie et le muscle. Contrairement à la situation vue précédemment, il s’agit ici d’une cytolyse d’origine hépatique s’inscrivant dans un tableau de maladie chronique du foie (stéato-hépatite, hépatite chronique, fibrose ou cirrhose) dont la cause n’est pas claire. L’atteinte musculaire, qui participe souvent à l’élévation enzymatique, peut être au premier plan de la symptomatologie. Certaines affections peuvent être peu voire asymptomatiques et être révélées par la symptomatologie hépatique. C’est dans ce dernier cas que l’hépatologue pourra être sollicité pour la démarche diagnostique. La recherche de signes évocateurs extrahépatiques permettra alors le diagnostic.

La maladie de Steinert doit être évoquée devant un tableau de foie métabolique inexpliqué

La maladie de Steinert est caractérisée par une myotonie, c’est-à-dire une difficulté à la relaxation musculaire, avec le traditionnel signe de la poignée de main (le patient ne peut relâcher la main de son interlocuteur). Cette atteinte musculaire est le fait d’une dysfonction du canal chlore impliqué dans la relaxation musculaire. Maladie génétique à transmission autosomique dominante, elle est caractérisée par la répétition de triplets nucléotidiques CTG dans la partie 3’ non codante du gène DMPK sur le chromosome 19q13.3. Un sujet normal présente moins de 35 triplets CTG. L’augmentation du nombre de triplets va être responsable de l’accumulation de brins d’ARN à l’intérieur du noyau (figure 1). En effet, l’ARN transcrit du gène DMPK, du fait des répétitions de triplets, forme des structures en épingle à cheveux qui, du fait de leur conformation, sont retenues dans le noyau cellulaire et vont s’y accumuler, piégeant des facteurs d’épissage (MBLN1) ou en activant d’autres (CELF1). Ceci entraîne une dérégulation de l’épissage de nombreux autres gènes dont les troponines cardiaques, les récepteurs à l’insuline, le canal chlore musculaire, la protéine tau cérébrale, ce qui est responsable d’une atteinte multi-systémique [10]. Plus il y a de triplets, plus la maladie est sévère. On parle de pré-mutation entre 35 et 50 répétitions (cataracte et calvitie précoce) puis, au-delà, les signes surviennent à un âge de plus en plus jeune et sont de plus en plus marqués jusqu’à la forme congénitale caractérisée par une hypotonie néonatale, une insuffisance respiratoire et une atteinte neurologique sévère [9]. Il existe un phénomène d’anticipation, avec une aggravation de la sévérité phénotypique de la maladie au fur et à mesure des générations, due à un accroissement progressif du nombre de triplets.

Les lithiases vésiculaires sont fréquentes et de cause inconnue. Une hyperplasie des cellules étoilées du foie a été décrite à plusieurs reprises dans la littérature, sans explication évidente, et sans spécificité [11]. Les perturbations du bilan hépatique sont fréquentes et se manifestent par une cytolyse modérée prédominant en ASAT ou en ALAT et une hyper-GGT ; elles sont plus fréquentes chez la femme [12]. Les PAL sont rarement augmentées, tandis que la bilirubine est toujours normale. Ces anomalies sont le reflet d’une stéatose hépatique sous-jacente, elle-même secondaire à l’insulino-résistance induite par l’atteinte des récepteurs à l’insuline [13]. En effet, d’après une étude publiée en 2009 [13], 44 % des patients ayant une myotonie de Steinert présentaient des anomalies du bilan hépatique, parmi lesquels 87 % avaient une stéatose hépatique (sur des critères non invasifs) ; parmi ceux-ci, 30 % avaient eu une biopsie hépatique et l’examen anatomopathologique mettait constamment en évidence une stéatose ou une stéatohépatite non alcoolique. Cette étude trouvait aussi une association significative entre la présence de perturbations du bilan biologique hépatique et celle des marqueurs d’insulinorésistance qui est plus fréquente qu’en population générale [15]. Elle est le fait de l’activation du facteur d’épissage CELF-1 (lui-même secondaire à l’accumulation d’agrégats d’ARN intranucléaires), qui va empêcher l’intégration de l’exon 11 du récepteur à l’insuline, entraînant sa perte de fonction [16]. Ainsi, plus du tiers des patients ayant une myotonie de Steinert ont une stéatose hépatique, à comparer aux 2,8 % à 5,4 % en population générale aux États-Unis [14]. Cette stéatose explique en partie l’élévation des transaminases, qui ne sont pas dues à la seule atteinte musculaire. Ainsi, il faut penser au diagnostic devant toute stéatose sans facteur de risque métabolique clairement identifiable.

Les perturbations du bilan biologique hépatique dans la myotonie de Steinert sont le reflet d’une stéatose hépatique sous-jacente, elle-même secondaire à une insulinorésistance

Il faut penser au diagnostic de maladie de Steinert devant toute stéatose sans facteur de risque métabolique clairement identifiable

Les cytopathies mitochondriales

Les cytopathies mitochondriales sont des maladies génétiques rares dues à un dysfonctionnement de la chaine respiratoire mitochondriale. Elles touchent 1 individu sur 5 000 à 10 000. Elles sont caractérisées par une importante hétérogénéité clinique et génétique, avec un phénomène « d’atteinte illégitime d’organe», c’est-à-dire qu’une même mutation peut atteindre des organes différents en fonction des patients et des générations. La quantité de mitochondries intracellulaires étant plus importante au sein des tissus à haute demande en énergie, comme le cœur, le muscle, le système nerveux et le foie, ces derniers sont donc plus sévèrement atteints [17]. Les principales manifestations cliniques des maladies mitochondriales sont résumées dans le tableau 3[18]. Les formes de survenue précoce sont rapidement identifiées par le pédiatre. Les formes de survenue tardive sont souvent révélées par une atteinte ORL (surdité) ou ophtalmologique (cécité unilatérale d’installation rapide ou cataracte précoce). On trouve en période de crise une acidose lactique, une augmentation du rapport lactate/pyruvate, la présence de corps cétoniques et une hypoglycémie.

L’atteinte musculaire est liée à un manque d’énergie cellulaire (normalement produite par l’hydrolyse de l’ATP), ce qui diminue les capacités de contraction et de relaxation musculaires [20]. La biopsie musculaire montre des fibres musculaires striées déchiquetées avec accumulation de mitochondries anormales à la périphérie des cellules musculaires. L’atteinte hépatique est présente chez 20 % des patients [17], elle est due à une dysfonction de la chaine respiratoire mitochondriale qui a des répercussions sur l’oxydation des acides gras au sein des hépatocytes, ayant pour conséquence une diminution de l’excrétion biliaire et une stéatose microvésiculaire, la mort cellulaire et le développement de fibrose [19]. La biopsie hépatique met en évidence une stéatose, une cirrhose micro- ou macro-nodulaire.

20 % des patients ayant une maladie mitochondriale ont une atteinte hépatique associée

Les syndromes de déplétions de l’ADN mitochondrial sont caractérisés par une réduction du nombre de copies d’ADNmt, et sont souvent associés à une atteinte hépatique. Il existe plusieurs formes cliniques [17] : hépato-cérébrales, myopathiques (parfois à début tardif), cardiomyopathiques. Les formes hépato-cérébrales peuvent comporter une hépatopathie sévère avec défaillance hépatique précoce conduisant au décès. Le syndrome d’Alpers-Huttenlocher, se présente sous la forme d’une cirrhose micronodulaire, d’une épilepsie réfractaire, d’une régression psychomotrice et d’une cécité corticale. Le valproate de sodium, utilisé pour traiter les formes épileptiques, peut précipiter la défaillance hépatique [17]. L’hépatologue pourra donc suspecter une maladie mitochondriale devant le tableau clinique, parfois associé à des perturbations du bilan hépatique, une hépatite cytolytique, une stéatohépatite. Pour s’orienter il devra demander un dosage des corps cétoniques et un rapport lactate/pyruvate (> 20 selon les laboratoires) qui permettront de déterminer le statut rédox entre le cytoplasme et la mitochondrie. Il faudra ensuite adresser le patient en consultation spécialisée de maladies métaboliques.

Les déficits d’oxydation des acides gras mitochondriaux

Ce sont des maladies génétiques caractérisées par un déficit enzymatique entraînant un blocage sélectif de l’oxydation des acides gras dans la mitochondrie, ce qui entraîne leur accumulation plasmatique ainsi que de dérivés de la carnitine. La carnitine sert habituellement au transport des acides gras du cytosol vers la mitochondrie. La bêta-oxydation est une source majeure d’ATP pour la cellule. Lors d’un jeûne prolongé, c’est l’oxydation des acides gras qui permet de fournir un apport continu en énergie à la cellule, une fois le glucose sanguin utilisé. Au sein du cytosol les acides gras sont liés au coenzyme A, formant un groupement AcylCoA, lequel se complexe à la carnitine permettant son transport au sein de la mitochondrie par l’intermédiaire d’une carnitine acyl-carnitine translocase. C’est au sein de la mitochondrie que l’AcylCoA va être dégradé dans l’hélice de Lynen, fournissant à chaque tour d’hélice un groupement Acétyl-CoA, qui sera réutilisé dans le cycle de Krebs. Chaque cycle est associé à une enzyme spécifique, en fonction de la longueur du groupement Acyl-CoA (figure 2). Le déficit d’une seule enzyme peut donc stopper le processus de bêta-oxydation. Si le déficit atteint une enzyme hydrolysant des acides gras à chaîne très longue (déficit en VLCAD), ces derniers vont s’accumuler, par contre ceux à chaîne moyenne ou courte pourront toujours être hydrolysés : ces patients présenteront donc un tableau de surcharge hépatique, musculaire et cardiaque, qui peut être sévère. En cas de déficit d’une enzyme hydrolysant les acides gras à chaîne moyenne ou courte, les acides gras à chaîne longue seront correctement dégradés, la surcharge hépatique, cardiaque et musculaire sera donc moindre.

Le premier signe d’un déficit de bêta-oxydation est une intolérance au jeûne avec hypoglycémies répétées. Il existe une hépatopathie sévère, une cardiomyopathie et une myopathie, ainsi qu’une encéphalopathie dont la physiopathologie reste méconnue. L’accumulation plasmatique d’acides gras et de dérivés de la carnitine, trouvés en concentration élevée lors des épisodes de décompensation métabolique, est associée à une acutisation des symptômes.

Les déficits de bêta-oxydation les plus fréquents sont les déficits en MCAD (Medium-Chain acyl-coA Dehydrogenase), en LCHAD (Long-Chain 3-Hydroxyl-coA Dehydrogenase) et en VLCAD (Very-Long Chain acyl-CoA Dehydrogenase). Ce sont des maladies très rares ; par exemple le déficit en VLCAD a une prévalence de 1/30 000.

Ne pouvant aborder tous les déficits dans cette courte revue, nous nous focaliserons sur le déficit en VLCAD, pour lequel on distingue trois formes cliniques [21] :

  • La forme néonatale, caractérisée par une cardiomyopathie hypertrophique, une encéphalopathie hépatique ou une hypoglycémie hypocétosique de jeûne, parfois associées. La mortalité est de 40 % à 80 % [21], en l’absence de dépistage néonatal.
  • La forme de l’enfant, de phénotype atténué (selon la profondeur du déficit) : caractérisée par des épisodes récurrents de coma hypoglycémique hypocétosique de jeûne ou lors de maladies intercurrentes, avec ou sans hépatomégalie (l’hépatomégalie est liée à la stéatose hépatique, qui peut être réversible avec une alimentation à intervalles rapprochés et un régime pauvre en graisses), cette forme clinique est proche de celle du déficit en MCAD.
  • Les formes de survenue tardive, caractérisées par un phénotype myopathique, souvent induit par l’exercice physique. Les premiers symptômes se développent à la fin de l’adolescence ou chez l’adulte jeune, avec une faiblesse musculaire et des myalgies, parfois une rhabdomyolyse sévère avec des CPK pouvant dépasser 20 000 UI/L. On note aussi que les patients présentant initialement un phénotype avec atteinte hépatique ou cardiaque développeront souvent à un âge plus avancé une myopathie qui deviendra le seul tableau dominant de leur pathologie.

On note chez ces patients une élévation des CPK et des transaminases, avec une corrélation linéaire, suggérant que l’élévation des transaminases est secondaire à l’atteinte musculaire [22]. Le diagnostic et le suivi est une affaire de spécialiste, et il est improbable que celui-ci soit porté sur une découverte fortuite d’hypertransaminasémie. En cas de suspicion, l’hépatologue pourra demander un dosage des carnitine et acylcarnitines, puis orienter vers une consultation spécialisée. La confirmation diagnostique sera apportée par l’étude de l’oxydation des acides gras. La prise en charge est essentiellement diététique, et consiste en une alimentation pauvre en acides gras à chaine longue, enrichie en acides gras essentiels à chaine moyenne en cas de déficit en VLCAD, une supplémentation en carnitine, une prise alimentaire fractionnée et régulière (farine de maïs type Maïzena, pouvant suffire pour le déficit en MCAD) pour éviter les périodes de jeûne [22], et dans les formes sévères (déficit en VLCAD) par une perfusion continue de sérum glucosé.

Les glycogénoses

Les glycogénoses sont des maladies génétiques touchant les enzymes de dégradation du glycogène jusqu’au lactate, ce qui induit des hypoglycémies répétées et une surcharge tissulaire en glycogène. Ce dernier étant stocké majoritairement dans le muscle, le foie et le cerveau, il y a une surcharge hépatique, cérébrale, musculaire et cardiaque en glycogène. Certaines glycogénoses atteignent seulement le muscle ou le foie tandis que d’autres atteignent les deux en même temps. Il en existe de nombreux types.

Les principales glycogénoses hépatiques sont les GSD I, III, IV, VI, IX, O. Les glycogénoses de type I, III, VI et IX sont associées à une hypoglycémie, une hépatomégalie et un retard de croissance. Le type III associe une hépatopathie, une myopathie et une cardiopathie. La type IV une atteinte hépatique dans l’enfance avec cirrhose. La type O ne comporte pas d’hépatomégalie (c’est d’ailleurs la seule).

L’atteinte hépatique se manifeste par une hépatomégalie mousse, des hypoglycémies à répétition avec acidose lactique. Ces hypoglycémies sont contrôlées par un apport constant en glucose dans les premiers mois de la vie (nutrition entérale) puis par des repas rapprochés à base de Maïzena (farine de maïs) à partir de un an. L’atteinte musculaire est celle d’une myopathie avec faiblesse musculaire, une cardiomyopathie hypertrophique et une insuffisance respiratoire due à l’atteinte du muscle diaphragmatique, qui font le pronostic de la maladie [23].

Les crampes musculaires du cirrhotique

Le dernier aspect de cette revue concerne la survenue des crampes musculaires qui sont plus fréquentes chez le patient cirrhotique : 88 % en souffrent vs. 21 % en population générale [24]. Bien que ceci constitue un problème fréquent en clinique, la cause en est inconnue : on sait que leur survenue est indépendante de la présence d’œdèmes, de la prise d’alcool ou de diurétiques [24]. La sévérité des crampes est corrélée avec le stade de cirrhose [25]. La prise en charge n’est pas encore bien codifiée, du fait du manque d’études prospectives comparatives [25]. Il semblerait que la supplémentation en taurine et carnitine ait un impact significatif sur les crampes musculaires. Le magnésium, bien que souvent utilisé, n’a pas montré de bénéfice significatif.

Conclusion

Tout bilan de cytolyse devrait faire chercher une atteinte musculaire ou métabolique. Nous avons vu que ces maladies sont complexes et ont besoin d’une prise en charge adaptée, nécessitant un diagnostic précoce, pour lequel l’hépato-gastroentérologue peut être sollicité. Le dosage systématique de la CPK et la connaissance sémiologique des myopathies et des maladies métaboliques seront donc une aide précieuse dans la prise en charge diagnostique initiale.

Remerciements

Les auteurs remercient le Dr Caroline Moreau (service de biochimie, CHU de Rennes) pour ses conseils sur la rédaction des chapitres concernant les cytopathies mitochondriales et les troubles de la bêta-oxydation des acides gras et sa relecture.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Take home messages

  • Tout bilan de cytolyse inexpliquée doit comprendre le dosage de la créatine phosphokinase (CPK).
  • La plupart des myopathies (hors myopathies métaboliques et Steinert) entrainent une élévation des transaminases prédominant en ASAT (aspartate aminotransférase), secondaire à l’atteinte musculaire et non à une atteinte hépatique.
  • Les patients ayant une maladie de Steinert sont à risque de stéatose hépatique du fait de l’insulino-résistance. Les perturbations du bilan hépatique sont plus le fait de la stéatose que de l’atteinte musculaire.
  • Les cytopathies mitochondriales regroupent un spectre de maladies très hétérogène, responsables d’une atteinte multi-organes ; les patients présentent de véritables myopathies ainsi qu’une hépatopathie chronique pouvant évoluer vers l’insuffisance hépatique terminale et le décès, en période néonatale pour les formes les plus sévères.
  • Les déficits enzymatiques en LCAD, VLCAD et MCAD (Long/Very-Long/Medium-Chain acyl-coA Dehydrogenase) sont caractérisés par une atteinte hépatique et métabolique prédominante dans les formes de survenue précoce, et par une atteinte musculaire prédominante dans les formes de survenue tardive.
  • Les glycogénoses sont le fait d’une accumulation de glycogène hépatique et musculaire avec hypoglycémies répétées, nécessitant des apports constants en glucose.

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