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Protecting workers against risk of exposure to carcinogenic, mutagenic, and reprotoxic agents in France Volume 17, issue 1, January-February 2018

Figures


  • Figure 1

Tables

Malgré une prise de conscience des pouvoirs publics et une synergie entre les acteurs nationaux concernant la prévention des cancers professionnels, des inégalités sociales persistent en termes d’expositions et de prévention des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Les précédents travaux de Havet et al.[1, 2], à partir de l’enquête « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels » (SUMER) 2010, ont notamment montré que les expositions des salariés français concernaient davantage les hommes et les salariés les moins qualifiés comme les ouvriers, les travailleurs de nuit et les salariés à contrats précaires. Se pose alors la question de savoir si ces populations, qui sont les plus fortement exposées, sont également celles qui bénéficient le plus des mesures de protection afin de réduire le risque encouru. Dans le cas contraire, cela suggérerait que des marges de manœuvre en termes de réduction des risques de cancers professionnels seraient encore facilement exploitables.

Cet article propose ainsi d’évaluer les moyens de préventions collectifs et individuels mis en place en France vis-à-vis des expositions professionnelles aux CMR et d’examiner les disparités existantes dans la mise en œuvre de ces mesures de protection en poursuivant l’exploitation des données de l’enquête SUMER 2010, réalisée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et la Direction générale du travail (DGT). En comparant les résultats obtenus à ceux de Havet et al.[1,2], nous chercherons ainsi à savoir si les facteurs réduisant les risques d’exposition aux produits CMR sont aussi synonymes d’une meilleure protection en cas d’exposition. Notamment, les ouvriers qui représentent la catégorie de salariés la plus exposée, sont-ils aussi les mieux protégés ? Les grandes entreprises ont-elles davantage mis en place des mesures de protection efficaces ? Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués syndicaux semblent-ils jouer un rôle déterminant dans la mise en place de ces protections ?

Les stratégies de protection en France

En France, la stratégie de protection des travailleurs relative à la prévention des risques CMR est fondée, d’un point de vue réglementaire, sur la suppression ou l’obligation de substitution particulièrement stricte (décret n̊ 2001-97 du 1er février 2001). En cas d’impossibilité technique, les expositions aux agents CMR doivent être réduites autant que possible par la mise en œuvre de mesures de protection adaptées. La protection doit de préférence être collective puisqu’elle est la plus efficace pour éviter au salarié tout contact avec les substances CMR par voie cutanée ou par voie respiratoire [3]. Parmi les mesures de protection collective, le travail en vase clos est à privilégier (art. R4412-68 du Code du travail). C’est un système autorisant le confinement maximal des substances utilisées ; ainsi tout contact entre les opérateurs et les produits concernés peut être évité. Toutefois, ce travail en vase clos nécessite que toutes les opérations du procédé (transfert, transport des produits, production, nettoyage et entretien, analyse, élimination des déchets, etc.) respectent ce confinement total. Sa mise en œuvre pratique peut se traduire par des aménagements organisationnels importants tels que la mécanisation du procédé ou une automatisation de certaines tâches.

En termes d’efficacité, viennent ensuite les autres mesures de protection collective telles que l’aspiration à la source ou l’encoffrement. Le captage à la source est une mesure qui consiste à canaliser le flux des polluants émis vers une installation de ventilation ou d’élimination, évitant ainsi sa diffusion dans l’atmosphère du local de travail. Il doit se faire au plus près du point d’émission pour maximiser son efficacité. L’encoffrement consiste lui à mettre en place des barrières physiques (cloisons, parois, capotage, etc.) qui empêchent le polluant mis en cause de se propager dans l’atmosphère. En revanche, la ventilation générale, qui dilue les polluants dans l’ambiance de travail, n’empêche pas l’inhalation directe des agents CMR par les salariés. Son effet est, par conséquent, limité en tant que protection collective pour les produits CMR [3].

Les protections individuelles sont, quant à elles, des techniques moins efficaces et elles ne peuvent à elles seules être suffisantes (art. R4412-70 du Code du travail). Il faut davantage les envisager comme des compléments aux dispositifs de protection collective. En particulier, leur utilisation n’est pas systématique car contraignante, et elle nécessite des renouvellements fréquents qui ne sont pas toujours effectifs [4]. En outre, leur mise à disposition ne signifie pas qu’elles soient utilisées. Parmi les protections individuelles, les protections cutanées constituent, après les protections collectives, un rempart essentiel contre de nombreux dangers. Elles concernent l’ensemble du corps : gants, blouse, salopette, bottes, écran facial ou autres vêtements de protection résistants. Certaines opérations exigent même de porter une combinaison de protection contre les produits chimiques (incluant des lunettes ou un masque), parfois en complément d’une protection respiratoire. Toutefois, l’utilisation des protections respiratoires doit être limitée à quelques situations exceptionnelles car le port d’un équipement de protection individuelle respiratoire reste gênant et rend le travail souvent pénible [5]. Il ne protège, en outre, que le salarié qui le porte et non les personnes à proximité. Par ailleurs, leur efficacité est aussi limitée dans le temps. Ainsi, son utilisation devrait être retenue lorsque le salarié est susceptible d’inhaler des gaz, des vapeurs, des poussières ou des aérosols dangereux pour la santé. La mise en place de consignes portant sur un comportement à adopter ou des règles d’hygiène à suivre (éviter de respirer les vapeurs, se doucher, etc.) est une mesure de prévention pour la plupart du temps complémentaire aux autres types de mesure et qui a, à cette condition, tout son intérêt [6].

Méthodologie de l’enquête SUMER 2010

L’enquête SUMER 2010 a été administrée par 2 400 médecins de santé au travail dont l’expertise et les connaissances de terrain assurent la fiabilité de l’information recueillie sur les risques professionnels. D’autre part, le grand nombre de salariés interrogés – près de 50 000 salariés, représentatifs de plus de 90 % des salariés français – permet de quantifier des expositions à des risques relativement rares, et dans notre contexte, d’observer suffisamment de salariés exposés aux agents CMR [7]. La portée des résultats obtenus est donc importante.

Les données ont été collectées par des médecins du travail volontaires en charge des visites annuelles obligatoires des salariés. Les salariés interrogés ont été tirés aléatoirement parmi les visites obligatoires programmées chez ces médecins. Ils ont notamment été questionnés sur leurs expositions aux produits chimiques durant la semaine précédant leur visite médicale. Cette enquête permet d’identifier l’exposition à 28 agents reconnus CMR avérés (Groupe 1 dans les classements) ou probables (Groupe 2 dans le classement de l’Union européenne ou 2A dans celui du Centre international de recherche sur le cancer [CIRC]) dans au moins une des deux listes à ce jour [4, 8, 9] (agents sur la figure 1). Pour chaque situation d’exposition, le médecin-enquêteur renseigne aussi s’il existe une protection collective mise en place et si oui de quel type : ventilation générale ; aspiration à la source ; vase clos ; autre protection collective. L’enquête SUMER recense également si le salarié bénéficie de protections individuelles à l’aide de trois variables dichotomiques (Oui/Non) : existence d’une protection cutanée ; existence d’une protection respiratoire ; existence d’une protection oculaire. Enfin, en plus des caractéristiques des salariés (genre, âge, ancienneté), l’enquête inclut des informations relatives à l’emploi telles que :

  • la catégorie socioprofessionnelle (cadres et professions intellectuelles supérieures ; professions intermédiaires ; employés administratifs ; employés de service ; ouvriers qualifiés ; ouvriers non qualifiés et agricoles) et le statut de l’emploi (fonctionnaire ; apprenti ou stagiaire ou intérimaire ; CDD ; saisonnier et pigiste ; CDI ; agent à statut) ;
  • les caractéristiques de l’emploi : rythmes de travail (en équipe tournante ; travail de nuit), et temps de travail (temps partiel ou temps plein) ;
  • les caractéristiques de l’entreprise : taille, activité de sous-traitance, présence de délégués syndicaux, d’un CHSCT, et d’une intervention dans les 12 derniers mois d’un intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP).

Résultats

Au total, 2,2 millions de salariés ont été exposés en 2010 à au moins un agent CMR au cours de la semaine précédant l’enquête, dont plus de 700 000 connaissaient des multi-expositions, soit au total 3,4 millions de situations d’exposition. Globalement, les mesures de protection semblent encore insuffisantes puisqu’une protection collective efficace (hors ventilation générale) n’est présente que dans moins d’un tiers de ces situations d’exposition aux agents CMR, que dans 27 % des cas les équipements de protection individuelle sont l’unique moyen de protection et que dans 19 % des cas aucune protection – collective ou individuelle – n’est mise à la disposition du salarié.

Lorsque les protections collectives existent, il s’agit en premier lieu d’aspiration à la source (13 %). Les systèmes de vase clos ne sont que très rarement mis en place dans les entreprises (1 %). La ventilation générale est présente dans 19 % des situations d’exposition aux agents CMR. Sur les 3,4 millions de situations d’exposition estimées en 2010, 43 % bénéficient de la mise à disposition de protections individuelles cutanées, 30 % d’appareils de protection respiratoire et 26 % d’une protection oculaire (lunettes à branches, lunettes masques, écrans faciaux, etc.).

Nos résultats confirment le diagnostic de la campagne ministérielle d’évaluation du respect de la réglementation en 2006. Sur les 904 établissements contrôlés utilisant des agents CMR de catégorie 1 ou 2, un tiers n’utilisait que des équipements de protections individuelles et dans 9 % d’entre eux, il n’y avait aucune mesure technique de prévention [10]. Nous pouvons supposer que le confinement total requis par les systèmes en vase clos à chacune des étapes d’utilisation est sans doute l’obstacle principal à leur mise en œuvre pratique, alors que celle pour les ventilations générales semble plus accessible.

Des variations dans la mise en place des protections collectives en fonction des produits CMR

Intéressons-nous plus en détail aux protections collectives. La proportion des expositions ne bénéficiant d’aucune protection collective varie de 13 % pour l’arsenic et ses dérivés à 46 % pour la silice cristalline (figure 1). Cet écart est également important pour l’aspiration à la source qui bénéficie à 30 % des salariés exposés aux poussières de bois contre seulement 3 % des salariés exposés aux bitumes, goudrons de houille et leurs dérivés. Ces chiffres mettent en évidence une certaine inégalité en termes de protection collective en fonction du produit auquel le travailleur est exposé.

Si nous abordons ce premier constat du point de vue de la réglementation, certains résultats sont intéressants. La silice cristalline, produit pour lequel la proportion des expositions sans aucune protection collective est la plus importante, est un produit qui n’apparaît pas en catégorie 1 ou 2 dans la classification de l’Union européenne. De même, les fumées de vulcanisation, caractérisées par les plus faibles proportions de situations ayant recours au travail en vase clos, ne figurent pas non plus sur la liste de l’Union européenne, puisqu’elles ne peuvent être classées ne s’agissant pas d’une substance mise sur le marché mais du résultat d’un procédé. Les fumées dégagées par les procédés de la métallurgie, non classées sur la liste de l’Union européenne pour les mêmes raisons que les fumées de vulcanisation, bénéficient peu de mesures de protections collectives efficaces (aspiration à la source, vase clos) au profit de la mise en place de ventilation générale : les expositions à ces fumées présentent en effet la proportion la plus importante de protection par ventilation générale. Nous pouvons ainsi suspecter que les inégalités en termes de mise en place de protection collective selon le produit concerné sont en partie dues à la question de la réglementation. D’ailleurs, les expositions aux produits classés catégorie 1 ou 2 dans la classification de l’Union européenne sont, d’une part, moins sujettes à l’absence de protection collective (31 % versus 37 %) et, d’autre part, beaucoup plus susceptibles de bénéficier d’une aspiration à la source (17 % versus 9 %) que les expositions aux produits classés cancérogènes uniquement par le CIRC. Toutefois, derrière ces mesures globales de mises en place de protection collective se cachent des disparités entre les différents groupes de salariés.

Davantage de protections collectives pour les cadres et les professions intermédiaires

Les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires sont les catégories socioprofessionnelles bénéficiant le plus de protections collectives : seulement 18 % des cadres exposés aux agents chimiques CMR ne disposent d’aucune protection collective contre 41 % des ouvriers qualifiés (tableau 1). En outre, les postes de cadres disposent de trois fois plus de système en vase clos (3,6 %) que la moyenne (1,3 %).

Les employés de service et les employés administratifs sont les moins efficacement protégés puisque de très fortes proportions d’entre eux (35,5 % et 38 %) ne bénéficient d’aucune protection collective ou ne bénéficient que du système limité de ventilation générale (24,2 % et 29,4 %).

Même une fois prises en compte, les disparités éventuelles entre fonctions exercées, secteurs d’activités, types de contrat ou tailles d’établissement par des régressions logistiques multivariées1, les cadres et les professions intermédiaires restent les catégories avec la probabilité la plus élevée de bénéficier d’une protection collective au sens large, mais aussi d’une protection collective efficace telle que l’aspiration à la source. Or, comme les ouvriers présentent les taux d’exposition aux agents CMR les plus élevés et les durées et intensités d’exposition les plus importantes [1, 8], nos résultats suggèrent que des axes de prévention prioritaires devraient être dégagés vis-à-vis de cette catégorie socioprofessionnelle pour laquelle les protections collectives semblent encore insuffisantes. Pour les employés, les efforts de mise à disposition de protections collectives pourraient être renforcés en s’orientant davantage vers des systèmes de vase clos ou d’aspiration à la source que vers des systèmes de ventilation générale.

En plus de la catégorie socioprofessionnelle, le statut de l’emploi est aussi associé à des disparités dans les mesures de protection collective (tableau 1). Les agents à statuts particuliers (SNCF, EDF, etc.) exposés sont proportionnellement moins nombreux sans protection collective (18 %), suivis par les emplois très précaires (apprentis, stagiaires, intérimaires) (27 %). Toutefois, les agents à statuts particuliers bénéficient essentiellement de systèmes de ventilation générale alors que les apprentis et les stagiaires exposés bénéficient fortement d’aspiration à la source (19,6 %) comme protection collective. Ainsi, alors que les emplois très précaires cumulent, d’une part, les plus forts taux d’exposition [1] et, d’autre part, les expositions les plus longues et les plus intenses [8], ils ont une probabilité plus importante de bénéficier d’une protection collective efficace par rapport aux autres types d’emplois2.

Des protections collectives moins efficaces pour les emplois à horaires atypiques

Les salariés exposés aux CMR travaillant en équipe tournante bénéficient davantage de protections collectives au sens large que les salariés à horaires réguliers : ils sont respectivement 29,5 % à n’avoir aucune protection collective contre 36,5 % pour ceux non soumis à ces horaires atypiques (tableau 2). Toutefois, ce résultat tient au fait qu’il est davantage mis à leur disposition un système de ventilation générale (+12 %), peu efficace contre les risques associés aux produits CMR. Ce phénomène est aussi observé pour les travailleurs de nuit. En outre, les travailleurs de nuit bénéficient significativement moins de dispositifs d’aspiration à la source (-7 %).

En conséquence, pour les travailleurs aux horaires atypiques, c’est-à-dire travaillant en équipe tournante ou de nuit, la réduction des risques encourus ne devrait pas forcément passer par une augmentation des moyens de protection, mais par leur réallocation vers les mesures de protection collective les plus efficaces, à savoir les systèmes en vase clos et l’aspiration à la source, pour lesquels ils présentent aujourd’hui un déficit.

Un rôle limité des CHSCT et des représentants syndicaux dans la mise en place des protections collectives

La présence d’un dialogue social au sein de l’entreprise semble-t-elle favorable à une implantation renforcée de protections collectives au sein des établissements ? Selon le tableau 3, les entreprises dans lesquelles sont présents des CHSCT et des délégués syndicaux semblent mettre davantage en place des protections collectives en cas d’exposition (+10 %).

Toutefois, une fois contrôlées les différences potentielles entre ces entreprises dans les caractéristiques des salariés (genre, âge, ancienneté) et dans les types d’emplois occupés (fonction, catégorie socioprofessionnelle, statut, temps de travail, secteur d’activité, etc.), il ne persiste aucune différence significative dans les mesures de protection collective entre, d’une part, les entreprises ayant un CHSCT et celles n’en ayant pas et, d’autre part, entre les établissements où des délégués syndicaux ont été élus et ceux où il n’y en a pas3. Ainsi, les écarts observés dans le tableau 3 sont entièrement attribuables à des différences d’emplois ou de secteurs.

Le rôle des CHSCT et des représentants syndicaux est ainsi limité dans la mise en place de protection collective. Or, selon le Code du travail (art. R 4412-86 ; art. R 4412-93), les employeurs doivent constituer un CHSCT dès que l’effectif de leur établissement atteint 50 salariés et doivent mettre à la disposition des membres du CHSCT et des travailleurs exposés tous les résultats d’évaluation et les informations concernant les activités ou procédés industriels utilisant des agents CMR, ainsi que les raisons de cette utilisation, la nature et le degré des expositions, le type d’équipement de protection à utiliser ou encore les cas de substitution par un autre produit [11]. Malgré ce dispositif, les CHSCT ne semblent donc avoir un rôle déterminant ni dans la diminution des taux d’exposition [8] ni dans la mise en place de protections collectives. Néanmoins, Havet et al.[8] ont montré, à partir des données de l’enquête SUMER 2010, que la présence d’un CHSCT permettait de réduire significativement l’intensité des expositions : ce résultat est donc à attribuer à sa mission de faire appliquer les réglementations et d’alerter sur les dangers potentiels et non à un rôle prépondérant sur la mise en place de protections collectives.

Des effets de tailles d’entreprise et des activités de sous-traitance ?

Le tableau 3 met aussi en évidence que la mise à disposition de protections collectives est globalement croissante avec la taille de l’établissement. Toutefois, ces écarts entre petites et grandes entreprises sont principalement liés à la plus forte mise en place de ventilation générale – pourtant peu efficace pour les expositions aux agents CMR – dans les entreprises de 500 salariés et plus (+15 %). En revanche, les différences sont peu importantes dans la mise à disposition de systèmes d’aspiration à la source.

Grâce aux actions prioritaires ciblées ces dernières années sur les petites et moyennes entreprises (PME), la situation semble ainsi s’être améliorée par rapport au constat de Musu [12] selon lequel les difficultés d’application des actions préventives touchent particulièrement les PME dans l’ensemble des pays européens : « La situation est jugée satisfaisante quoiqu’améliorable dans les très grandes entreprises mais des problèmes énormes d’application subsistent dans les PME tous secteurs confondus ». Les PME ne semblent pas davantage ignorer ou refuser les législations en termes de protections collectives aux agents CMR, contrairement à ce que mentionnait Lalanne [10].

Enfin, le tableau 3, et encore davantage les régressions multivariées, font ressortir que les salariés embauchés par des établissements travaillant en sous-traitance bénéficient moins de protections collectives et en particulier des protections efficaces (aspiration à la source, vase clos). Or, la formation et l’information des salariés font partie des obligations de l’employeur en matière de prévention des risques chimiques et CMR, et cela auprès de tous les salariés, y compris les nouveaux embauchés, les personnels temporaires (CDD, intérimaires, etc.) et les sous-traitants.

Ainsi, les processus d’externalisation via la sous-traitance déplacent les risques d’exposition sur des tiers moins bien équipés et moins bien protégés. Ce serait davantage les salariés des entreprises travaillant en sous-traitance que les intérimaires ou les apprentis de l’entreprise qui en pâtiraient le plus. La sous-traitance pourrait être utilisée par certains employeurs pour s’exonérer des éventuelles conséquences de long terme des expositions CMR, mais au détriment de la santé des sous-traitants ne pouvant pas forcément mettre en place des mesures de protection collective efficaces et adaptées à la situation de risque de chaque client.

Conclusion

La mise en parallèle des résultats de la présente étude avec ceux que nous avons récemment obtenus sur les inégalités d’expositions [1,2] montre que ce ne sont pas systématiquement les populations les plus fortement exposées aux produits chimiques CMR qui bénéficient le plus de protections collectives afin de réduire le risque encouru. Certes, les emplois très précaires (apprentis, stagiaires, intérimaires) qui cumulent forts taux d’exposition et expositions longues et intenses, ont une probabilité plus importante de bénéficier d’une protection collective (hors ventilation générale) que les autres types d’emplois. En revanche, des axes de prévention prioritaires devraient viser les ouvriers non qualifiés qui bénéficient de moins de protections collectives malgré leurs taux et degrés d’exposition très élevés. De même, des efforts de prévention semblent aussi à porter auprès des travailleurs aux horaires atypiques pour lesquels l’efficacité des mesures de protection mises en place (plus de ventilation générale et d’équipements de protection individuelle) semble relativement limitée. Enfin, nous trouvons que les moindres intensités d’exposition aux agents CMR observées dans les grandes entreprises et dans les établissements possédant un CHSCT [8] sont attribuables à leur plus grande mise à disposition d’équipements de protection individuelle et non à l’installation plus importante de mesures de protection collective.

Remerciements et autres mentions

Financement : les auteurs remercient la DARES pour son soutien financier dans le cadre de l’appel à projet « Risques du travail : autour de SUMER 2010 » ; liens d’intérêts: les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


1 Ces régressions ne sont pas reportées ici par souci de parcimonie mais sont disponibles auprès des auteurs.

2 Ce résultat a été confirmé par des régressions multivariées logistiques permettant un raisonnement « toutes choses étant égales par ailleurs ».

3 Selon les résultats de régressions logistiques multivariées disponibles auprès des auteurs.

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