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Hématologie

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Ethicals issues of clinical research Volume 26, issue 1, Janvier-Février 2020

À propos des angles morts de la recherche

Chercher c’est s’efforcer de mieux comprendre et de mieux faire pour améliorer la prise en charge des hémopathies malignes, objectif prioritaire de l’engagement de tous les hématologues auprès de leurs malades.

La recherche clinique (RC), en apportant une information scientifique rationnelle, a permis d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques, graduées selon la force des résultats de la recherche, en remplacement ou en complément des seuls avis d’experts. Intriquée dans les soins dès la création de l’hématologie par les pionniers comme Jean Bernard, elle a été et reste à l’origine de progrès considérables et a contribué à la création de la médecine basée sur les preuves (EBM, pour evidence based medicine), grâce à des méta-analyses rigoureuses reprenant les études les plus récentes, les plus puissantes et de plus haut niveau conduisant à de nouveaux standards de soins. Si la RC contribue à réduire partiellement l’incertitude des connaissances, la pratique médicale ne peut être constamment protocolisée et nécessite, au quotidien, une continuelle adaptation des connaissances scientifiques générales apportées par la RC aux spécificités et aux singularités du patient. Ainsi s’explique que, malgré les avancées considérables de la recherche, l’incertitude du médecin devant son patient persiste et nécessite des concertations pluridisciplinaires souvent longues et complexes, faisant appel à parts égales à la compétence scientifique et à une démarche réflexive des hématologues pour proposer au patient la meilleure thérapeutique en accord avec les valeurs du malade. L’incertitude inhérente à notre métier d’hématologue doit nous faire douter de la valeur de nos pratiques et reconnaître que l’éthique de la recherche est un champ de recherche à part entière, dans lequel il faut progresser ensemble, en associant tous les acteurs.

Les enjeux éthiques de la recherche concernent un vaste sujet ayant fait l’objet d’une abondante littérature internationale. Ils peuvent s’observer à de multiples étapes depuis la conception, le recueil du consentement éclairé du patient, le recueil des données, l’analyse statistique et l’exploitation, jusqu’aux enjeux de publication. La commission éthique a fait le choix de ne pas en rédiger un catalogue exhaustif, pour ne mettre en lumière que quelques aspects considérés comme des « angles morts de la recherche » sur la suggestion de C. Prodhomme.

S’il n’est pas éthique de ne pas faire de RC, celle-ci ne doit pas se faire à n’importe quelle condition et J. Ceccaldi insiste sur l’aspect déontologique de l’éthique médicale, dont l’un des rôles est d’arbitrer les conflits pouvant survenir entre clinique et recherche.

Si l’éthique clinique doit s’appliquer à toutes les étapes de la recherche, l’un des enjeux prioritaires est de respecter l’intégrité scientifique. É. Fiat, lors de la séance d’actualité sur l’éthique, développera l’importance du regard des autres sur les inconduites scientifiques hors les règles éditées par la déontologie, mais surtout l’incontournable regard du soi, appelé conscience. Il illustrera son propos en nous contant le mythe de Gygès, où l’anneau qui rend invisible modifie la conduite des hommes. Dans un chapitre de ce travail, C. Bommier décline les différentes inconduites scientifiques, volontaires ou involontaires, qui constituent un angle mort majeur de la recherche. Ces manquements à l’intégrité scientifique peuvent être de cause multiples (méthodologie, recueil des données, statistiques, etc., jusqu’aux publications ou à leur absence). Dans un article original, il développera plus avant les causes et les conséquences de ces inconduites et soulèvera les nouveaux enjeux éthiques de l’évolution vers une nouvelle écologie de l’édition scientifique : la science ouverte. Parmi les enjeux éthiques de la recherche, lors de l’information du patient et dans les modalités de recueil de son consentement, il est essentiel, pour éviter un angle mort usuel de la recherche, d’identifier les incompréhensions et mauvaises interprétations pouvant induire de faux espoirs associés à la RC. Ainsi, A. Polomeni, parle de « malentendu thérapeutique » et plaide pour le développement de la recherche en sciences humaines et comportementales. L’éthique consiste non seulement à faire une recherche opportune mais aussi à la faire de manière juste. La proposition d’inclure un patient dans un essai clinique doit être débattue entre médecin référent et experts, voire gériatre ou réanimateur, à partir d’arguments scientifiques et personnalisés sur les fragilités du patient, d’où l’apport de la discussion multidisciplinaire avec l’infirmière ou la psychologue. Le rôle des infirmières auprès des patients qui se prêtent à la recherche médicale est souvent sous-estimé, voire méconnu, comme le souligne à juste titre C. Bauchetet – autre angle mort de la recherche en soins infirmiers actuellement en voie de correction par la récente reconnaissance universitaire et le développement d’une recherche en soins infirmiers propres grâce à des financements dédiés. L’enjeu éthique est de mieux s’interroger entre professionnels pour savoir à quel patient et à quel moment proposer l’inclusion dans un essai clinique, et faire en sorte que la décision de participation ou non reflète bien les valeurs et les préférences du patient – et c’est particulièrement le cas chez les personnes âgées, avec comorbidité ou en fin de vie. C. Prodhomme développe l’exemple de ces patients fragiles âgés et/ou atteints d’hémopathie en phase avancée pour lesquels très peu de recherches sont effectuées et qui constituent un angle mort très important de la recherche. N’est-il pas paradoxal que ces personnes puissent être exclues de toute démarche visant à définir la meilleure manière de les soigner, par une démarche méthodique de recherche scientifique ? Les patients pris en charge dans les hôpitaux non universitaires ont eux aussi une difficulté d’accès à la recherche clinique du fait de leur lieu de soin et A. Dony, conscient de cet angle mort qui concerne un grand nombre d’hémopathies malignes, cite l’exemple d’un centre hospitalier non universitaire (CNHU) qui a réussi à structurer une unité de recherche clinique (URC) par une étroite collaboration médico-administrative.

Bien d’autres enjeux éthiques, que nous n’avons pas traités ici, peuvent être soulevés en recherche comme les tensions entre l’intérêt collectif – faire avancer les connaissances sur une maladie – et l’intérêt individuel d’un patient. Les associations de patients comme les médecins ou les soignants ressentent, eux aussi, ces tensions, en assurant la double mission, d’une part, de constituer un relais d’information sur les essais cliniques en cours auprès des malades, voire de les promouvoir, et, d’autre part, d’assumer une vigilance éthique sur le design du protocole et sur la notice d’information pour le recueil du consentement du patient.

Ainsi, s’il n’est pas éthique de ne pas faire de RC, la recherche sur l’éthique de la recherche doit être développée pour éclairer ses angles morts, seule voie qui nous conduira à réduire l’incertitude.

À propos du code de déontologie médicale

Comme tout médecin exerçant en institution, l’hématologue est amené à cumuler quatre fonctions dans sa profession : soigner, éduquer, gouverner, et chercher. Les trois premières, qui correspondent à la clinique, à l’information et au management, sont, pour S. Freud, trois métiers de l’humain aussi vieux que le monde, mais que la modernité a rendus impossibles et que le psychologue H. Freudenberger considère comme à risque d’épuisement – qu’il est le premier à avoir nommé burn out, dans les années 1970 [1]. Quant à la quatrième fonction, enseignée par l’experte en sciences biomédicales qu’est la Faculté, elle est la voie royale pour quiconque envisage une carrière hospitalo-universitaire, et elle est particulièrement développée en hématologie.

Dans sa préface au Code de déontologie médicale, le philosophe P. Ricœur rappelle que l’un des rôles de l’éthique médicale est d’arbitrer les conflits pouvant survenir en pratique entre clinique et recherche : « la raison ultime en est que le corps humain est à la fois chair d’un être personnel et objet d’investigation observable dans la nature »[2]. Pour limiter ces tensions aux frontières, la tendance est de cantonner la recherche là où elle pose le moins de problèmes :

  • protocoles conçus en CHU par des médecins correctement formés,
  • études proposées à des personnes suffisamment autonomes pour qu’on n’ait pas à douter de la liberté de leur consentement, donc ni trop fragiles ni trop avancées dans leur maladie,
  • questions choisies pour exploiter les ressources des statistiques plutôt que celles des sciences humaines, etc.

Conséquences de cette propension et de ces choix stratégiques :

  • l’accès aux études reste limité, tant du côté des soignés que des soignants, en particulier ceux qui ne sont pas médecins et/ou qui exercent ailleurs qu’en CHU,
  • le fruit de ces recherches, non applicable à tous, ne profite qu’à une partie des malades concernés,
  • les questions relevant des sciences humaines, pourtant déterminantes pour progresser dans la qualité des soins, tardent à faire l’objet de travaux rigoureux.

Autant d’angles morts que notre commission d’éthique se propose d’aborder, sans prétention à l’exhaustivité ni intention moralisatrice. Avec le simple espoir que les textes nourris par l’expérience de leurs auteurs et/ou motivés par leurs questions bienveillantes favorisent la réflexion, voire suscitent des réactions et commentaires que la revue Hématologie pourrait accueillir dans ses pages ou sur son site.

À propos de l’intégrité scientifique

L’intégrité scientifique est un ensemble de règles qui gouvernent la pratique de la recherche et qui ont pour but de faire adopter par chaque chercheur une conduite intègre et honnête [3]. L’intégrité scientifique vise à la production de données justes et donc reproductibles.

Les inconduites scientifiques

Elles peuvent être volontaires ou involontaires. Si les inconduites les plus évidentes comme la fraude, le plagiat et la falsification, sont pénalement condamnées, en réalité très peu sont dépistées et reconnues en dehors des travaux conduisant à des publications dans les journaux scientifiques. Leur fréquence va croissant, et les rétractations d’articles qu’elles occasionnent ont été multipliées par 10 depuis 1975 [4]. La plupart des erreurs sont involontaires : erreur de recueil manuel des données, mésusage de certaines analyses statistiques, description d’une inférence abusive, obtention des résultats biologiques erronés, etc. Ces erreurs sont difficilement identifiables et ne sont pas souvent condamnables. Cependant, l’accumulation de ces manquements peut conduire au détournement de la vérité scientifique, surtout quand les résultats peuvent promouvoir des experts ou des fins commerciales.

Un contexte incitatif

L’ensemble des chercheurs ont le besoin professionnel de valoriser leur travail de recherche. Ainsi, la recherche du plus haut facteur d’impact est devenue une priorité. Or, on constate qu’il existe une corrélation entre ce facteur d’impact et le taux de fraudes et de rétractations d’articles [5, 6]. Il faut noter qu’il y a en moyenne dix valeurs de p par article, qui souvent sont < 0,05 [7, 8]. Dans les plus grandes revues, il n’y avait ces dernières années quasiment pas d’essai négatif, ayant un p > 0,05. En ne retenant que les journaux les plus importants, il y a de 87 à 99 % d’articles présentant des p < 0,05 [9]. Il existe en outre une réelle cassure entre les valeurs < 0,05 et ≥ 0,05, ce qui ne devrait pas être le cas si les pratiques étaient globalement intègres. La course aux financements et à la notoriété peuvent en partie expliquer l’augmentation exponentielle des inconduites scientifiques. Il est désormais clair que l’augmentation du nombre de publications est associée à un accroissement du risque d’inconduites scientifiques [10]. Les comités éditoriaux, conscients de ce problème, acceptent désormais, sous réserve d’une bonne méthodologie, de publier ces essais négatifs ; très peu sont cependant proposés par les investigateurs.

Des retombées sur plusieurs aspects

Les inconduites ont, tout d’abord, une retombée négative sur la réputation du scientifique et/ou de son équipe. Elles engendrent, en second lieu, un réel péril sanitaire, que ce soit pour les autres chercheurs ou pour les patients. Sur le plan financier, on estime à 28 milliards par an la perte budgétaire pour le système de santé aux États-Unis en raison de résultats non reproductibles en clinique. Le NIH estime à 425 000 $/article le coût du retrait d’une publication pour fraude, en frais d’instruction et de traitement global du dossier [11]. C’est non seulement la « Vérité scientifique » qui est impactée, mais plus largement le système de confiance qui devrait être le socle de la communauté scientifique et de sa relation au grand public.

Les garde-fous

Le premier rempart contre les inconduites demeure l’éducation scientifique ainsi que la formation continue à ces problématiques (coût des manipulations, coût de la fraude scientifique, statistiques, psychologie de la recherche, métrologie, etc. [12]). Il existe par ailleurs une charte nationale de la déontologie des métiers de la recherche [13], qui énumère un certain nombre de principes de bonne conduite. En recherche, compétence doit rimer avec intégrité [14]. Le deuxième rempart est le « scepticisme organisé », tel que le formulait Merton dès 1942, selon une autre modalité que la relecture anonyme et confidentielle par les pairs, telle qu’elle est pratiquée actuellement. Plusieurs plateformes réunissent aujourd’hui les chercheurs et servent de lieu de débats sur ce qui a été publié (ResearchGate, PubPeer, etc.) : dans ce nouvel environnement, réputation ne vaut plus protection [15]. Enfin, un troisième garde-fou est celui du contrôle qualité, que ce soit à l’échelle des laboratoires comme des URC.

La science ouverte : une nouvelle écologie de l’édition scientifique

Le système actuel de publication scientifique est l’objet de critiques récurrentes :

  • l’accès payant aux revues grève l’accès aux publications,
  • les auteurs cèdent gratuitement les droits de leur production, quand ils doivent payer pour pouvoir lire leur propre article,
  • le processus de publication est extrêmement long, ce qui devient de plus en plus anachronique,
  • le peer review se révèle très aléatoire, puisque seules deux à trois personnes vont juger de la qualité d’un travail.

Une alternative est ouverte avec l’open access. Ce système donne libre accès aux publications scientifiques par la mise à disposition immédiate, gratuite et permanente sur Internet de publications issues de la recherche. Depuis octobre 2016, les auteurs français disposent du droit de déposer leur travail dans une archive ouverte à partir du moment où celui-ci est financé pour plus de la moitié par des fonds publics, et ce dès la publication ou après un embargo d’une durée allant de six à 12 mois [16]. Le plan national pour la science ouverte [17] promeut ce changement des pratiques. Il s’inscrit aussi dans une logique plus européenne, représentée par le plan S, qui requiert la publication en open access de tous les résultats de recherche financée par des fonds publics applicable au 1er janvier 2021. L’une des manières de se conformer au plan S est de déposer une version autorisée par son éditeur (voir le site Sherpa/Romeo créé par l’université de Nottingham) dans une archive ouverte nationale, telle que la plateforme « hyperarticles en ligne » (HAL). Le plan S permet ainsi au chercheur, à la fois, de publier dans un journal de très haut niveau et d’être lu dans le cadre de cette « science ouverte ».

L’optimisation des dépenses de recherche et les modes d’évaluation ont poussé les chercheurs, cliniciens autant que fondamentalistes, à une obligation de résultats. Cette obligation contre-nature en recherche incite certains chercheurs à manquer – de manière volontaire ou non – à l’intégrité scientifique. Alors que les États européens nous engagent vers la science ouverte avec le plan S, il devient urgent de repenser l’écologie de la recherche et de prioriser ses raisons d’être : la compréhension la plus juste de la réalité, la poursuite de la vérité scientifique, le meilleur soin des patients de tous âges.

À propos des sciences humaines et sociales dans la recherche clinique en hématologie

La rigueur et le caractère scientifique des méthodes développées par les sciences humaines et sociales (SHS) et leur apport au champ de la RC ne sont plus à démontrer. Leur contribution ne se réduit pas au développement des mixed-method researches ou des instruments de mesure tels que les différentes échelles de qualité de vie ou encore des PROS (pour patients reported outcomes scales). Les études en SHS permettent de cerner l’impact du contexte institutionnel, marqué par « l’insuffisance des dotations financières, la précarisation des statuts des professionnels, de validation des activités à travers des publications scientifiques, les conflits d’intérêt » [18]sur les formes organisationnelles et les conditions pratiques de la RC. Ces travaux interrogent « le type d’objectivité produit[19]la nature de la preuve produite et l’utilisation des résultats des essais[20], mais aussi l’évolution même de l’organisation des essais en lien avec l’innovation épistémique »[21, 22]. Enfin, les SHS éclairent également les conditions de possibilité du consentement éclairé, le processus d’information et de décision en toute sa complexité. Cette complexité est liée aux aspects subjectifs, relationnels et institutionnels qui interviennent.

Informer pour inclure

Conçu comme un processus, le recueil du consentement éclairé implique différents temps [23] :

  • tout d’abord, la présentation orale par le médecin du protocole,
  • ensuite, la lecture par le patient des informations écrites, lecture suivie d’un nouvel échange entre médecin et patient pour éclaircissements,
  • enfin, un temps de réflexion avant la signature du consentement.

Plusieurs obstacles ont été identifiés dans ce processus d’information. Un premier obstacle est lié au fait que, dans la pratique, ce processus est souvent « accéléré », du fait des contraintes cliniques. Le patient peut ainsi être amené à signer un consentement sans avoir pu intégrer toutes les implications de cette décision, souvent prise dans des moments très chargés émotionnellement (annonce de diagnostic et/ou d’échec thérapeutique). Chacun connaît l’exemple de l’inclusion protocolaire d’une leucémie aiguë hyperleucocytaire. Un autre obstacle a trait à la qualité des documents censés apporter au patient des informations à la fois exhaustives et compréhensibles sur la RC [23],qui sont devenus des instruments légaux de protection des investigateurs et des promoteurs plutôt que des outils destinés à faciliter la prise de décision des patients [24]. Différentes études se sont intéressées aux informations que les patients et les investigateurs considèrent comme nécessaires pour le consentement éclairé [25, 26] ; diverses initiatives pour améliorer la lisibilité de ces documents existent, qui sont à louer1. Sans nier leur pertinence, soulignons qu’ils sont au service d’un processus d’information et de décision au sein duquel la relation médecin-malade prend une place cruciale. Du côté du médecin, il serait naïf de nier les motivations personnelles et professionnelles qui l’amènent à proposer au patient de participer à tel ou tel protocole. J.C. Thalabard affirme que ces motivations « échappent bien souvent à des arguments strictement rationnels scientifiques ou cliniques », et ressortissent à l’appartenance à la communauté professionnelle et à des bénéfices intellectuels et financiers [27]. Ces motivations intervenant de façon plus ou moins explicite dans la façon de présenter le protocole et d’informer le patient, il est du devoir éthique du médecin d’en être conscient et de ne pas négliger l’influence de ses propos sur la décision du patient. Du côté du patient, la question d’une inclusion dans un protocole suscite des interrogations, une confrontation à l’incertitude et à des sentiments de vulnérabilité pouvant le conduire à prendre sa décision en s’appuyant sur le seul conseil du médecin, voire sur la confiance qui lui serait octroyée [28] – même si d’autres sources d’information fiables (comme celles proposées par les associations de patients) sont disponibles.

Le « malentendu thérapeutique »

L’expression désigne le fait que le patient considère l’essai clinique comme une opportunité thérapeutique, plutôt qu’un moyen de produire une connaissance scientifique [29]. Ce « malentendu », susceptible de contribuer aux motivations des patients à participer à la recherche – l’espoir d’un bénéfice thérapeutique est autant évoqué que les raisons altruistes [30] – questionnerait l’efficacité du processus d’information et, par là, le caractère « éclairé » du consentement. D’après le philosophe W. Glanon, le consentement éclairé est, comme toute décision humaine, par essence « cognitive/émotionnelle » ce qui l’amène à considérer le « malentendu thérapeutique » comme « une dimension inévitable du processus imparfait de recrutement et de consentement dans la recherche médicale »[31]. Le malentendu thérapeutique a souvent été attribué au patient qui, du fait de la vulnérabilité suscitée par la maladie, entretiendrait des espoirs infondés quant aux bénéfices à attendre de sa participation à un essai clinique. Or, l’information donnée est nécessairement médiatisée par la relation soignante, par la façon dont l’investigateur présente l’essai et par l’interprétation qu’en fait le patient. Il a été démontré que les investigateurs pouvaient contribuer à cette confusion entre traitement et recherche [32], certains auteurs évoquant l’hypothèse qu’ils souffriraient eux-mêmes de ce « malentendu », croyant à un éventuel bénéfice thérapeutique du protocole proposé [33, 34]. Les aspects « non rationnels » étant inhérents au processus d’information et de décision dans les protocoles de recherche, il convient de ne pas les ignorer si l’on souhaite que le consentement ne soit pas une « imposture » [35].

Se former pour informer

Pour cela, il est indispensable que les investigateurs soient mieux formés à la relation de soin. Les SHS peuvent contribuer à cette formation, à condition qu’elles ne soient pas considérées comme un « supplément d’âme » à superposer aux savoirs scientifiques acquis au cours de l’enseignement médical. Il s’agit plutôt d’intégrer les perspectives que ces disciplines ouvrent pour la compréhension de l’humain et pour le développement des compétences relationnelles des soignants. Il est donc nécessaire de proposer des approches pédagogiques adaptées, permettant, au-delà de l’apprentissage de notions théoriques et/ou des « techniques de communication », une véritable réflexion sur la relation soignante [36, 37]. La création, dans différentes facultés de médecine, de modules de formation à la relation médecin-malade répond à cette nécessité, et l’efficacité des méthodes pédagogiques telles que le jeu de rôle ou les groupes Balint, a été démontrée [38, 39]. Notons que l’intérêt de ces espaces de parole et de réflexion ne se circonscrit pas à la formation initiale des soignants et constitue, entre autres, une approche préventive du syndrome d’épuisement professionnel, fréquent dans le champ de l’oncohématologie. En effet, constituant un des piliers de la démarche participative, la création des réunions pluriprofessionnelles contribue à la qualité de vie au travail des soignants et, par conséquent, à la qualité des soins octroyés aux patients et à leurs proches [40-42].

Inclure et soigner

La question de « l’imbrication croissante entre clinique et recherche »[43] a fait l’objet d’études et de débats éthiques, certains auteurs défendant une différenciation en fonction des objectifs (soin et production de connaissances scientifiques) [44], d’autres interrogeant l’étanchéité de cette frontière [45]. Force est de constater que « le soin est un enjeu irréductible des pratiques de recherche clinique », comme l’affirme B. Derbez à propos des essais de phase I en oncologie [46]. L’auteur montre comment la dimension du care imprègne la pratique de la recherche clinique : du côté du patient, le ressenti d’« une prise en charge attentionnée, d’un soin plus personnalisée » ; du côté des médecins-chercheurs, une implication susceptible de les amener à négocier ou à contourner les règles du protocole, à interpréter les critères d’inclusion, voire à introduire une dimension « compassionnelle » dans leur pratique. Par conséquent, une réflexion sur les modalités de participation des équipes soignantes, le processus d’information et d’inclusion des patients dans un essai clinique et sur l’accompagnement de ces patients tout au long de sa durée semble nécessaire. En effet, le patient peut solliciter différents professionnels intervenant auprès de lui à propos du protocole et le fait que ces soignants ne soient pas au fait de la RC en cours peut susciter des questionnements et des inquiétudes chez le patient et son entourage. Les modalités de recueil des données et leur utilisation dans la clinique devraient faire l’objet d’une attention particulière. Prenons l’exemple du recueil des données psychosociales et de la qualité de vie des patients inclus dans les protocoles, données essentielles à l’évaluation de nouvelles molécules. Les échelles utilisées à cette fin peuvent identifier des problématiques qui ne trouveront pas de réponses adaptées si les professionnels concernés (assistants sociaux, psychologues) ne sont pas informés de la réalisation de ces évaluations et des problèmes qu’elles peuvent révéler.

Inclure… et restituer

La restitution des résultats de recherche aux patients est une obligation éthique qui requiert du tact de la part du médecin. Tout d’abord, une certaine humilité est nécessaire, faisant la part du caractère collectif du travail de recherche et de l’incertitude que les protocoles ne peuvent pas éliminer. Relativiser les résultats est alors un premier pas pour que le patient comprenne les limites des réponses apportées par ce protocole, le caractère provisoire de ces réponses et les nouvelles questions qu’il ouvre. C’est ainsi que les « chiffres » produits par l’étude perdent leur allure « définitive » et viennent enlever aux résultats du protocole leur poids oraculaire. Notons que les résultats peuvent susciter – aussi bien chez le chercheur que chez les participants à l’étude – une certaine « déception » : pouvoir aider le patient à comprendre qu’une réponse négative à la question initialement posée par l’étude peut être aussi importante qu’un résultat positif semble là fondamental.Il peut paraître évident qu’il faille considérer l’écart entre le ressenti du patient et les résultats chiffrés d’une étude. Cet écart est déjà souvent présent dans la clinique : entre les chiffres des examens biologiques et le vécu corporel, il peut y avoir un décalage considérable (par exemple, entre l’état de fatigue éprouvé par le patient et une numération-formule sanguine correspondant aux normes). Au cours de la restitution des résultats de la recherche, ces éléments doivent être présents à l’esprit du médecin, afin que la participation du patient au protocole garde un sens pour celui qui s’y est impliqué. Ainsi, le parcours de recherche impose un accompagnement tout au long du protocole, à l’instar de ce qui doit être proposé pour le parcours de soin. En effet, la condition sine qua non pour l’exercice effectif de l’autonomie souhaitée du patient reste l’implication des soignants et la qualité de la relation soignante, clé de voûte du soin [47].

À propos des patients atteints d’hémopathie maligne en phase avancée ou vulnérables : la médecine palliative, un vecteur d’espoir ?

Les personnes âgées, atteintes de nombreuses comorbidités ou très altérées par une hémopathie en phase avancée sont souvent les plus difficiles à soigner. Peut-on entreprendre un traitement à visée curatrice ? Avec quelle intensité ? Restreindre la prise en charge à des traitements de support ? Il est très complexe de reconnaître a priori si le traitement proposé après une discussion collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) pourrait apporter un avantage, ou au contraire être délétère. En absence de recherche clinique, permettant d’établir des référentiels sur la prise en charge de ces patients fragiles, la décision thérapeutique est souvent basée sur l’expérience ou l’intuition du médecin référent, avec l’incertitude inhérente à ces situations.

Ces personnes sont en effet longtemps restées « hors champs » de la recherche médicale thérapeutique, et pour cause : si la recherche a pour objectif d’améliorer les pratiques et de fournir la preuve de l’efficacité d’une innovation thérapeutique dans les hémopathies, et qu’elle est applicable chez des patients non sélectionnés, elle demande l’inclusion d’une cohorte quantitativement significative, et qualitativement suffisamment homogène pour que les observations soient extrapolables à la pratique quotidienne. Exclus donc, les cas complexes ou les patients les plus fragiles. De plus, proposer à des personnes malades vulnérables un protocole de recherche soulève autant de craintes chez les soignants que chez le patient et sa famille. Le conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) a aussi pour mission de fournir des orientations sur la recherche en santé, y compris éthiques. Ainsi, dans la directive 13 de l’éthique internationale pour la recherche biomédicale sur les personnes humaines, il est recommandé d’exclure les personnes vulnérables, incapables de protéger leurs propres intérêts ; les individus dont la volonté de se porter volontaires pour un essai clinique peut être influencée par l’espoir, justifié ou non, de recevoir des bénéfices liés à leur participation, ou par la crainte de représailles de la part de personnes influentes en cas de refus, par exemple les patients souffrant de maladies incurables, et ceux incapables de donner leur consentement, etc. (1.61, ICH BPC 2016) [47]. Ainsi, les personnes âgées qui représentent plus des deux tiers des hémopathies malignes – dont certaines, comme les myélodysplasies ou les myélomes, ont des médianes d’âge de plus de 70 ans –, ou atteintes de comorbidités, ce qui est le cas d’une large part des adultes de plus de 50 ans, ou simplement trop altérées du fait d’un stade avancé, peuvent être considérées comme trop vulnérables pour être incluses, car n’étant pas aptes à donner un consentement respectant les bonnes pratiques de RC. Sans accès à la recherche, elles continueraient à être traitées selon les recommandations d’experts (niveau de preuve C de l’EBM), sans aucun référentiel de niveau de preuve A ou B.

Les études de phases précoces en hématologie offrent un bon exemple de consentement basé sur l’espoir et les distorsions cognitives chez des patients atteints d’hémopathie avancée. Pour qu’un patient puisse donner son consentement en toute connaissance de cause, l’hématologue investigateur doit aborder de nombreuses questions difficiles, comme la compréhension du pronostic, les espoirs et les craintes du patient, l’incertitude des résultats de la molécule testée, tout en démontrant le sérieux et la qualité de l’étude proposée. Les objectifs d’un essai de phase précoce (I/II) sont l’évaluation préliminaire de l’innocuité chez l’homme et la détermination de la dose optimale en termes d’efficacité et de tolérance, sans attendre d’efficacité et de bénéfice individuel direct à tous les paliers de dose. Pourtant, la possibilité qu’un patient en tire un bénéfice reste ouverte, à l’exemple des premiers essais de l’imatinib chez des patients atteints de leucémie myéloïde chronique en phase avancée. Tous les « faux espoirs » des patients sont-ils donc permis ? Des données suggèrent une relation entre la participation à un essai clinique de phase précoce et la dépression, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’impact du processus d’inclusion sur le bien-être de ces patients vulnérables [47]. T.W. Leblanc propose d’impliquer auprès des patients les cliniciens spécialisés en soins palliatifs au moment de l’inclusion dans un essai clinique [48]. Parmi les avantages des soins palliatifs précoces figurent en effet l’amélioration de la compréhension du pronostic du patient, la diminution des soins agressifs en fin de vie ou encore l’amélioration de la qualité de vie et de l’humeur dépressive : autant de domaines où les patients qui envisagent de participer à un essai de phase précoce peuvent tirer un bénéfice. Dans ce contexte, les professionnels de soins palliatifs peuvent accompagner le patient et ses proches dans un espoir réaliste et les aider à planifier tous les possibles, positifs comme négatifs. La faisabilité de ce concept est actuellement testée [49].

Mais comment a-t-il pu être démontré que les soins palliatifs amélioraient la qualité de vie des patients atteints de maladie grave et avancée ? Par la recherche médicale ! Depuis les années 2000, les études cliniques internationales démontrant l’intérêt de la collaboration précoce des équipes d’oncologies et de soins palliatifs ont augmenté de manière exponentielle et ont amélioré la rigueur scientifique des soins en fin de vie [50]. De plus en plus, l’EBM contribue à guider la pratique en soins palliatifs. La population de patients atteints d’hémopathie en phase avancée n’est plus exclue de ces recherches depuis une bonne dizaine d’années. Récemment, les cliniciens chercheurs en médecine palliative ont ainsi étudié, par exemple, la qualité de vie des patients âgés atteints de leucémie aiguë myéloïde sous traitement spécifique, intensif ou non [51], l’impact d’une prise en charge symptomatique palliative associée à une allogreffe [52], la différence de compréhension du pronostic des patients et de leur hématologue référent [53], l’expérience des proches de patients âgés atteints d’hémopathie maligne lors du retour au domicile [54] ou la pertinence de l’utilisation des PRO (pour patient-reported outcomes) dans le myélome multiple [55], etc. Les chercheurs en SHS et en médecine palliative ont mis au point un guide (le MORECare) de bonnes pratiques pour la mise en place d’une recherche scientifique auprès d’une population vulnérable telle que la population de patients en soins palliatifs [56].

Les recommandations ne retirent en rien le paradoxe et la tension éthique de la recherche chez les plus fragiles car comment randomiser, systématiser, protocoliser, uniformiser une prise en charge médicale, dans le contexte des hémopathies avancées ? Les valeurs du bon soin en médecine palliative reposent principalement sur une médecine individualisée et personnalisée. En phase palliative, la confrontation à l’extrême fragilité des patients et à la complexité des situations force à la remise en question, à l’inventivité et à l’adaptabilité des soignants et des soins aux besoins et à la temporalité centrée sur celle du patient. Ainsi, l’ajustement de la démarche palliative à la singularité de la personne et de sa situation est-elle compatible avec les contraintes méthodologiques d’une randomisation ? Ou, tout comme la clinique, la recherche en soins palliatifs ne peut être qu’inductive, c’est-à-dire ne relever que d’une méthodologie qualitative ? Pour répondre à cette tension éthique, dès la structuration de la recherche en médecine palliative en France (à travers la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie [57]) et dans l’objectif d’approcher au plus près la réalité des complexités des situations palliatives, les sciences médicales ont collaboré avec les SHS aux moyens de méthodes de recherche jusque-là souvent peu utilisées en médecine : méthodologies mixtes associant recherche hypothéticodéductive « quantitative » et recherche inductive « qualitative ».

Comment ouvrir la porte, dans nos services d’hématologie, à ces nouveaux types de recherche, pour en faire bénéficier les patients les plus vulnérables ? La participation à ces études peut-elle soutenir l’espoir des patients atteints d’hémopathie en phase avancée, tout comme le ferait une étude de phase précoce ? La réponse sera peut-être donnée par un projet ouvert à inclusion en France évaluant le bénéfice d’une prise en charge palliative spécialisée précoce en association à une prise en charge hématologique (ClinicalTrials.gov Identifier : NCT03800095) malgré des difficultés d’inclusion, proches de celles observées lors d’une étude similaire chez des patients atteints de cancer pulmonaire à petites cellules [58]. En soubassement des difficultés d’intégrer une population vulnérable dans une recherche clinique, il existe en France une difficulté au recrutement de patients au sein d’une étude spécifiquement conçue pour une population atteinte d’une maladie à une phase avancée, par le fait même de devoir nommer la démarche palliative ou ouvrir aux soins palliatifs spécialisés [59-61].

Ainsi, si l’amélioration des pratiques cliniques ne peut passer que par la recherche, même pour les populations habituellement exclues de cette dernière, la recherche ne peut faire abstraction de l’état actuel de notre culture du soin.

À propos des freins et de l’incontournable nécessité de la recherche clinique en centre hospitalier non universitaire

Bien que les patients pris en charge dans les CHNU doivent avoir accès aux mêmes soins que ceux des grands centres universitaires et ainsi avoir accès à des essais cliniques, la réalité est bien différente et constitue un des angles morts de la recherche.

Comment garantir l’accès aux patients à une prise en charge de qualité ?

La finalité d’un CHNU est de prendre en charge les patients de son bassin de population, selon des missions définies par les tutelles. N’étant pas universitaire, la priorité n’est pas donnée à la RC. Pour autant, les patients pris en charge dans ces structures doivent avoir accès aux mêmes soins que ceux proches de centres universitaires, et ainsi pouvoir participer à des essais cliniques sans devoir passer plus de temps dans les transports qu’à l’hôpital. Tout en veillant au bon fonctionnement des filières de soins et des liens avec les centres référents, les CH de proximité pourraient permettre aux patients un égal accès aux protocoles de RC, et par là même à l’innovation thérapeutique, sous réserve de l’implantation d’une URC. Cette situation n’est le fait que d’un petit nombre d’hôpitaux non universitaires de taille importante, aussi l’organisation de réseaux ou de filières de soins autour de centres référents permet une déclinaison des soins afin de donner aux patients l’accès au meilleur traitement possible, dans l’établissement le plus adapté à sa prise en charge. En oncologie et en hématologie, la création, par l’INCa, depuis une décennie d’équipes mobiles de recherche clinique (EMRC) avait comme objectif d’intégrer dans l’effort de recherche les patients pris en charge dans les CHNU. Effectivement, en hématologie, le profil des hémopathies prises en charge dans les CHNU diffère de celles prises en charge dans les CHU de par un âge souvent plus élevé, de pathologies plus souvent chroniques comme les syndromes myélo- ou lymphoprolifératifs, ou à un stade plus avancé de la maladie. C’est ce profil de patients, qui font très peu l’objet de protocoles thérapeutiques, qui constitue un angle mort important de la RC. Aussi, favoriser leur accès aux protocoles constitue un enjeu majeur de la RC.

Peut-on ouvrir la recherche en centre hospitalier non universitaire ?

Cette nouvelle mission des CHNU recommandée par l’INCa est en accord avec la forte culture de RC des hématologues exerçant dans ces structures. Cependant les freins sont nombreux ; certains de nature interne, comme l’absence ou la rareté des structures dédiées (URC), la labellisation insuffisante des pharmacies à usage intérieur (PUI), le manque des plateaux techniques d’imagerie ou biologiques, de moyens humains formés à la RC et d’encadrement administratif, ne permettant pas l’ouverture d’essais thérapeutiques en phases précoces par exemple. Plus important, le frein principal est d’origine externe : l’absence d’ouverture des CHNU par les promoteurs, qu’ils soient industriels ou institutionnels. Cependant, des exemples réussis comme celui du centre hospitalier Métropole Savoie (CHMS) peuvent être cités2. La détermination et la collaboration étroite des praticiens et de la direction hospitalière ont permis de considérer comme prioritaire le choix institutionnel autant que médical de la création d’une activité de RC. Le financement par l’INCa d’un temps partiel d’assistant de recherche clinique (ARC) dans le cadre des EMRC a été complété sur les fonds propres hospitaliers, par un poste d’ARC à temps plein, permettant le screening des patients potentiellement incluables lors des RCP en hématologie, suivi d’une lisibilité sous forme de la création d’une URC. Les crédits afférents aux missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (Merri) obtenus ultérieurement ont permis que le CHNU devienne promoteur d’études contribuant au développement d’études ultérieures dans d’autres spécialités.

Ainsi, pour que les patients puissent avoir un meilleur accès à de protocoles de RC, la coopération entre administration et soignants est une condition sine qua none. Malgré les difficultés du quotidien, la détermination à poursuivre une activité de RC est essentielle dans les CHNU car les autorités telles la direction générale de l’offre de soins (DGOS), tout comme les promoteurs, savent que les populations de patients ciblées par les grandes cohortes d’études sont prises en charge autant en CHNU qu’en CHU. La rigueur du travail permet de gagner la confiance des promoteurs, et l’ouverture par la suite de nouveaux protocoles. L’investissement se situe donc à moyen et à long terme, pour l’établissement, et représente un critère d’attractivité pour de jeunes praticiens.

À propos d’une déclinaison infirmière insuffisante de la recherche en hématologie

Les infirmières ont un rôle clé dans la recherche dans les services d’hématologie, qui invite à s’interroger sur leur place dans la recherche médicale en hématologie. Elles sont souvent confrontées aux questionnements des patients du type : « le médecin me propose d’entrer dans un protocole thérapeutique, qu’en pensez-vous ? » Dans les services d’hématologie à vocation universitaire, les protocoles de recherche thérapeutique sont nombreux, mais, bien que les pratiques aient évolué, les infirmières n’ont encore pas toujours connaissance de leur finalité ni des patients auxquels ils sont proposés. Il est essentiel qu’une culture collaborative soit plus développée pour les associer davantage au processus de consentement du patient : comment il a reçu l’information, quelles réticences il a pu objecter et/ou ce qui l’a incité à accepter ou refuser, pour éviter de les mettre en difficulté si l’information n’a pas été partagée. Les malades posent toujours des questions et les soignants non informés risquent de se sentir exclus, voire incompétents s’ils ne peuvent y répondre. De son côté le patient peut considérer que la communication « ne passe pas » dans ce service. Face à ces légitimes tensions au sein des équipes de soin, face à l’activité de recherche clinique, des organisations et une professionnalisation des infirmières sur des postes dédiés à la recherche sont actuellement mis en place dans la plupart des services [62].

Rôle des infirmières de recherche clinique ou de coordination

Effectivement, il est exigé dans les bonnes pratiques des URC l’identification d’un infirmier dédié et formé à la recherche clinique par un diplôme d’université spécifiquement dédié à la formation des infirmiers de recherche clinique (IDE-RC) : le diplôme interuniversitaire de formation des assistants de recherche clinique (DIU FARC). L’inclusion dans un protocole de RC fait intervenir des professionnels médicaux et non médicaux, notamment les IDE-RC en plus des ARC. Les missions des IDE-RC, souvent clairement définies dans les fiches de poste, répondent aux recommandations suivantes :

  • reformuler l’information au patient et s’assurer qu’elle a bien été comprise,
  • retransmettre l’information complète et systématique aux soignants en charge directe du patient.

Le patient inclus dans un protocole acceptera des surveillances biologiques et/ou d’imagerie plus contraignantes que les soins courants mais aussi une vigilance accrue pour dépister et consigner les éventuels effets secondaires. La coordination avec l’équipe de recherche doit être étroite et continue pour que le patient ne soit pas soigné « en millefeuilles ». À ce titre, elle sera en charge de retransmettre aux équipes soignantes les enjeux et résultats des études de la RC.

Place d’une démarche participative d’équipe

Le temps est contraint, mais la collaboration transdisciplinaire incluant le malade et ses savoirs expérientiels est essentielle. Il est difficile d’en faire abstraction pour assurer le bon déroulement du protocole. L’engagement de chaque profession en interaction avec les autres en est le préalable. Pour cela, les espaces d’échanges en démarche participative sont le lieu idéal afin que chaque soignant dispose des mêmes informations pour renseigner le malade mais aussi être témoin pour rapporter un effet secondaire que le patient oublie ou qu’il considère comme insignifiant.

La recherche en soins infirmiers

Les projets sont conçus, rédigés, coordonnés et conduits par les infirmiers concernant la question de recherche. Ainsi, depuis 2010, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) attribue des financements pour des projets hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PRHIP), ou des bourses pour des formations doctorales ou des financements privés. À ce jour, 158 PRHIP répondant à des problématiques soignantes ont été sélectionnés et financés, et bon nombre d’entre eux sont issus des services d’hématologie.

Ainsi, le métier d’infirmière évolue vers plus de reconnaissance du fait d’une formation plus universitaire avec, depuis 1999, selon les accords de Bologne, une évolution vers l’ingénierie de leurs diplômes au travers du système licence-master-doctorat (LMD), de nouveaux référentiels de formation, de pratiques avancées et de coopérations entre professionnels de santé. Un décret paru au Journal Officiel le 31 octobre 2019 fixe trois nouvelles sections au sein du Conseil national des universités (CNU) pour les disciplines de santé : celle de la maïeutique (CNU 90), celle des sciences de la rééducation et de la réadaptation (CNU 91) et celle des sciences infirmières (CNU 92) [63]. Jusqu’à présent, les infirmiers qui menaient des travaux de recherche le faisaient sous le couvert de professionnels autorisés. Cette nouvelle section du CNU ouvre la voie à un doctorat en sciences infirmières ; c’est une étape capitale dans l’évolution des carrières.

Le métier infirmier est riche de valeurs, essentiel dans les coopérations interdisciplinaires et reconnu par les usagers comme un service de qualité, mais cette reconnaissance doit encore évoluer sur le terrain pour que la profession soit reconnue à part entière par sa complémentarité dont la formation est classiquement organisée autour de quatre concepts se référant aux sciences humaines et de la vie : la personne et ses besoins fondamentaux, son environnement, le soin et la santé dans le contexte des pathologies et leurs traitements [64, 65]. Cette approche holistique, aux champs d’expertise et à la clinique spécifiques, très complémentaires des autres formations en santé, permet l’intégration des infirmières dans de multiples études interprofessionnelles et ne doit plus les isoler dans l’angle mort d’une recherche globale. Le chemin est long pour sortir des concepts anciens mais l’évolution de la médecine, notamment en hématologie, justifie amplement cette nouvelle reconnaissance.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.


1 Citons, entre autres, le Collège de relecteurs créé par l’Inserm ou le comité des patients de la Ligue contre le Cancer, ainsi que le travail des différentes associations de patients.

2 Remerciements au Dr A. François-Joubert, URC du CH Métropole-Savoie.

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