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Environnement, Risques & Santé

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Why a second national strategy on endocrine disrupters? Volume 18, issue 6, November-December 2019

« Perturbation endocrinienne », une expression qui est devenue familière car souvent reprise par les médias et les politiques. Cependant, si un sondage était réalisé auprès « d’un échantillon représentatif de la population française », comme disent les instituts spécialisés, la surprise serait sans doute grande. Peu de Français, en dehors du monde médical, des enseignants et des chercheurs en biologie, ont une idée claire de la physiologie de leur propre organisme et du rôle complexe des hormones. Ils savent qu’elles régissent leurs fonctions vitales, le développement, la sexualité, mais comment agissent-elles ? Si elles peuvent être perturbées, comment et par quoi ? Quels effets sanitaires ? C’est le domaine des « sachants », des experts, et pour la population, souvent mal informée, celui de tous les fantasmes et de toutes les craintes. Certaines sont fondées et d’autres pas, ce qui peut conduire à des positions extrêmes sans vraie base scientifique, voire à des manipulations. Un intérêt de la première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), suivie d’une deuxième qui vient d’être signée [1], est tout d’abord d’éclaircir le champ concerné par les PE, de mieux comprendre comment ils agissent, de développer des méthodes et des outils pour s’en protéger ou les substituer, et enfin de mieux former les professionnels et informer le public.

La définition exacte de « perturbateur endocrinien », expression créée en 1991 par Theo Colborn [2], fait encore l’objet de controverse. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « un perturbateur endocrinien est une molécule chimique d’origine naturelle ou artificielle qui peut interférer avec la production, la dégradation, le transport ou l’action des hormones, en entraînant des effets néfastes liés à ce mode d’action ». Il peut agir sur les glandes endocrines, organes responsables de la sécrétion des hormones, ou sur d’autres organes. Son action peut soit mimer complètement ou partiellement l’action d’une hormone naturelle, soit l’inhiber. Après sa découverte à la fin du XXe siècle à partir d’observations sur la faune sauvage (poissons, alligators, etc.), un foisonnement d’études a montré que le champ était particulièrement vaste [3] ! En effet, il existe différents types de PE selon le type d’hormone visée. Certains miment partiellement les effets des hormones sexuelles féminines (les œstrogènes) avec un risque potentiel de cancer du sein, alors que d’autres tendent à inhiber l’action des hormones mâles (les androgènes) pouvant provoquer des défauts dans le développement des organes sexuels mâles. D’autres peuvent perturber l’action des hormones thyroïdiennes avec des conséquences possibles sur le métabolisme et sur le développement neurologique, en particulier sur le fœtus et le petit enfant, avec une perte potentielle de QI [4]. Enfin, l’étude de la perturbation endocrinienne remet en cause certains fondements de la toxicologie réglementaire : la relation dose-effet, qui peut ne plus être linéaire [3, 5] ; la cible, car pour un même organisme, certaines périodes sont plus sensibles que d’autres ; et enfin le temps, car les effets adverses sont en général différés parfois pendant des années.

La France a été le premier pays en Europe à se doter d’une stratégie nationale PE. Comme le souligne le rapport des inspections générales (Inspection générale des affaires sociales [IGAS], Conseil général de l’environnement et du développement durable [CGEDD], Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux [CGAER]), la SNPE1 a permis de faire entrer la notion de perturbation endocrinienne dans les politiques de santé publique et de bien positionner la France en Europe sur cette problématique [6]. Cependant, devant la complexité du sujet et les difficultés manifestes à trouver un accord européen sur la définition des PE et leur réglementation, il est apparu nécessaire de maintenir un effort national, d’où la SNPE2 et ses 50 actions regroupées sous trois thèmes principaux : former et informer, protéger l’environnement et la population, et améliorer les connaissances ; thèmes avec lesquels on ne peut qu’être d’accord ! Le contenu des actions répond bien aux discussions qui ont eu lieu en amont entre les différentes parties prenantes. Cependant la question fondamentale est de savoir comment toutes ces actions seront financées afin qu’elles ne restent pas de bonnes intentions et qu’elles soient suivies d’effets mesurables, d’où la nécessité d’objectifs clairs et d’indicateurs.

Actuellement, on compte plusieurs centaines de molécules potentiellement PE à des degrés divers : près de 700 selon le Centre commun de recherche de l’Union européenne (CCR), qui dépendent de règlements différents – pesticides, biocides, REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals), cosmétiques, directive « eau » –, une forêt inextricable ! Les listes fleurissent avec des controverses entre les agences nationales ou européennes et les associations sans qu’on ait une visibilité claire. Celle-ci est pourtant nécessaire afin de pouvoir réglementer en connaissance de cause. L’établissement d’une liste consensuelle est une première étape à atteindre. Selon la terminologie européenne, certains PE sont dits « avérés » car les preuves de la perturbation sont considérées comme suffisantes alors que d’autres sont « suspectés ». Une des actions phares de la SNPE2 est de se mettre d’accord sur une liste en établissant des critères clairs et en classant les PE en trois catégories – « avérés », « présumés » et « suspectés » –, comme on le fait pour les cancérigènes. Si ce premier objectif pouvait être atteint, ce serait un sérieux progrès.

Un autre volet important concerne la formation et l’information, celles des professionnels, pas seulement de la santé, mais aussi de l’agronomie, de la chimie, de l’urbanisme, de la petite enfance... C’est un vaste programme qui s’adresse plus largement aux risques chimiques, qui est aussi souhaité dans les plans nationaux santé-environnement (PNSE), sans grand succès jusqu’ici ! L’information du public est également ciblée. Une première étape doit être saluée avec l’ouverture du site « Agir pour bébé » par Santé Publique France1. Ce site devrait être plébiscité par les jeunes parents car est très pédagogique et interactif. Il serait souhaitable que des actions similaires puissent s’adresser à d’autres publics et plus généralement les consommateurs. Une autre action concerne le passage d’informations vers les établissements scolaires et les entreprises par le biais du service sanitaire des étudiants en santé. Cette mesure serait intéressante si les étudiants en santé étaient eux-mêmes formés, ce qui est loin d’être le cas ; la première étape est donc cette formation initiale des personnels de santé, et pas seulement des futurs médecins, aux relations santé-environnement, ce qui dépasse largement la SNPE2.

Le dernier volet concerne la recherche et la connaissance des imprégnations. Les premiers résultats du programme de biosurveillance « ESTEBAN » portent sur divers PE dont les parabènes, famille chimique largement utilisée comme conservateur dans l’industrie cosmétique et agroalimentaire. Les analyses montrent que 90 % des 600 adultes et des 398 enfants sélectionnés pour représenter fidèlement la population française sont imprégnés par le méthyl-parabène, fortement suspecté d’avoir une activité PE œstrogène-dépendante. L’imprégnation est également forte avec les phtalates et les bisphénols [7]. D’autres analyses d’imprégnation concernant des PE doivent être publiées dans les prochains mois. Cependant ce programme, qui va permettre d’avoir un premier niveau assez exhaustif de l’état d’imprégnation des Français, ne suffit pas même s’il représente déjà un progrès notable. Il doit s’insérer dans un cadre international, tout au moins européen, et doit se poursuivre périodiquement quel que soit son coût pour permettre d’apprécier les actions de prévention menées dans le cadre des SNPE.

En conclusion, si toutes les actions de la SNPE2 sont financées et menées à bien, la population française devrait être mieux protégée et mieux informée des risques associés aux PE. Les industriels devraient en avoir pris conscience et les avoir substitués de manière responsable. Tout ceci dans un monde idéal où tous les risques seraient reconnus et maîtrisés car les PE ne représentent qu’un des volets des risques chimiques, physiques et biologiques. Ce monde existe-t-il ? Gardons l’espoir !

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun ; liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

L’éditorial n’engage que son auteur.


1 https://www.agir-pour-bebe.fr/fr

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