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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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How to explore an iron deficiency? – Diagnostic management in 2018 Volume 25, issue 4, Avril 2018

Introduction

La carence martiale chez l’adulte, isolée ou le plus souvent associée à une anémie, est un motif fréquent de consultation notamment en gastro-entérologie. On estime que la carence martiale, définie comme un manque de fer avec ou sans anémie, touche plus de 2 milliards de personnes à travers le monde [1]. L’anémie ferriprive reste souvent non diagnostiquée et non traitée.

La stratégie diagnostique optimale est discutée [2]. Une revue systématique concernant les recommandations sur la prise en charge de la carence martiale, publiée en 2015, a inclus 29 recommandations sur le diagnostic et le traitement de la carence martiale émanant de neuf spécialités différentes (anesthésie, cardiologie, gastro-entérologie, obstétrique et gynécologie, hématologie, néphrologie, oncologie, orthopédie et pédiatrie). Les documents d’intérêt identifiés pour la gastro-entérologie étaient : les recommandations d’experts du groupe européen ECCO (European Crohn's and Colitis Organisation) sur la carence martiale dans le cadre des MICI, et les guidelines britanniques de la British Society of Gastroenterology sur l’exploration d’une carence martiale dans la population générale. Depuis la parution de cette méta-analyse en 2015, aucun nouveau consensus sur la prise en charge de la carence martiale n’a été publié, notamment en gastro-entérologie. Il n’y a donc pas de recommandations françaises ou européennes consensuelles sur la prise en charge de la carence martiale avec ou sans anémie en gastro-entérologie. Les recommandations britanniques suggèrent des points clés de la stratégie d’exploration d’une carence martiale en fonction de l’âge et du sexe des patients, mais aucun algorithme précis n’est proposé à l’heure actuelle de manière consensuelle [3].

Dans cette mini-revue, les examens utiles au diagnostic positif et surtout étiologique de la carence martiale seront abordés. La définition de la carence martiale, le métabolisme du fer ainsi que le traitement de la carence martiale ne seront pas décrits.

Diagnostic positif de la carence martiale

Le test diagnostique de référence de la carence martiale est l’étude d’un échantillon d’aspiration de moelle osseuse obtenu à partir d’un myélogramme. L’examen du myélogramme coloré par la méthode de Perls met en évidence les grains de ferritine de taille supérieure à 0,2 μ sous forme de grains « bleu de Prusse ». Elle permet d’évaluer le fer des réserves (macrophagique) et le fer intra-érythroblastique. Cependant, ce test est douloureux, invasif et coûteux et n’est donc pas pratiqué en routine.

Le dosage de la ferritine sérique est donc le test diagnostique de choix, le plus performant, pour dépister la carence martiale [3, 4]. La baisse de la ferritinémie à moins de 15 μg/L est quasi-pathognomonique d’une carence martiale, alors qu’une valeur > 100 μg/L l’exclut en principe [2].

Le diagnostic de la carence en fer est simple, sauf lorsqu’il se produit dans le contexte de troubles inflammatoires. Plusieurs définitions de la carence martiale ont été proposées. En 2001, l’OMS a défini la carence martiale avec des seuils de concentrations sériques de ferritine variant selon le sexe, l’âge et le contexte infectieux [5, 6]. Cependant, cette définition est inadéquate dans de nombreuses situations cliniques, y compris l’inflammation et l’insuffisance rénale chronique, pour lesquelles les concentrations de ferritine ont tendance à augmenter, et sont donc faussement normales lorsqu’elles sont associées à un déficit en fer [7]. Au cours de la dernière décennie, les sociétés savantes de chaque spécialité ont élaboré leurs propres recommandations. En conséquence, les guidelines concernant l’exploration et le traitement de la carence martiale varient d’une indication à l’autre [2].

Il convient de rappeler la nécessité de prendre en compte le contexte clinique et de réaliser préalablement l’hémogramme, comme le rappel les recommandations HAS 2011 sur le « diagnostic biologique d’une carence en fer : en première intention, doser la ferritine seule » [4]. Afin d’identifier une carence en fer, les marqueurs à doser sont :

  • En priorité : la ferritine sérique ; une ferritine abaissée affirme le diagnostic d’une carence en fer, et il est inutile de doser d’autres marqueurs du bilan martial.
  • En situation d’inflammation, d’insuffisance rénale chronique ou quand le résultat de la ferritine sérique n’est pas contributif (valeur normale ou élevée alors que la suspicion de carence en fer est forte), le fer sérique associé à la transferrine (transporteur plasmatique du fer), permettant le calcul du coefficient de saturation de la transferrine peut aider au diagnostic (tableau 1). Le coefficient de saturation en fer de la transferrine exprime le rapport entre le fer sérique et la transferrine (Fer en μmoles /L/[Transferrine en g/L x 25]), c’est-à-dire la quantité de fer disponible (en premier lieu) pour l’érythropoïèse.
  • Il n’y a pas d’indication à doser le fer seul et la combinaison fer sérique + ferritine sans la transferrine pour le diagnostic d’une carence martiale.
  • Le diagnostic doit tenir compte de la situation clinique : une cytolyse hépatique ou musculaire, un diabète mal équilibré, un éthylisme aigu ou chronique, une hyperthyroïdie, certains états métaboliques peuvent biaiser les résultats.
  • Il n’y a pas d’indication au dosage des récepteurs solubles de la transferrine (dont le taux reflète les besoins en fer pour l’érythropoïèse) en pratique courante.
  • Il paraît nécessaire de respecter certaines conditions de prélèvement : les marqueurs du métabolisme du fer doivent être prélevés à distance d’une inflammation aiguë, et s’ils sont dosés, le fer sérique et la transferrine doivent être prélevés le matin à jeun, afin de s’affranchir des variations nycthémérales. En cas de dosages répétés, il est préférable de les réaliser dans le même laboratoire.

La baisse de la ferritinémie à moins de 15 μg/L est quasi-pathognomonique d’une carence martiale, alors qu’une valeur > 100 μg/L l’exclut en principe

Diagnostic étiologique et stratégie d’investigation

La carence en fer et l’anémie ferriprive sont des affections courantes, en particulier chez les enfants et les jeunes femmes. Dans les pays en voie de développement, la carence en fer est causée par une mauvaise absorption du fer et/ou une infection parasitaire, alors que les choix alimentaires végétariens, une mauvaise absorption du fer et une perte sanguine chronique sont les causes les plus fréquentes dans les pays développés.

Le tableau 2 résume les principales causes d’anémie ferriprive en fonction du mécanisme et de l’origine de celle-ci.

En pratique clinique, plusieurs maladies chroniques sont également associées à la carence martiale. Le déficit en fer, avec ou sans anémie, est une complication fréquente des cancers (42,6 % pour différentes tumeurs) [8]. La carence martiale est également fréquente dans les maladies inflammatoires de l’intestin (45 %), l’insuffisance rénale chronique (24-85 %), l’insuffisance cardiaque chronique (43-100 %) et d’autres maladies inflammatoires chroniques [2, 5, 8]. La carence en fer est associée à une détérioration de la qualité de vie, à la productivité au travail et à la fatigue. En outre, elle est prédictive de la mortalité en cas d’insuffisance cardiaque chronique et d’insuffisance rénale chronique [5, 8]. Par conséquent, diagnostiquer et traiter les carences en fer avec ou sans anémie est un enjeu majeur dans la pratique clinique.

Interrogatoire et examen clinique

La présence de symptômes digestifs est un argument fort pour l’origine digestive de cette anémie et doit être rechercher à l’interrogatoire : douleurs épigastriques, diarrhée, perte de poids, méléna et/ou rectorragies. Les antécédents personnels d’ulcère et les antécédents familiaux de cancers digestifs ou de maladie cœliaque sont également à prendre en compte. Un interrogatoire exhaustif portant sur les symptômes digestifs mais aussi sur les habitudes alimentaires (régime végétarien, végétalien) et sur l’abondance du saignement en période menstruelle est donc fondamental. Des antécédents familiaux de carcinome colorectal doivent être recherchés (notamment parent au premier degré de moins de 50 ans ou deux parents au premier degré). La prise d’AINS ou d’aspirine doit être notée. Les antécédents familiaux de carence martiale (qui peuvent indiquer des troubles héréditaires d’absorption du fer), les troubles hématologiques (par exemple, la thalassémie), les télangiectasies et les troubles de l’hémostase doivent être recherchés. Des antécédents de don de sang ou toute autre source de perte de sang doivent être recherchés. La présence d’un ou de plusieurs de ces facteurs dans l’histoire clinique du patient ne devrait toutefois pas décourager d’autres explorations.

L’examen clinique contribue généralement peu mais peut révéler une masse abdominale ou des signes cutanés révélateurs de causes rares de saignement gastro-intestinal (par exemple, syndrome de Peutz-Jeghers et télangiectasie hémorragique héréditaire).

Biologie

L’analyse des caractéristiques des autres lignées sanguines, leucocytes et plaquettes, est également importante car elle peut orienter vers une cause centrale ou conforter l’hypothèse d’un saignement. Le dosage de la CRP (Protéine C réactive) à la recherche de pathologies inflammatoires est nécessaire.

Dans de rares cas, l’hémoglobinurie paroxystique nocturne, ainsi que d’autres causes d’hémolyse intravasculaire chronique, devront être recherchées dans les cas inexpliqués de carence en fer.

Examens morphologiques

Sauf lorsque la carence en fer est clairement liée à des besoins accrus, les patients doivent être explorés afin d’identifier une ou des causes de la carence en fer. Par argument de fréquence, un saignement chronique d’origine gastro-intestinale, ou une malabsorption digestive du fer sont à recherchés en première intention. Chez les hommes et les femmes ménopausées, l’anémie par carence martiale résulte de la perte de sang chronique du tractus gastro-intestinal dans 27 à 95 % des cas selon les études [9]. D’autres étiologies digestives sont la malabsorption intestinale comme dans la maladie cœliaque, la gastrectomie ou l’atrophie gastrique par achlorhydrie et l’infection à Helicobacter pylori[10].

Quels sont les examens à réaliser en première et en deuxième intention ? La stratégie d’exploration est définie en fonction des signes d’appel mais également en fonction de l’âge et du sexe du patient.

Les recommandations britanniques de 2011 mettent en exergue les points suivants, et différencient les patients avec ou sans anémie associée à la carence martiale :

  • Patients ayant une anémie par carence martiale :
    • Une endoscopie digestive haute et une coloscopie doivent être envisagées chez tous les hommes et les femmes ménopausées, chez lesquels une anémie par carence martiale a été confirmée, à moins qu’il n’y ait des arguments significatifs pour un saignement manifeste extradigestif (recommandation de grade A).
    • Tous les patients doivent avoir un dépistage de la maladie cœliaque (recommandation de grade B).
    • Si l’endoscopie digestive haute est réalisée comme examen initial, seule la présence d’un cancer gastrique avancé ou d’une maladie cœliaque doit faire sursoir à la coloscopie (recommandation de grade B). En particulier, la présence d’œsophagite, d’érosions et d’ulcères gastro-duodénaux ne devrait pas être considérée comme la cause de la carence martiale ; et chez les patients âgés de plus de 50 ans ou présentant une anémie marquée ou des antécédents familiaux significatifs de carcinome colorectal, une investigation par coloscopie doit toujours être envisagée même si la maladie cœliaque est détectée (recommandation de grade B).
    • La coloscopie présente des avantages par rapport aux examens d’imagerie radiologique du côlon (e.g. coloscopie virtuelle) pour l’exploration du colon, mais l’une ou l’autre des modalités endoscopique ou radiologique est acceptable (recommandation de grade B). La coloscopie présente les avantages suivants : elle permet la biopsie des lésions, le traitement des adénomes et l’identification de pathologies superficielles telles que les angiodysplasies et les lésions induites par les AINS. La réalisation de la gastroscopie et de la coloscopie au cours d’une même anesthésie accélère les investigations. La radiologie est donc une alternative lorsque la coloscopie est contre-indiquée, avec une sensibilité de la coloscopie virtuelle pour les lésions > 10 mm supérieure à 90 % [11].
    • Une exploration de l’intestin grêle n’est pas nécessaire à moins qu’il y ait des symptômes évocateurs d’une maladie de l’intestin grêle, ou si la carence martiale n’a pas pu être corrigée par une supplémentation martiale (recommandations de grade B).
    • Chez les patients présentant une carence martiale récidivante et des résultats normaux d’endoscopie digestive haute et de coloscopie, Helicobacter pylori doit être éradiqué s’il est présent (recommandation de grade C).
    • Les analyses de recherche de sang occulte dans les selles ne présentent aucun avantage dans l’exploration d’une carence martiale (recommandation de grade B).
    • Toutes les femmes non-ménopausées ayant une carence martiale doivent être dépistées pour la maladie cœliaque (dosage des anticorps), mais d’autres investigations digestives, à savoir l’endoscopie digestive haute et la coloscopie sont réservées aux personnes âgées de plus de 50 ans, celles présentant des symptômes suggérant des maladies gastro-intestinales et celles ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal (recommandation de grade B).
    • L’endoscopie digestive haute associée à la coloscopie pour l’exploration d’une carence martiale chez les patients gastrectomisés est recommandée systématiquement chez les patients de plus de 50 ans (recommandation de grade B).
    • L’examen rectal est rarement contributif et, en l’absence de symptômes tels que rectorragies ou un ténesme, il peut être différé jusqu’à la coloscopie.
    • La recherche d’une hématurie microscopique est importante chez les patients avec anémie par carence martiale, puisque 1 % d’entre eux présentent une malignité rénale (recommandation de grade B).
  • Patients ayant une carence martiale sans anémie :
    • Chez les patients présentant une carence en fer sans anémie, les investigations endoscopiques détectent rarement une néoplasie. De telles investigations devraient être envisagées chez les patients âgés de plus de 50 ans après avoir discuté du risque et du bénéfice potentiel avec eux (recommandation de grade C).

Si l’endoscopie digestive haute est réalisée comme examen initial, seule la présence d’un cancer gastrique avancé ou d’une maladie cœliaque doit faire sursoir à la coloscopie

Question des biopsies ?

Lorsqu’elle est pratiquée l’endoscopie digestive haute doit être associée à des biopsies duodénales et gastriques systématiques à la recherche d’une éventuelle maladie cœliaque latente et/ou d’une infection à Helicobacter pylori. La colonisation par Helicobacter pylori peut altérer l’absorption du fer et augmenter la perte de fer, entraînant une carence martiale [12]. La gastrite auto-immune a été identifiée comme une cause potentielle d’anémie par carence martiale dans jusque dans un quart des cas [13].

La réalisation en routine de biopsies duodénales dans le bilan d’une carence martiale semble rentable. Au Royaume-Uni, une maladie cœliaque est diagnostiquée chez 3 à 5 % des malades. Les recommandations britanniques sont donc claires sur la nécessité de réaliser systématiquement des biopsies duodénales sans distinction d’âge lors de l’endoscopie digestive haute [3].

Une giardiose (Giardia lamblia), parasitose cosmopolite, peut-être découverte de façon occasionnelle lors de l’exploration d’une carence martiale. En cas de diarrhée associée, les biopsies duodénales envoyées en parasitologie pourront aider au diagnostic. En cas de suspicion de giardiase, un examen parasitologique des selles doit être envisagé, même si l’histologie des prélèvements biopsiques duodénaux est négative.

Quid des femmes non ménopausées ?

Dans une étude portant sur 116 femmes pré-ménopausées d’âge moyen 33 ans, le taux global de lésions détectées par l’endoscopie digestive haute avec biopsies gastriques et duodénales était de 30 %, avec majoritairement des lésions gastriques, sans aucune lésion néoplasique. La présence de symptômes, un taux d’hémoglobine < 10 g/dL et une microcytose < 70 fl, étaient associés à la présence de lésions intestinales. Il est donc logique de proposer en première intention une endoscopie digestive haute (après avoir éliminé une cause gynécologique chez la femme) puisqu’elle permet un diagnostic dans environ 15 à 30 % des cas [14, 15]. Dans cette même étude, un taux d’environ 6 % de maladie cœliaque et 16 % de gastrite à Helicobacter pylori ont été rapportés, la réalisation de biopsies duodénales et gastriques systématiques est donc rentable lors de l’endoscopie digestive haute [15]. Il a également été suggéré, dans une étude portant sur 187 patientes pré-ménopausées ayant une anémie par carence martiale, la nécessité de réaliser l’endoscopie digestive haute même en présence de ménorragies, car celles-ci coexistent avec une cause de saignement digestif haut chez un tiers des patientes non ménopausées ayant une anémie par carence martiale [16].

Chez les patientes non ménopausées, le risque de méconnaître une néoplasie colorectale est plus faible. Dans une étude réalisée chez 111 femmes pré-ménopausées d’âge moyen 42,5 ans ayant eu un bilan endoscopique haut et bas pour l’exploration d’une anémie ferriprive, le taux de lésions responsables de l’anémie était de 20 % (22/111) avec 13 % de causes hautes, majoritairement des lésions érosives, et 7 % de causes basses dont 2,7 % de cancers. Dans cette série, la présence de symptômes digestifs, d’un saignement digestif occulte et la perte de poids étaient significativement associés à la présence de lésions endoscopiques [16]. La coloscopie peut être proposée en seconde intention, en cas de persistance ou d’aggravation de l’anémie ferriprive, ou d’emblée en cas de symptômes digestifs évocateurs ou en cas d’antécédents familiaux de cancer colique et a fortiori si le cas familial est survenu avant 50 ans.

Examens de seconde intention

Les endoscopies digestives haute et basse identifient la cause de l’anémie ferriprive chez 70 % - 80 % des patients [3]. En cas de négativité de l’endoscopie œsogastroduodénale et de la coloscopie, la question de poursuivre ou non les investigations est une interrogation constante, l’intestin grêle étant la cible d’une exploration plus approfondie [17]. Les causes d’anémie d’origine grêlique sont variables en fonction de l’âge. Chez les patients âgés de moins de 40 ans, les causes les plus fréquentes sont les tumeurs du grêle (lymphome, tumeurs carcinoïdes, adénocarcinomes, GIST), les polypes du syndrome de Peutz-Jeghers, le diverticule de Meckel, l’ulcère de Dieulafoy et la maladie de Crohn. Chez les patients plus âgés, les malformations artério-veineuses (angiodysplasies) constituent la cause la plus fréquente qui représente à peu près la moitié des causes de saignement digestif inexpliqué. Les autres causes de saignement digestif obscures sont l’entéropathie aux AINS, la maladie de Crohn et les tumeurs.

En cas de carence martiale avec anémie et signes cliniques d’hémorragie (saignement digestif obscur extériorisé), d’autres examens doivent impérativement être effectués pour examiner l’intestin grêle après une endoscopie gastroscopie et une coloscopie normales. Mais en l’absence de signe clinique digestif d’hémorragie (suspicion de saignement digestif obscure occulte) et a fortiori en l’absence d’anémie associée à la carence martiale, la question est plus difficile. Les recommandations de la British Society of Gastroenterology suggèrent qu’un examen complémentaire de l’intestin grêle n’est pas nécessaire d’emblée, mais doit être réalisé en cas d’absence de réponse à la supplémentation martiale (recommandations de grade B) [3]. Des études de suivi suggèrent que cette approche est raisonnable à condition que la carence alimentaire soit corrigée, les AINS aient été arrêtés et la concentration d’hémoglobine soit surveillée [18, 19].

On distingue les examens morphologiques radiologiques (entéro-TDM, entro-IRM) et endoscopiques du grêle (vidéocapsule endoscopique et entéroscopie : poussée, spiralée, ou double ballon). Le transit du grêle n’est plus à proposer en raison d’une rentabilité diagnostique qui n’excède pas 10 à 20 % [17]. De même l’angioscanner abdominal est inutile en l’absence de saignement extériorisé. Et il n’y a aucune preuve pour recommander la réalisation d’une scintigraphie à la recherche d’un diverticule de Meckel chez les patients ayant une carence martiale.

Compte tenu de son excellente rentabilité diagnostique et de son caractère non invasif, la vidéocapsule endoscopique est l’examen de référence en première intention devant un saignement digestif inexpliqué [17]. Les guidelines européens de l’ESGE (Endoscopy Society of Gastroenterology) ne recommandent pas en routine une seconde endoscopie digestive haute et coloscopie avant la réalisation de la vidéocapsule [17].

Dans une revue systématique, Koulaouzidis et al. [20] ont rapporté avec les données poolées de quatre études, un rendement diagnostique de la vidéocapsule de 66 % (IC95 % : 61,0-72,3 %) dans l’exploration d’une anémie ferriprive. Il n’y a pas d’études comparant l’entéroscopie double ballon ou spiralée chez les patients ayant une anémie par ferriprive. Néanmoins, un taux de complication comparable à celui observé chez les patients ayant un saignement digestif inexpliqué peut être attendu pour l’entéroscopie assistée par dispositif, c’est pourquoi la capsule doit être préférée en première intention. Dans le cadre de l’anémie par carence martiale, une étude prospective a comparé la vidéocapsule à l’entéroscanner. La vidéocapsule s’est révélée significativement supérieure à l’entéroclyse par scanner (rendement diagnostique de 77,8 % vs. 22,2 %, p < 0,01) [21]. Le succès de la vidéocapsule par rapport aux techniques radiologiques est principalement lié à la nature des lésions qui, dans 50 %-60 % des cas, sont de petites lésions vasculaires plates [22]. Aucune étude n’a comparé l’entéro-IRM à la vidéocapsule dans la population spécifique des patients ayant une anémie par carence martiale.

Actuellement, très peu d’études ont évalué l’intérêt de l’exploration du grêle dans le suivi à long terme des patients ayant une anémie par carence martiale. Les études existantes sont rétrospectives et hétérogènes en ce qui concerne les caractéristiques des patients, la durée du suivi, les modalités et le bilan effectué après les examens de l’intestin grêle. Deux études évaluant l’impact de la vidéocapsule dans la prise en charge des patients ayant une anémie ferriprive ont rapporté que la réalisation de la vidéocapsule conduisait à des changements de prise en charge, indépendamment du résultat positif ou négatif de la vidéocapsule, chez 44 % et 60 % des patients [23, 24].

Si le bilan diagnostique exhaustif avec endoscopie digestive haute et basse, vidéocapsule et/ou examen radiologique de l’intestin grêle est négatif, la poursuite des explorations sera dictée par le contexte clinique et le suivi du patient. En cas de persistance de l’anémie, ou de la récidive de celle-ci après une recharge en fer, il est licite de proposer un nouveau bilan endoscopique haut et bas dans des conditions optimales.

Un examen complémentaire de l’intestin grêle n’est probablement pas nécessaire d’emblée après une gastroscopie et coloscopie normales, mais doit être réalisé en cas d’absence de réponse à la supplémentation martiale

Conclusion

La carence martiale est une affection très fréquente de causes multiples et parfois intriquées. L’exploration de celle-ci dépend de l’âge et des antécédents du patient, ainsi que de la réponse à la supplémentation martiale dans certains cas. La gastroscopie et la coloscopie couplée sont la première ligne d’exploration indispensable chez les hommes et les femmes ménopausées. En cas de décision d’exploration du grêle, la vidéocapsule est l’outil diagnostique de choix.

Take home messages

  • Une endoscopie digestive haute et une coloscopie doivent être envisagées chez tous les hommes et les femmes ménopausés, chez lesquels une anémie par carence martiale a été confirmée, à moins qu’il n’y ait des arguments significatifs pour un saignement manifeste extradigestif.
  • Si l’endoscopie digestive haute est réalisée comme examen initial, seule la présence d’un cancer gastrique avancé ou d’une maladie cœliaque doit faire sursoir à la coloscopie.
  • Chez les femmes préménopausées, une endoscopie digestive haute peut être envisagée en première intention avant la réalisation d’une coloscopie.
  • Des biopsies duodénales et gastriques doivent être réalisées de manière systématique lors de la gastroscopie.
  • Une exploration de l’intestin grêle n’est probablement pas nécessaire en première intention après une gastroscopie et une coloscopie normales à moins qu’il y ait des symptômes évocateurs d’une maladie de l’intestin grêle, ou d’hémorragie digestive, ou si la carence martiale n’a pas pu être corrigée par une supplémentation martiale.

Soutien : cet article est issu d’un symposium organisé par John Libbey Eurotext avec le soutien institutionnel du laboratoire Vifor Pharma.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.


* Cet article est issu du symposium La carence martiale, au-delà de l’anémie, qui a eu lieu le 24 mars 2018 à l’occasion des Journées Francophones d’Hépato-gastroentérologie et d’Oncologie Digestive. Cet événement était organisé par John Libbey Eurotext avec le soutien institutionnel du laboratoire Vifor Pharma.

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