JLE

Environnement, Risques & Santé

MENU

Quels risques à consommer des végétaux cultivés sur un sol potentiellement contaminé par des métaux lourds ? Volume 17, issue 6, November-December 2018

Figures


L’étude a été menée dans une région du sud-ouest de la Suède où la production de verre a débuté au 18e siècle, utilisant de l’oxyde de plomb pour la fabrication d’articles en cristal (qui en contient au moins 26 %) et d’autres oxydes métalliques pour celle d’articles en verre coloré (antimoine, arsenic, baryum, cadmium, chrome, cobalt, cuivre, zinc, etc.). Avant la mise en place de réglementations environnementales, les verreries installées dans quatre communes généraient d’importantes émissions atmosphériques de fumées de combustion et de poussière, ainsi que des centaines de tonnes de matériaux résiduels chaque année, déposés en des sites dont 31 figurent aujourd’hui sur une liste d’actions prioritaires. Les conséquences de l’exposition professionnelle passée ont été documentées, mais les effets de l’exposition environnementale sur la santé de la population générale sont méconnus. De récentes investigations montrent une augmentation de l’incidence du cancer dans la région, qui pourrait être liée à la contamination persistante des sols par des composés métalliques, dont l’arsenic et le cadmium classés par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) dans le groupe 1 des cancérogènes avérés.

La question traitée dans cet article est celle de l’impact sanitaire de la consommation de fruits et légumes ayant poussé sur un sol contaminé par des métaux lourds. En Europe comme aux États-Unis, où la pratique du potager (individuel ou partagé) se répand, quelques rapports indiquent que les végétaux cultivés en zone urbaine ou bordant d’anciens sites industriels peuvent contenir des éléments traces métalliques (ETM) au-delà des teneurs maximales réglementaires pour les aliments du commerce. Certains auteurs estiment que leur consommation peut entraîner une exposition dépassant les valeurs toxicologiques de référence. D’autres exposent l’argument d’une consommation incapable d’induire à elle seule des apports excédant les doses journalières tolérables (DJT). Pour les signataires de cet article, ce débat illustre les lacunes de l’évaluation des risques dans ce domaine, en particulier l’absence de référence à un groupe de comparaison pour mesurer l’excès d’apport chez les consommateurs de végétaux produits sur un sol contaminé.

Présentation de l’étude

Les 21 anciens sites de décharge les plus entourés d’habitations ont été inclus dans l’étude. Les concentrations d’ETM dans leurs sols dépassent largement les niveaux de fond moyens dans la région, déterminés à partir des analyses de plusieurs centaines d’échantillons de terre prélevés à 50 cm de profondeur dans les quatre municipalités où les verreries sont installées. Trois ETM des plus toxiques ont été considérés : le plomb (niveau de fond égal à 25 mg/kg ; valeurs dans les décharges allant de 130 à 31 000 mg/kg), le cadmium (0,12 versus 0,61 à 280 mg/kg) et l’arsenic (1,6 versus 33 à 2 300 mg/kg). Deux aires ont été délimitées : dans les 500 m autour du centre de chaque décharge (zone potentiellement contaminée) et à au moins 2 km du site le plus proche (zone témoin, sur la base de mesures dans des mousses montrant un contenu en ETM rejoignant le niveau de fond entre 1 et 2 km de distance). Près de 700 échantillons de 23 espèces de végétaux couramment consommés par les populations locales ont été collectés : légumes et fruits des jardins de 93 et 74 foyers respectifs des zones contaminée et témoin (pommes de terre, salades, carottes, oignons, haricots, pommes, poires, cerises, etc.), ainsi que champignons (girolles et cèpes) et baies sauvages (framboises, fraises des bois, myrtilles, mûres) poussant autour de quatre sites. Des échantillons composites ont été constitués pour détermination de la concentration en plomb (Pb), cadmium (Cd) et arsenic (As) de chaque sorte de végétal par des méthodes analytiques présentées dans l’article.

L’exposition a été estimée pour des adultes en raison de la disponibilité de données de consommation alimentaire issues d’une récente enquête nationale de l’Agence suédoise de sécurité alimentaire (sujets âgés de 18 à 80 ans). Les données des 1 766 participants ayant déclaré avoir consommé au moins l’un des 23 végétaux sur la période d’observation (limitée à quatre jours) ont été utilisées. Deux approches ont été appliquées : déterministe et probabiliste. La première a produit une estimation centrale de l’apport journalier en Pb, Cd et As lié à la consommation de chaque végétal, à partir des valeurs médianes de concentration (dans l’une et l’autre zone), de quantité consommée et de poids corporel des consommateurs (population de l’enquête), ainsi que de la part des végétaux provenant de potagers ou récoltés dans la nature (sur la base d’une autre enquête auprès de 776 habitants de la région). L’approche probabiliste (simulations de Monte Carlo intégrant la variabilité de tous les facteurs critiques d’exposition) a permis d’établir la distribution de l’exposition totale à chacun des trois métaux résultant de la consommation de l’ensemble des végétaux. Le 95e percentile a été pris pour valeur d’exposition maximale raisonnable.

Discussion autour des résultats

Si les végétaux collectés dans la zone potentiellement contaminée présentent généralement des teneurs en ETM plus élevées que ceux de la zone témoin, ce n’est pas toujours le cas, et seul le Pb est mesuré à des niveaux significativement supérieurs dans la plupart des échantillons analysés. À quelques exceptions près, les concentrations des trois métaux n’excèdent pas les teneurs maximales réglementaires pour les aliments sur le marché. Une évaluation de risque fondée sur les niveaux de contamination aurait ainsi conclu à un risque faible ou absent.

L’apport journalier estimé par la méthode déterministe reste dans les limites de la DJT pour les trois métaux. En référence aux valeurs médianes fournies par l’approche probabiliste, le risque de dépassement de la DJT dans la zone potentiellement contaminée peut être estimé faible. À la valeur maximale, la marge est réduite, surtout pour le Cd, avec une exposition estimée à 0,22 μg/kg/jour pour une DJT de 0,36 μg/kg/jour établie par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). La contribution de l’apport alimentaire à la DJT du Pb et de l’As est moindre (respectivement 23 et 27 % versus 61 % pour le Cd) et les auteurs reconnaissent que la valeur maximale est surévaluée pour l’As, considéré en totalité sous forme inorganique.

Les simulations de Monte Carlo révèlent surtout l’impact de faibles différences des niveaux de contamination entre produits des zones témoin et potentiellement contaminée sur les niveaux d’exposition des populations des deux zones. Ainsi, pour l’exposition au Pb, la valeur maximale raisonnable dans la zone témoin correspond à la valeur médiane dans la zone potentiellement contaminée. L’écart est encore plus net pour l’As avec une valeur maximale dans la zone témoin atteinte au 22e percentile de la distribution dans la zone potentiellement contaminée. La médiane et la maximale sont environ deux fois plus élevées dans cette zone que dans la zone témoin pour le Pb et le Cd, et quatre et six fois plus élevées pour l’As. En n’entrant que les données de consommation alimentaire et de poids corporel d’un sous-échantillon de 500 participants à l’enquête habitant la région considérée, des différences significatives sont mises en évidence pour les trois métaux à toutes les valeurs de la distribution (moyenne, maximale et chaque décile), suggérant que l’ensemble de la population est concernée, du plus faible au plus fort consommateur.

Ces résultats soulignent l’intérêt de l’approche probabiliste. En particulier, une valeur d’exposition maximale raisonnable ne peut être obtenue en additionnant les extrêmes issues de calculs déterministes, le pire scénario d’un sujet dont le poids avoisine le minimum consommant des quantités proches du maximum de chaque aliment contaminé au plus haut niveau n’étant pas crédible. Le calcul probabiliste présente néanmoins des défauts qui limitent la précision et la fiabilité des résultats. Des incertitudes pèsent également sur les DJT disponibles.

Face à ces facteurs nourrissant le doute, les auteurs avancent deux arguments écartant la possibilité de conclure à un risque sanitaire nul ou négligeable pour la population de la zone potentiellement contaminée. L’évaluation concerne des adultes : les prises alimentaires sont plus importantes pour les enfants relativement au poids corporel. L’alimentation n’est pas à considérer isolément : même si la consommation de végétaux produits localement ne fait qu’augmenter légèrement les apports en métaux lourds, il est possible que ceux via d’autres voies (eau de boisson, poussières ingérées, etc.) soient accrus dans les mêmes proportions.


* Augustsson A1, Uddh-Söderberg T, Filipsson M, et al. Challenges in assessing the health risks of consuming vegetables in metal contaminated environments. Environ Int 2018 ; 113 : 269-80. doi : 10.1016/j.envint.2017.10.002

1 Department of Biology and Environmental Science, Linnaeus University, Kalmar, Suède.

Licence This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License