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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Evolution of the treatment of colorectal liver metastases: toward a definition of parenchyma saving procedures Volume 25, issue 3, Mars 2018

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

Tables

Les métastases hépatiques d’origine colorectale (MHCR) sont un problème de santé publique. De toutes les métastases opérables (foie, poumon, péritoine, cerveau), elles sont les plus opérées et constituent à elles seules le paradigme de l’intrusion de la chirurgie dans le traitement d’une maladie métastatique. On estime le nombre de nouveaux cas de cancers colorectaux (CCR) en Europe en 2012 à 1,4 millions et le nombre de décès à 694 000 [1]. Environ 40 % des patients présentent des MHCR, synchrones et métachrones, pour moitié chacune. En situation palliative, la survie globale des patients atteints de CCR est de l’ordre de 30 mois [1] alors que 50 % des patients sont vivants à 5 ans en situation curative après résection [2]. Le traitement des MHCR est un modèle de l’évolution de la chirurgie oncologique ces cinquante dernières années. En établir les âges successifs revient à identifier les différents courants d’idées qui ont porté des buts thérapeutiques différents et successifs.

Le traitement des métastases hépatiques d’origine colorectale est un modèle de l’évolution de la chirurgie oncologique ces cinquante dernières années

À l’origine, la transgression d’un dogme

La chirurgie n’est pas le traitement naturel de la maladie métastatique. La répartition des rôles thérapeutiques en cancérologie a longtemps été simple : la chirurgie aux tumeurs localisées et à leurs ganglions, les traitements systémiques aux maladies métastatiques. Certes, il est rapporté des tentatives isolées et probablement hasardeuses de métastasectomies comme celle de Cattell à la Lahay Clinic en 1943. Il faut toutefois attendre les années 1970 et surtout 1980 pour assister au développement de la chirurgie hépatique. L’anesthésie et la réanimation péri-opératoire sont alors des sciences naissantes et le principal risque est l’hémorragie, le foie contenant environ un tiers de toute la masse sanguine. Dans le même temps apparait le premier régime de chimiothérapie actif sur le CCR, basé sur le 5-FU et l’acide folinique. Intuitivement d’abord puis sur la base des premiers rapports, il est convenu de limiter à trois le nombre des MHCR pouvant faire l’objet d’une approche chirurgicale. En 1986, Starzl et al. constatent qu’en dépit de la chimiothérapie adjuvante aucun patient opéré de plus de quatre métastases n’est en vie trois ans plus tard. Même pour l’école des chirurgiens qui ne croira pas tout de suite à la chimiothérapie, il est constaté en 1991 que seules les petites MHCR limitées à un lobe voient leur devenir clinique être amélioré par la chirurgie. Grossièrement, cette règle de trois va rester valable une dizaine d’années jusqu’à l’arrivée des chimiothérapies combinées.

Dès les années 1980, la résection d’un nombre limité de métastases hépatiques d’origine colorectale (≤ 3) permet d’améliorer la survie des patients

Quelle hépatectomie ? De l’anatomie à la marge de résection

Les pionniers sont avant tout des anatomistes. La meilleure connaissance anatomo-fonctionnelle du foie, largement attribuable aux travaux de Couinaud, leur permet à la fois de promouvoir la transplantation mais aussi l’indication oncologique. L’équipe du MSKCC de New York consacre ainsi en 2000 la résection anatomique comme la règle de la chirurgie des MHCR. Tous les types d’hépatectomies sont décrits, droite, droite étendue, gauche, centrale ; toutes les segmentectomies sont réalisées. On n’hésite pas à recourir à des techniques lourdes de chirurgie vasculaire de reconstruction et même extravasculaire comme la chirurgie ex vivo. Néanmoins, cette approche consomme beaucoup de parenchyme sain sans contrepartie oncologique évidente ouvrant un premier grand débat entre les anatomistes et ceux qui veulent se baser sur des arguments oncologiques. Celui-ci repose sur la définition d’une marge saine limitant le risque de récidive locale. Cette marge va évoluer : elle démarre à 10 mm en 1992 pour passer à 2 mm en 2002 grâce aux travaux de RT-PCR de l’école japonaise, pour finir à 0 mm en 2008 sous l’impulsion de l’équipe de Paul-Brousse [3]. Cette même année, la même équipe new-yorkaise qui avait consacré la résection anatomique en 2000, l’enterre au profit du raisonnement oncologique [4]. Cette évolution entérine la primauté du raisonnement pathologique sur le principe de faisabilité technique.

La résection anatomique, très consommatrice de parenchyme sain, va laisser place petit à petit à la résection oncologique fondée sur le principe d’une marge saine

La chimiothérapie libère la main du chirurgien

Le nombre de résections hépatiques réalisées au MD Anderson et à la Mayo Clinic augmente significativement en 1996 [5], ce pic correspondant à l’introduction puis à la diffusion de l’oxaliplatine et de l’irinotecan. Cette synergie thérapeutique, médico-chirurgicale va entraîner deux conséquences. Sur le versant chirurgical, toutes les règles de restriction en nombre de lésions, leur bilatéralité, leur confinement au foie seul, etc. vont disparaître les unes après les autres. La limite persistante est fonctionnelle avec un volume de foie disposant d’un flot portal entrant et d’un flot sus-hepatique sortant suffisants. Dès lors, ce n’est plus le risque hémorragique qui motive le stress opératoire mais la crainte de l’insuffisance hépatique post-opératoire. Sur le versant médical, on assiste à la naissance de la chimiothérapie d’induction pour amener les MHCR non opérables à une chirurgie possible. Si les critères de résecabilité propres à chaque équipe apparaissent comme une variable non frappée dans le marbre et susceptible d’influer sur les résultats, on note 6,5 % de résections supplémentaires dans l’étude CRYSTAL, 7,4 % dans l’étude BELIEF. Le prix à payer de cette induction est la description d’une toxicité hépatique spécifique à l’irinotécan (chemotherapy-associated steatohepatitis ou CASH) et à l’oxaliplatine (sinusoidal obstruction syndrome ou SOS). À partir de 2004, l’introduction du bevacizumab et du cetuximab en combinaison avec les régimes précédents permet d’accroitre les taux de conversion jusqu’à 28 % [6]. Un taux identique est retrouvé avec l’adjonction du bevacuzimab soit 23 % [7]. L’association en triplet de la chimiothérapie conventionnelle à base de 5-FU, irinotecan et oxaliplatine (Folfirinox ou Folfoxiri) porte le taux de résection à 56,9 %. L’association maximale du Folfoxiri et du bévacizumab rapporte un taux de résection R0 à 49 % et R1 à 61 % [7]. Si le taux de résection est souvent utilisé comme objectif des études, le taux de stérilisation est beaucoup moins connu. En effet, la corrélation entre l’imagerie constatant la disparition d’une MHCR après chimiothérapie et soit l’examen anatomopathologique soit une imagerie de surveillance aboutit à des valeurs très dispersées de l’ordre de 17 à 69 % [8]. Les taux les plus élevés sont rapportés avec la chimiothérapie intra-artérielle dont le management est toutefois plus compliqué. Ces données sont rétrospectives, monocoentriques et scannographiques. Pour fournir des réponses prospectives, remnographiques et internationales (Europe, Japon, USA) à ces questions, l’étude observationnelle EORTC 1527 est actuellement en cours.

Les règles de restriction liées au nombre des métastases, à leur bilatéralité ou à leur confinement au foie seul ont disparu progressivement avec l’arrivée de la chimiothérapie d’induction permettant de rendre résécables des métastases qui ne l’étaient pas initialement

L’escalade thérapeutique : embolisation portale sélective et chirurgie en deux temps

Alors que la chimiothérapie du CCR progresse, que la chirurgie hépatique devient de plus en plus sûre, apparaît un procédé plastique, unique en chirurgie oncologique qui va permettre de pousser très loin les limites de la resécabilité. L’école de Maakuchi décrit en effet en 1990 l’embolisation portale sélective (EPS), laquelle permet d’atrophier les segments hépatiques les plus contaminés tout en hypertrophiant les segments sains et ceci en activant l’homéostasie hépatocytaire. Cette invention tombe à point pour lutter contre l’insuffisance hépatique post-opératoire. Du même coup, elle va autoriser deux escalades thérapeutiques visant les lésions nombreuses et bilatérales, la chirurgie en deux temps et la chirurgie extensive. L’approche en deux temps peut se faire avec ou sans EPS. Elle peut intégrer le traitement de la tumeur primitive en même temps que le traitement d’un hémi-foie (souvent le gauche est moins atteint). Au cours du premier temps, on pratique la colectomie, le nettoyage d’un hémi-foie et l’EPS de la veine porte controlatérale. Quatre à six semaines plus tard, on pratique l’hépatectomie controlatérale. D’autres scenarii sont possibles impliquant, par exemple, une EPS radiologique, une ablation percutanée ou peropératoire, l’idée générale étant de segmenter les temps thérapeutiques en laissant au foie le temps de récupérer. D’excellents résultats sont publiés pour des séries de patients sélectionnés [9]. Malheureusement, tous les patients ne profitent pas de cette stratégie ; certains en pâtissent clairement. Environ 25 à 30 % de la cohorte du MD Anderson ne parviennent pas au deuxième temps. Leurs MHCR sont en pleine croissance après la première chirurgie. Leur survie est alors inférieure à celle d’un groupe témoin traité palliativement avec de la chimiothérapie seule [9]. Les auteurs évoquent une sélection biologique, laquelle paraît bien cruelle. Au final, ce ne sont pas les résultats du groupe per-protocole qui sont à retenir mais bien ceux en intention de traiter, ce qui les dégradent considérablement.

L’embolisation portale sélective permet d’envisager une chirurgie hépatique en deux temps ou extensive en limitant le risque d’insuffisance hépatique postopératoire

Parallèlement, certains auteurs s’interrogent sur l’intérêt de proposer des hépatectomies extensives [10], au motif parfois avancé de diminuer le nombre des micrométastases responsables du taux élevé des récidives… L’hépatectomie droite étendue au segment 4 est le produit le plus abouti de cette approche. Elle est désormais possible grâce à l’EPS radiologique préopératoire. Elle est utilisée pour tous les patients de la série de l’hôpital Beaujon [10]. Cette approche radicale génère une morbidité et surtout une mortalité très élevée (10,3 %) concentrée dans le groupe des patients peu répondeurs recevant plus de 12 cycles de chimiothérapie d’induction (19 %). La conclusion des auteurs est qu’il faut abandonner cette stratégie au profit d’alternatives moins agressives.

Récemment, une équipe allemande s’est aperçu que sectionner partiellement le foie en plus de l’EPS induit une forte hypertrophie du futur foie restant. Cette technique est baptisée ALPPS pour associated liver partition and portal vein ligation for staged hepatectomy. Plusieurs équipes veulent voir dans l’ALPPS un moyen plus puissant encore que l’EPS pour faire pousser le futur foie restant après hépatectomie. Toutefois la mortalité opératoire (15 %) est apparue très supérieure à ce qui est généralement admis en chirurgie hépatique. D’autres techniques toujours plus raffinées dans la torture de l’hépatocyte, se proposent à présent d’emboliser les veines hépatiques. Les premiers résultats oncologiques des patients traités avec ALPPS ont toutefois fait déchanter leurs promoteurs [11]. De plus, il a été démontré que le volume n’est pas forcément la fonction en matière d’hépatocyte. La scintigraphie à la 99mTc-mébrofénine a montré que les hépatocytes post-ALLPS étaient en fait immatures et ballonnisés et peu fonctionnels [12]. Dans les cas critiques, il est donc clair que l’évaluation volumétrique doit être remplacée par une évaluation scintigraphique fonctionnelle.

Le volume hépatique n’est pas forcément un bon reflet de la fonction hépatocytaire

De cette escalade chirurgicale, on retiendra que les chirurgiens, fascinés par l’exploration d’une technique qu’ils découvrent, négligent bien souvent son impact sur la biologie du cancer qu’elle entend traiter. Afin de pouvoir continuer à progresser dans cette généalogie de la stratégie chirurgicale, il est donc grand temps d’évoquer la biologie de la MHCR. Celle-ci nous impose, en effet, de la respecter au mieux car, dans le cas contraire, c’est le patient qui se trouve être sanctionné.

La biologie des métastases hépatiques de cancer colorectal à l’usage du chirurgien

La métastase est précédée d’une micrométastase qui atteint le foie par voie hématogène et y constitue une niche pré-métastatique. Toutes ces micrométastases sont de même génération ; une fois la tumeur primitive enlevée, les dés métastatiques sont jetés. Ceci amène donc à une première conclusion intéressante : toutes les MHCR sont synchrones. Si tel est le cas, pourquoi certaines d’entre elles ne se révèlent-elles radiologiquement que plusieurs mois ou années après la colectomie, devenant ainsi apparemment métachrones ? La réponse est au moins en partie immunitaire. Les métastases synchrones débordent les défenses de l’hôte et déclenchent leur switch angiogénique pour devenir invasive et macroscopique. Ce switch décrit par un chirurgien, Judha Folkman, déclenche une néoangiogenèse tumorale nécessaire à la création d’une logistique du microenvironnement. À l’inverse, les situations cliniques métachrones correspondent à une répression immunitaire efficace notamment par les CD8. On parle alors de latence ou mieux de dormance. Cet état de dormance peut être révoqué à tout moment, ce qui explique la fréquence élevée des récidives des MHCR… ou jamais, ce qui explique a contrario qu’on puisse guérir d’une telle maladie, fût-elle métastatique. Plus fortes sont les défenses immunitaires, plus longue est la dormance. Ceci explique le bon pronostic des formes métachrones longues et nous fait dire que le Docteur Knock avait raison d’assimiler la bonne santé à un état clinique somme toute très relatif. En aparté, il faut noter que si toutes les métastases sont biologiquement synchrones, certaines métastases peuvent à leur tour métastaser. Ceci se voit dans les formes chronicisées par plusieurs lignes de chimiothérapie et où des métastases de second ordre finissent par apparaître telles que les métastases cérébrales, osseuses ou musculo-cutanées. Il en est de même chez les rares patients greffés [13] qui développent de nouvelles métastases hépatiques et pulmonaires qui ne peuvent venir que de métastases puisque la tumeur primitive et le foie dans sa totalité ont été retirés antérieurement.

Toutes les métastases sont synchrones, mais certaines micrométastases en dormance vont donner lieu ou non à des récidives hépatiques à distance de la chirurgie colorectale selon le statut immunitaire

La seconde conclusion majeure de ce concept est que les micrométastases en dormance potentielle peuvent se situer n’importe où dans le foie et ce alors même que toutes les imageries ainsi que les dosages de marqueurs tumoraux sont négatifs. Peut-être l’ADN circulant changera-t-il la donne prochainement ? Ce constat réfute l’idée de réaliser une chirurgie extensive prophylactique. Ce n’est pas parce qu’on enlève les trois quarts du foie, que le patient ne récidivera pas sur le quatrième quart.

Troisième constat majeur : les facteurs circulants qui sont responsables de l’homéostasie hépatocytaire sont les mêmes que ceux qui stimulent la croissance tumorale, à savoir les cytokines comme l’IL1, l’IL2, le TNFα ou le TGFβ. Deux conclusions s’imposent. Premièrement toute destruction d’hépatocyte, de quelque nature qu’elle soit, déclenche un relargage de cytokines à l’origine de l’homéostasie mais également d’une stimulation des micrométastases qui peuvent passer en switch angiogénique et sortir de leur dormance ainsi que des macrométastases qui s’accroissent en volume. Toute hépatectomie, mineure ou majeure, toute obstruction des veines portales ou sus-hépatiques, toute ablation par radiofréquence induit un risque de switch angiogénique. Celui-ci serait particulièrement marqué quand on laisse du matériel nécrotique en place comme après EPS importante et ALPPS. Les mauvais résultats oncologiques de cette dernière approche peuvent s’expliquer ainsi. De même, le groupe de patients n’atteignant pas le second temps de la chirurgie en deux temps est lui aussi victime d’une sensibilité marquée de certains de ses clones tumoraux à la tempête de cytokines. La seconde conclusion est que toute complication postopératoire laquelle délivre des quantités importantes de cytokines peut déclencher un switch angiogénique iatrogène. Nous avons ainsi montré que les patients ayant une complication postopératoire avaient une survie diminuée par deux [2]. S’il existe des limites à cette interprétation (cas plus lourds avec plus de lésions traitées et moins de chimiothérapie postopératoire réalisée) il n’en reste pas moins que tout chirurgien se souvient douloureusement de patients dont la maladie flambe en post-opératoire après une complication septique. Diminuer la fréquence des complications postopératoires en améliorant la qualité du geste chirurgical devient donc un objectif de survie oncologique.

Toute hépatectomie, ablation par radiofréquence, obstruction des veines portales ou sus-hépatiques ou complication post-opératoire induit un relargage de cytokines susceptible d’entraîner une progression tumorale

Les conclusions de ce chapitre biologique sont les suivantes : moins on opère le foie, moins on l’agresse, mieux il se porte. Les thérapeutiques douces sont à privilégier sur les approches radicales consommatrices de parenchyme sain. Les MHCR sont une affection très récidivante ; il faut donc conceptualiser le traitement sous l’angle de l’itérativité. Ceci n’est qu’apparemment en contradiction avec la précédente conclusion. En pratique, il faut enlever peu à chaque fois, si on veut pouvoir enlever plusieurs fois. Car le parenchyme sain n’est pas une cible du traitement ; en l’état les micrométastases sont indétectables et toute résection prophylactique est à bannir. Ce constat est fondateur du principe de préservation parenchymateuse dans sa dimension quantitative.

L’agressivité en volume de déprivation parenchymateuse se double d’une agressivité biologique. En conséquence, toute prise en charge en un temps doit être privilégiée par rapport à une chirurgie en deux temps. Le recours à l’EPS doit être strictement limité au patient présentant un risque élevé de défaillance hépatique postopératoire. Ce constat est fondateur du principe de préservation parenchymateuse dans sa dimension qualitative.

Toute prise en charge en un temps doit être privilégiée par rapport à une chirurgie en deux temps. Le recours à l’embolisation portale sélective doit être strictement limité aux patients présentant un risque élevé de défaillance hépatique postopératoire

L’ablation peropératoire en complément de la chirurgie : vers une meilleure épargne parenchymateuse

Il est constant en chirurgie oncologique, qu’à une phase d’escalade thérapeutique succède une phase de désescalade par laquelle on tente de consolider le résultat thérapeutique tout en en diminuant la morbi-mortalité. Pour la MHCR, la prise de conscience a été progressive avec l’abandon de la résection anatomique au profit de la résection atypique et surtout avec l’émergence d’une nouvelle technique, l’ablation peropératoire (APO) par radiofréquence. Parce qu’elle a été initialement décrite par des radiologues pour un usage percutané, l’APO a longtemps été ostracisé par le milieu chirurgical, y compris par ceux qui en en avait été les promoteurs. La raison en était la peur de voir les MHCR échapper au bistouri. Ce qui était une double erreur. L’APO est une vraie trouvaille technologique à l’usage des chirurgiens dont ils auraient tort de se priver tandis que l’ablation percutanée des MHCR ne vit aujourd’hui que des contre-indications de la chirurgie curative.

L’histoire de l’APO commence en 1999. La lésion est chauffée et abandonnée in situ sans vérification pathologique. Le concept est certes transgressif mais quel progrès ne l’a pas été ? D’emblée, l’économie sur le foie sain est maximale et la supériorité offerte sur la voie transpariétale évidente : le chirurgien tient le foie en main qui est immobile et dispose de l’échographie de contact, bien supérieure à l’échographie externe. La technique nécessite méticulosité et précision comme toute technique basée sur une dosimétrie tridimensionnelle dont le respect tient en l’état le taux de récidive. Il suffit de multiplier et superposer les angles de ponction de la lésion pour obtenir une surimposition de dosimétries légèrement différentes permettant d’obtenir une marge de sécurité effective. Plusieurs années seront nécessaires pour définir les règles d’engagement de l’APO que l’on peut résumer ainsi : volume de lésion inférieur à 3 cm, plutôt profonde (les lésions superficielles sont facilement resécables), loin d’une voie biliaire principale très sensible à la chaleur. À l’inverse, nous avons montré que l’effet de refroidissement par un vaisseau sus-hépatique est contournable soit par clampage électif (figure 1) soit par l’utilisation d’un générateur puissant (200 W contre 50 pour les premiers appareils) permettant d’opérer (en combinant résection et APO) un patient que la résection seule ne pouvait traiter.

En but à l’hostilité d’une grande partie de la communauté, il faut attendre 2012 pour que deux études de phase 2 démontrent la valeur ajoutée de la technique et rapporte des taux de récidives locales inférieurs à 6 % [14, 15]. Une série multi-institutionnelle [2]deux ans plus tard confirme l’apport du CARe (pour Combined Ablation and Resection). L’introduction de l’ablation peropératoire diminue le recours à l’embolisation portale segmentaire et diminue la mortalité postopératoire Un des freins au développement de la technique aura été la faible adhésion d’une génération de chirurgiens hépatiques à l’échographie peropératoire, beaucoup d’entre eux faisant appel à un radiologue pour réaliser leurs APOs. La génération montante est plus formée à cette technique indispensable de navigation peropératoire. Aujourd’hui, le CARe est l’approche la plus légitime du concept de traitement des MHCR par épargne parenchymateuse. Elle permet la diminution du recours à l’embolisation portale segmentaire et diminue la mortalité postopératoire (tableau 1). Cette approche semble adoptée par beaucoup [16], y compris par ceux, qui libérés du carcan de leurs institutions, se sont remis à l’adorer [17] après l’avoir brûlée [18,19] !

L’ablation peropératoire complémentaire permet de réséquer plus de lésions hépatiques dans un souci d’épargne parenchymateuse et est associé à un faible taux de récidive

Comment définir le concept de chirurgie par épargne parenchymateuse des métastases hépatiques d’origine colorectale ?

Des tentatives rétrospectives ont tenté d’extraire des bases de données des patients ayant eu des procédures qui pourraient ressembler à des chirurgies par épargne parenchymateuse (CEP) pour les comparer à des procédures plus extensives. Ainsi veut-on comparer des hépatectomies mineures (en général moins de trois segments) à des hépatectomies majeures [20]. Ce qui est un dévoiement complet du concept. En effet, une hépatectomie droite emportant une charge tumorale majeure est une hépatectomie majeure mais c’est une vraie CEP alors qu’une segmentectomie 6 emportant une MHCR de 5 mm est une hépatectomie mineure mais certainement pas une CEP (figure 2). D’autres ont extrait des métastases uniques [21, 22] traitées soit par résection centrée soit hépatectomie majeure, ce qui est correct mais limité aux situations les plus simples alors que précisément la CEP est conceptualisée pour faire face aux cas les plus complexes.

Deux approches techniques sont possibles pour implémenter au mieux le concept de CEP :

  • la résection à tout prix, y compris par tunélisation comme décrit par Torzilli [23], approche sophistiquée nécessitant une connaissance experte de l’échographie peropératoire et des connexions transversales entre systèmes veineux sus-hépatiques et beaucoup plus longue à mettre en œuvre (9 heures de médianes d’intervention). Le résultat, impressionnant, revient à transformer le foie en gruyère sans le dévasculariser ;
  • la tactique du CARe correspondant à la résection centrée sur les lésions emportant le moins de parenchyme sain associée à l’APO. Nous avons montré que cette approche est moins sensible à la chimiothérapie préopératoire et induit peu d’insuffisances hépatiques postopératoires [24]. Le CARe est la technique moderne pour pratiquer au mieux la CEP.

Ces deux approches ont permis de diminuer le recours à la chirurgie en deux temps ainsi qu’à l’EPS, qui doivent rester des techniques de dernier recours [25]. Ainsi en RCP, la discussion avec les radiologues doit d’abord porter sur la possibilité de réaliser une chirurgie en un temps et seulement et seulement s’il persiste un risque sérieux d’insuffisance hépatique post-opératoire doit alors se discuter une approche plus agressive. Dans un futur proche, une approche génomique permettra sans doute d’identifier les patients ne pouvant faire les frais d’une tempête de cytokines, ce qui permettra de mieux sélectionner la population pouvant bénéficier de la chirurgie de dernier recours. Nous n’en sommes qu’au début de cette ère où les indications seront pondérées par la biologie moléculaire. Aujourd’hui, on sait que les mutations de RAS altèrent le pronostic mais pas au point de retirer aux patients le droit à une chirurgie, ce qui pourrait se discuter en cas des mutations V600 de BRAF (à condition de les distinguer des non V600, de bon pronostic). Des travaux sont en cours pour comprendre les différences biologiques des métastases uniques, des syndromes pauci- et multimétastatiques, des syndromes « foie seul » ou multi-organes.

Et demain ?

Si la désescalade sur le parenchyme sain est une évidence, la question de la limite du traitement local des MHCR se pose. Jusqu’où considérer le traitement local comme curatif ? Où commence une approche de chronicisation, c’est-à-dire de soins palliatifs armés ? Les résultats à long-termes du CLOCC trial sont en faveur du CARe versus la chimiothérapie seule mais pour des maladies de 10 lésions au plus. Qu’en est-il pour les autres ? Seule la biologie nous permettra de franchir une étape supplémentaire.

Take home messages

  • Le traitement des métastases hépatiques d’origine colorectale est un modèle d’évolution de la chirurgie oncologique.
  • La chirurgie d’épargne parenchymateuse se définit à la fois par un sacrifice de foie sain minimal et une moindre agressivité biologique.
  • La chirurgie en deux temps et l’embolisation portale sélective ne doivent être envisagées que si une chirurgie en un temps n’est pas possible.
  • Améliorer la qualité des suites opératoires impacte directement la survie des patients.
  • La biologie permettra bientôt d’affiner les indications chirurgicales.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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