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Hématologie

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Infections fongiques invasives chez les patients traités par hypométhylants pour leucémie aiguë myéloblastique ou syndrome myélodysplasique : un risque à ne pas négliger Volume 26, issue 4, Juillet-Août 2020

Tables

Les infections fongiques invasives (IFI) sont responsables d’une morbimortalité surajoutée chez les patients traités pour une leucémie aiguë myéloblastique (LAM) ou un syndrome myélodysplasique (SMD).

Le diagnostic de ces IFI a été harmonisé par la publication des critères de l’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC) et du Mycoses Study Group (MSG), parus en 2008 et révisés en 2019 [1]. Ces critères hiérarchisent les diagnostics en IFI prouvées, probables ou possibles selon le trépied : données concernant l’hôte, données cliniques et données mycologiques. Le diagnostic d’IFI prouvée peut être établi indépendamment du terrain mais nécessite une preuve mycologique avec prélèvement d’un matériel physiologiquement stérile (e.g., biopsie pulmonaire), condition rarement rencontrée en pratique. Les diagnostics d’IFI probable ou possible nécessitent quant à eux que le patient soit immunodéprimé (e.g., neutrophiles < 500/mm3, > 10 jours) et de données cliniques compatibles avec une IFI (e.g., images pulmonaires à la tomodensitométrie). Les IFI probables sont appuyées par des arguments mycologiques, moins spécifiques que pour les IFI prouvées, alors que l’on conclut par défaut à une IFI possible en l’absence d’arguments mycologiques.

Cette étude rétrospective récemment publiée dans l’American Journal of Hematology, avait pour objectifs d’établir l’incidence des IFI chez les patients traités par agents hypométhylants pour une LAM ou un SMD, ainsi que d’étudier les facteurs de risque de telles infections dans cette population [2].

Cinq études s’étaient auparavant intéressées à l’incidence des IFI sous hypométhylants pour LAM ou SMD (tableau 1).

Il s’agit ici d’une étude monocentrique de l’université de Pennsylvanie, s’intéressant aux patients ayant reçu, entre 2010 et 2017, au moins deux cycles d’azacitidine ou de décitabine (fin de commercialisation en France) dont l’indication était une LAM, un SMD avec un R-IPSS au moins intermédiaire 1 ou une leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC) avec un CPSS au moins intermédiaire 2. Les patients étaient exclus s’ils recevaient une prophylaxie antifongique ou un traitement curatif antifongique à l’introduction de l’hypométhylant.

L’analyse s’est portée sur 203 patients dont l’âge moyen était de 69 ans. L’indication était une LAM (51 %), un SMD (46 %) ou une LMMC (3 %). L’agent hypométhylant utilisé était, dans 70 % des cas, l’azacitidine. Un quart des patients étaient neutropéniques à l’initiation du traitement.

Les auteurs rapportent 20 cas d’IFI, soit une incidence de 9,6 % dans leur centre. Selon les critères EORTC/MSG 2008 utilisés, 13/20 de ces IFI (65 %) étaient classées comme possibles, 4/20 (20 %) comme probables et 3/20 (15 %) comme prouvées. Le plus souvent, le diagnostic infectieux était porté tôt après l’initiation de l’agent hypométhylant, lors du troisième cycle de façon médiane, période durant laquelle les patients répondeurs sont le plus cytopéniques. Douze de ces vingt IFI se déclaraient sous azacitidine contre 8/20 sous décitabine. Dans cette étude, le facteur de risque principal de développer une IFI était la neutropénie profonde à C1J1 définie par des PNN < 500/mm3, c’est-à-dire à l’état basal du fait de l’hémopathie sous-jacente. En effet, les patients avec neutropénie profonde à l’initiation de l’agent hypométhylant avaient un risque d’IFI de 20,4 % – contre 5,8 % dans le cas contraire (p = 0,0051). Il est également rapporté un surrisque d’IFI chez les patients ayant un SMD post-traitement par rapport à un SMD de novo mais les neutropénies plus fréquentes à l’état basal dans le groupe post-traitement constituent un biais de confusion non négligeable. L’exposition prolongée aux corticoïdes et les antécédents d’IFI traitées ne ressortent pas comme facteurs de risque dans cette étude, bien qu’ils soient des éléments classiquement pris en compte en pratique clinique. Sur les 20 IFI rapportées, au moins deux ont été la cause du décès, rappelant la sévérité de ces infections sur les terrains d’hémopathies myéloïdes.

En conclusion, les patients traités par agents hypométhylants pour une LAM ou un SMD constituent une population à risque d’IFI, potentiellement fatales. Certain facteurs de risque d’IFI n’ont possiblement pas été mis en évidence dans cette étude, mais il paraît clair que la neutropénie profonde avant l’initiation du traitement écrase ces autres facteurs éventuels. Il n’est pas exclu chez ces patients que les IFI préexistent à l’introduction de l’hypométhylant de façon asymptomatique et que le traitement précipite les manifestations cliniques permettant d’établir le diagnostic uniquement a posteriori. Des stratégies de prophylaxie antifongique doivent être discutées, au moins dans cette sous-population en surrisque, en restant attentif aux interactions médicamenteuses possiblement occasionnées

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